Merck retire le Vioxx du marché

Dur coup hier pour le géant pharmaceutique Merck, qui a annoncé le retrait volontaire de son anti-inflammatoire-vedette, le bien connu Vioxx, en raison d'un risque accru d'incidents cardiovasculaires après 18 mois de traitement continu. Le triomphe de son principal concurrent, Pzifer, pourrait toutefois être de courte durée, le retrait faisant planer un doute sur les nouveaux médicaments issus de la même catégorie, les «Cox-2».

Dans l'immédiat, la nouvelle aura une incidence directe sur les cliniciens québécois puisque ceux-ci n'auront pas le choix désormais de se tourner vers les concurrents immédiats du Vioxx, le Celebrex et le Bextra, tous deux produits par Pzifer. En pratique toutefois, l'éventail de la pharmacopée des médecins sera encore plus réduit puisque le Bextra ne figure pas sur la Liste de médicaments remboursables par le régime public québécois.

Produit-vedette chez Merck, le Vioxx était utilisé par environ deux millions de patients dans le monde pour soulager principalement des douleurs arthritiques mais aussi d'autres douleurs, ponctuelles ou chroniques, comme des maux de dos ou de tête. Distribué dans plus de 80 pays, le Vioxx a généré un impressionnant chiffre d'affaires de 2,55 milliards de dollars en 2003, l'équivalent de 15 à 20 % du chiffre d'affaires de Merck.

Très prisé au Québec, le Vioxx a nécessité des déboursés de 29,2 millions l'année dernière uniquement dans le cadre du régime public d'assurance-médicaments. Pas moins de 723 000 ordonnances ont été rédigées à l'intention de 232 000 personnes inscrites au programme d'assurance-médicaments. De son côté, le Celebrex a entraîné des déboursés de 31,8 millions.

Depuis son arrivée sur le marché, en 1999, le Vioxx a connu une croissance constante à laquelle une étude de la Food and Drug Administration (FDA) avait toutefois mis un sérieux frein cet été. L'étude de l'Office du contrôle pharmaceutique et alimentaire américain avait en effet démontré que les patients traités au Vioxx encouraient un risque d'infarctus et de mort soudaine par arrêt cardiaque supérieur de 50 % à celui des patients traités au Celebrex. En conséquence, les ventes de Celebrex et de Bextra avaient progressé régulièrement depuis lors, au détriment du Vioxx.

Le coup fatal a toutefois été assené par le biais de nouvelles données recueillies à l'occasion d'une étude de trois ans commandée par Merck pour évaluer l'effet du Vioxx en cas de cancer du côlon. L'étude qui a conduit au retrait de l'anti-inflammatoire a fait plonger le cours en Bourse de Merck, dont l'action a clôturé hier à 33 $, une chute de 27 %. En revanche, son concurrent Pfizer a progressé de 1,39 %, à 30,60 $. L'arrêt des ventes du Vioxx grèvera de près de 20 % les bénéfices attendus par Merck pour l'année en cours.

Réalisée auprès de 2600 patients, ladite étude a mis en lumière un risque accru de crise cardiaque ou d'accident cérébrovasculaire débutant après 18 mois de traitement, et ce, à une dose quotidienne de 25 mg. Pendant les 18 premiers mois toutefois, aucun risque accru n'a été relevé, des résultats jugés similaires à ceux obtenus par deux autres études déjà décrites dans la monographie américaine.

En dépit de l'absence de risque à court terme, l'idée d'une commercialisation du Vioxx sous une étiquette qui ferait mention de ces nouvelles données a tout de même été rejetée par Merck. «Nous prenons cette mesure parce que nous croyons qu'elle dessert mieux l'intérêt des patients», a dit le président du conseil et président-directeur général de Merck & Co., Inc., Raymond V. Gilmartin. «Compte tenu de la disponibilité de thérapies de remplacement et des questions soulevées par les données, nous sommes venus à la conclusion que le retrait volontaire est le geste responsable à faire dans les circonstances.» Même son de cloche du côté des chercheurs du géant pharmaceutique, qui jugent que des études prospectives, aléatoires et contrôlées comme celle-ci constituent la meilleure façon d'évaluer l'innocuité des médicaments. Et pas question de ne pas tenir compte des risques, même s'ils sont minimes, a assuré le président des laboratoires de recherche de Merck & Co., Inc., Peter S. Kim, qui juge le retrait «approprié».

Jugeant pour sa part le risque «minime», l'Ordre des pharmaciens du Québec (OPA) a quand même recommandé hier à ses membres de cesser l'utilisation de cet anti-inflammatoire tout en invitant les patients qui consomment ce médicament à consulter leur médecin ou leur pharmacien afin de déterminer la conduite appropriée dans leur cas.

Sur le terrain toutefois, la décision de retirer volontairement la petite pilule jaune a été moins bien accueillie par certains médecins. Pour le Dr Claude Laroche, généraliste à la clinique médicale Cadillac, la décision place le patient dans une situation délicate. «On se retrouve avec un trou dans notre pharmacopée. Le Celebrex est bien, mais il est moins costaud. Le Bextra, à cet égard, est une solution de rechange plus intéressante, à la condition qu'il soit ajouté à la liste des médicaments remboursables par le régime public.» Et il est hors de question pour le médecin de revenir en arrière et de prescrire les anciennes générations d'anti-inflammatoires, certes moins chères mais réputées pour avoir d'importants effets secondaires sur le système digestif. «Je pense qu'il n'est pas éthique de prescrire à un patient un médicament à risque parce qu'il nous fait épargner 50 ¢ par jour.»

Ce médecin, qui dit avoir eu beaucoup de succès avec le Vioxx, voit dans ce retrait une manoeuvre «plus financière que scientifique». Et il n'a peut-être pas tort, Merck ayant avoué hier s'attendre à un afflux de poursuites en justice à propos de ce dossier. «Nous avons des arguments importants à faire valoir pour notre défense et nous les ferons valoir avec vigueur», a déclaré le conseiller juridique du groupe, Kenneth Frazier.

D'ailleurs, une plainte a déjà été déposée contre le laboratoire. L'action en justice a été engagée par le cabinet d'avocats Federman & Sherwood and Strong, Martin & Associates au nom d'un habitant du comté d'Oklahoma City qui dénonce le fait que Merck n'ait pas informé plus tôt le public et les fournisseurs de soins de santé au sujet des risques associés à l'usage du Vioxx.

Ce revers survient au plus mauvais moment pour Merck, dont la croissance des résultats est jugée médiocre. La nouvelle pourrait aussi ébranler les autres géants pharmaceutiques qui ont développé des médicaments expérimentaux de la famille des inhibiteurs «Cox-2» et qui ne sont pas encore sur le marché.

D'après les analystes du secteur, le groupe suisse Novartis aura maintenant davantage de difficultés à faire homologuer son Prexige. Quant à un autre produit préparé par GlaxoSmithKline, dont l'étude est à peine entamée, ses perspectives sont incertaines. Tout comme le sont celles du dernier-né de Merck, Arcoxia, qui devait techniquement supplanter le Vioxx.

Les «Cox-2» permettent d'éviter les effets secondaires gastriques comme les ulcères, propres aux anti-inflammatoires plus anciens, ce qui explique l'énorme succès qu'ils ont rencontré depuis leur introduction, en 1999. Leur chiffre d'affaires mondial a d'ailleurs atteint un impressionnant niveau de 6,4 milliards de dollars en 2003, chiffre qui devrait passer à 9,6 milliards d'ici 2009, d'après les prévisions établies par le cabinet de consultants indépendants Evaluate.

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