Atteints de la COVID-19, mais conviés à travailler

Christian Dubé et Horacio Arruda, mardi, lors de leur conférence de presse à Montréal
Photo: Graham Hughes La Presse canadienne Christian Dubé et Horacio Arruda, mardi, lors de leur conférence de presse à Montréal

Face à l’augmentation importante du nombre de travailleurs de la santé qui doivent s’absenter du travail, le ministre de la Santé, Christian Dubé, n’a « pas le choix » : les travailleurs essentiels pourront dorénavant se rendre au travail « sous certaines conditions », même s’ils sont positifs à la COVID-19. Une nouvelle mesure qui surprend des experts, quoiqu’elle soit jugée nécessaire, tandis que des syndicats s’inquiètent des risques.

« Nous avons de plus en plus de malades, et de moins en moins de monde pour les soigner », a mentionné le ministre lors d’une conférence de presse mardi, entouré du directeur national de santé publique, le Dr Horacio Arruda, et du directeur général de la gestion exécutive et opérationnelle de la pandémie, Daniel Paré.

Lundi, 7000 travailleurs de la santé étaient absents parce qu’ils avaient contracté la COVID-19. Ce nombre pourrait grimper à 10 000 dans les prochains jours, ce qui pourrait mettre en péril les soins aux patients. Le nombre d’infections pourrait également atteindre 15 000 dans les données publiées mercredi, a laissé entendre le ministre.

Le personnel positif pourra continuer de travailler selon une « liste de priorités et une gestion des risques », a précisé M. Dubé. « Je vous garantis que ce sera du cas par cas, en fonction des situations propres à chaque région ».

« Dans un monde idéal, on ne fait pas entrer des personnes malades dans un milieu, mais en même temps, les gens ont besoin de soins », a de son côté affirmé Horacio Arruda, pour ensuite détailler ce qu’il entendait par « gestion de risque ». « Si j’étais aux soins intensifs et que j’avais besoin d’un cardiologue, je préférerais un cardiologue infecté, peu symptomatique, et qui n’est plus contagieux après une certaine période. Il va appliquer des mesures et il va s’occuper de mon cœur parce que mon risque de mourir est plus important », a-t-il illustré.

Un guide sera rendu disponible prochainement pour détailler sous quelles conditions un employé peut travailler. Une personne avec des symptômes légers pourrait, par exemple, être déployée dans certaines unités en fonction du nombre de jours depuis l’apparition de ses symptômes, et être séparée de ses collègues lorsque vient le temps de manger.

Des syndicats s’inquiètent néanmoins que les travailleurs positifs contaminent leurs collègues ou des patients. « Il est inévitable que nous allons devenir des vecteurs de transmission, lance Julie Bouchard, présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), en entrevue avec Le Devoir. C’est dans le top 5 des pires idées présentement. »

Selon elle, il sera « impossible » de prévenir des éclosions. « Nous sommes toujours en contact étroit sur les lieux de travail. Souvent, on doit être deux pour donner des soins, et cela prend parfois une fraction de seconde avant d’interagir rapidement avec les patients », dit-elle.

C’est dans le top 5 des pires idées présentement

 

L’annonce est également mal accueillie du côté de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN). « On trouve l’exercice périlleux et dangereux. Comment on fait pour savoir qui est infecté et qui ne l’est pas, comment on gère les équipements de protection comme le N95, et l’application sera faite quand ? » lance le président, Réjean Leclerc.

Le ministre de la Santé insiste sur le fait qu’il existe des mesures de prévention et de contrôle des infections dans les établissements, et que 98 % des travailleurs de la santé sont doublement vaccinés. « Le risque qu’on prend, c’est un risque contrôlé », assure Christian Dubé. Sur Twitter, il a invité la FIQ au dialogue. « Nous devons gérer le risque ensemble. Je serai toujours à l’écoute pour reprendre vos solutions. »

Une mesure surprenante

 

Des questions restent encore sans réponse, pense de son côté l’Association des médecins d’urgence du Québec (AMUQ), qui reconnaît toutefois qu’il « faut mettre toutes les options sur la table » devant cette situation qui est du « jamais vu ». « Il va falloir des balises claires, et que ce soit sécuritaire, affirme sa présidente, Judy Morris. Il faudra éviter les dérapages et ne pas forcer les gens qui ne se sentent pas bien à aller travailler. »

Chez les pharmaciens, on ne se sent pas encore trop concernés. « On va tout faire pour éviter de se retrouver dans cette situation. Mais dans un cas extrême où les trois quarts du personnel seraient positifs dans un établissement et qu’il y aurait rupture de service… À ce moment, est-ce qu’on fait rentrer des employés positifs, ou est-ce qu’on préfère ne pas préparer la chimiothérapie pour certains de nos patients... » mentionne François Paradis, président de l’Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec (APEQ).

« C’est surprenant d’instaurer une mesure comme ça, parce que ça va demander encore plus de mesures de prévention et de contrôle », pense de son côté Roxane Borgès da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. Mais le Québec ne peut pas se permettre d’avoir des milliers d’absents au travail et des ruptures de service, pense-t-elle. « C’est une mesure de situation de crise et qui ne peut être appliquée qu’en cas d’extrême nécessité. »

L’épidémiologiste Nimâ Machouf estime quant à elle qu’« on est rendu là, parce qu’ils n’ont pas du tout le choix ». Elle espère toutefois que les travailleurs auront accès à des masques N95.

Le gouvernement travaille à ce que cette mesure s’applique à tous les travailleurs essentiels, sans préciser lesquels pour l’instant, pour que « la société continue de fonctionner de façon sécuritaire ». Des détails seront donnés dans les prochains jours. Le gouvernement évalue également la possibilité de diminuer la période d’isolement, comme c’est le cas aux États-Unis, où elle a récemment été réduite à cinq jours.

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