Des milliers de personnes injoignables éjectées de la liste d’attente
L’indulgence de Québec envers les patients se fait de moins en moins grande. En vertu d’une nouvelle directive visant une gestion plus « active » des listes d’attente pour voir un omnipraticien, près de 4200 patients ont été éjectés du Guichet d’accès à un médecin de famille (GAMF) après deux appels téléphoniques restés sans réponse, a appris Le Devoir.
C’est du moins ce que révèlent des données obtenues par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), qui recense le nombre de patients inscrits ayant fait faux bond lors du premier rendez-vous avec un médecin assigné par le GAMF, ainsi que les patients ayant omis de répondre à deux ou trois tentatives de contact par téléphone.
La nouvelle directive, entrée en vigueur en mars 2021, instaure des mesures plus strictes pour assurer « une saine gestion » des listes d’attente, notamment celle pour accéder à un médecin de famille.
Une compilation faite par la RAMQ à la demande du Devoir montre que 4188 patients ont été retirés de la liste d’attente entre le 2 mars et le 13 novembre, après avoir omis de répondre aux appels téléphoniques provenant de cliniques. En pleine pandémie, en 2020, ce sont plus de 6500 patients qui avaient été retirés de la liste après avoir été considérés comme « injoignables » par téléphone, et près de 4800 en 2019.
Après deux appels sans réponse, effectués par une clinique ou un groupe de médecins de famille (GMF), la directive prévoit la suspension du patient de la liste d’attente. Dans le cas d’appels venant d’un « établissement », c’est après trois appels non retournés que le patient est suspendu. Dans les deux cas, une lettre postale est ensuite acheminée au patient pour l’aviser de son retrait.
Mais selon les défenseurs des usagers, cette directive, à l’instar de celle visant à réduire les listes d’attente en chirurgie, remet encore une fois la faute des délais sur les patients, plutôt que sur les inefficacités du système de gestion du GAMF.
« J’ai le quart de mes membres qui sont surtout des personnes âgées, qui ne peuvent être jointes que par la poste ou par courriel. Ils ne sont pas toujours au bout d’un téléphone cellulaire. La plupart n’en ont même pas ! » affirme Me Paul G. Brunet, président-directeur général du Conseil pour la protection des malades.
Si ce dernier se dit d’accord avec l’objectif de fond visé par le gouvernement, soit améliorer les délais d’attente pour accéder à un médecin de famille, il se questionne sur les moyens choisis pour y arriver. « C’est toujours plus facile de jeter le blâme sur les patients. La cible devrait être l’inefficacité même du système », ajoute-t-il.
Certains médecins de famille, surchargés par les demandes de consultation, ne partagent toutefois pas cette vision de la réalité.
Selon le Dr Michel Breton, médecin de famille à Laval, il est vrai que certains patients sont très difficiles à joindre et que les rendez-vous ratés, familièrement appelés « no show », continuent de peser lourd dans la gestion quotidienne des cliniques privées et des GMF.
« C’est à la clinique que revient la tâche de joindre le patient orphelin qui nous est attribué par le GAMF. Parfois, c’est un problème réel de contacter les gens par téléphone », explique-t-il.
Selon la RAMQ toutefois, les patients recommandés par le Guichet d’accès à la clientèle orpheline (GACO) et qui omettent de se présenter en clinique médicale ou en GMF pour un premier rendez-vous avec un médecin de famille sont très peu nombreux.
En 2021, 538 de ces patients inscrits au GAMF ne se sont pas présentés au rendez-vous fixé pour une première rencontre avec le médecin de famille qui leur avait été assigné. On en avait recensé 500 en 2020. En 2019, c’était 1079 patients inscrits à ce guichet qui avaient omis leur premier rendez-vous avec l’omnipraticien devant les prendre en charge.
S’adapter à la réalité
Le Dr Breton, qui a déjà administré le guichet d’accès aux médecins de famille pour la région de Laval, s’interroge tout de même sur l’éventail des moyens retenus par Québec pour joindre les patients orphelins. « Quand on pense à la nouvelle génération, on joint les gens plus facilement par texto, par [l’application] Messenger ou par courriel. Ils ne sont pas tous forts sur le téléphone », dit-il.
Pour le Dr Sylvain Dufresne, responsable du GAMF de la région Vaudreuil-Soulanges et omnipraticien au GMF des Trois Lacs, la règle de la suspension après deux ou trois appels est loin d’être appliquée à la lettre. « Ici, on n’arrête pas, même après trois tentatives. Car souvent, ce sont des gens qui travaillent de jour, qui sont très occupés. C’est à nous aussi de nous adapter à la réalité de nos patients », plaide-t-il.
Par expérience, il constate que les patients « orphelins » qui omettent de rappeler ou manquent leur premier rendez-vous sont souvent plus jeunes et attribués à de nouveaux médecins qui commencent leur activité. « S’ils ont 30 ans, et aucun problème de santé, ils ne ressentent pas la même urgence de voir un médecin. Les gens vulnérables, eux, sont vus rapidement », dit-il.
Pour joindre les patients « orphelins », les cliniques n’obtiennent pas d’autres informations du GAMF que l’adresse civique et le numéro de téléphone. Contrairement à un usage répandu dans plusieurs cliniques privées, les contacts et confirmations par texto ou par courriel ne sont pas utilisés par le GAMF.
Selon le Dr Dufresne, le nombre d’absences aux premiers rendez-vous (no show) avec un médecin de famille a beaucoup diminué depuis la dernière année, maintenant que ceux-ci peuvent se faire par télémédecine. « Il y a de moins en moins de ces patients qui nous font faux bond. »
Devant l’explosion du nombre de patients inscrits au GAMF (865 000), depuis en moyenne un an et demi, le ministre de la Santé, Christian Dubé, a promis mi-novembre la création prochaine du « GAP » en mars 2022, un guichet d’accès à des soins de première ligne, qui devrait permettre diminuer les délais d’attente en donnant aux patients accès à des soins médicaux, mais aussi à des infirmières ou d’autres professionnels de la santé.