Les p.-d.g. informés de la fragilité des CHSLD dès janvier 2020
![«C’est évident que l’ensemble de la population, dont les personnes âgées, risque d’être atteinte. […] Donc le message était de dire: préparez-vous sur l’ensemble des services, incluant et particulièrement les personnes vulnérables en CHSLD», a expliqué Yvan Gendron.](https://media2.ledevoir.com/images_galerie/nwd_1046613_852273/image.jpg)
Les grands patrons des CISSS et des CIUSSS ont été informés dès la fin du mois de janvier 2020 de la fragilité des CHSLD face à la COVID-19. Et dès le mois de février, ils ont fait état d’enjeux de ressources humaines au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS).
Yvan Gendron, sous-ministre en titre au MSSS lors de la première vague de COVID-19, a présenté mercredi la chronologie des actions prises par ses équipes à la suite de la réception d’un tout premier courriel au sujet du coronavirus, le 3 janvier 2020. Il témoignait dans le cadre de l’enquête publique sur les décès survenus en CHSLD lors de la première vague de la pandémie, au printemps 2020.
Interrogé par l’avocate Julie Sanogo, qui représente la Fédération de la santé et des services sociaux (CSN), M. Gendron a déclaré qu’à partir du 22 janvier, les présidents-directeurs généraux (p.-d g) des CISSS et CIUSSS ont été mis au fait des risques auxquels s’exposaient les aînés.
« C’est évident que l’ensemble de la population, dont les personnes âgées, risque d’être atteinte. […] Donc le message était de dire : préparez-vous sur l’ensemble des services, incluant et particulièrement les personnes vulnérables en CHSLD », a-t-il affirmé.
« On a insisté sur la vulnérabilité des personnes en CHSLD ? », l’a relancé Me Sanogo. « La réponse est oui, parce que les personnes âgées les plus vulnérables sont en CHSLD », a-t-il répondu.
Lundi, le directeur national de la santé publique, Horacio Arruda, a causé la surprise en déclarant à cette même enquête qu’il s’était inquiété de voir la COVID-19 se propager dans les milieux d’hébergement pour aînés dès janvier ou février.
« À la guerre, pas d’armes, pas de munitions »
Face aux révélations de M. Gendron, la coroner qui mène l’enquête s’est une fois de plus montrée incrédule. « Qu’est-ce qui s’est passé entre vos discussions, le signal d’alarme de février et [la réalité] en CHSLD, avec le manque de personnel, connu avant la pandémie ? Les gens nous ont dit qu’il y avait zéro structure de commande », a lancé Géhane Kamel. « Qu’est-ce qui s’est passé entre vos directives, vos rencontres, vos 18 heures [de travail] par jour et le fait que les gens en CHSLD étaient à la guerre, pas d’armes, pas de munitions ? », s’est-elle encore interrogée.
« C’était évident que l’organisation sur le terrain, ça leur appartient », a répondu l’ex-sous-ministre, en faisant visiblement référence aux établissements. « Ils devaient vraiment produire, s’organiser », a-t-il ajouté. Il a souligné que 61 % des CHSLD n’avaient eu « aucun cas » de COVID-19. « Est-ce que tous les gens se sont préparés de façon suffisante pour ça ? Moi, j’ose imaginer qu’ils ont mis beaucoup d’énergie, mais on dirait des fois que tant que ça ne te frappe pas, tu ne mets pas beaucoup d’énergie. »
L’avocate de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, Sophie Brochu, a quant à elle cherché à savoir si les p.-d.g. avaient levé le drapeau pour signaler des problèmes de main-d’œuvre, en amont de la première vague.
« On savait déjà qu’il y avait certains enjeux de pénurie de personnel de façon globale », a répondu M. Gendron. Il a rappelé que des discussions pour débloquer des budgets pour le recrutement de main-d’œuvre étaient d’ailleurs en cours à ce moment.
« En février, y a-t-il eu des ajouts de ressources de la part du ministère ? », a alors demandé Me Brochu. « Le fait de rajouter des ressources, d’utiliser des argents, ça leur appartient [aux p.-d.g.] », a répondu M. Gendron.
« Nous, notre message, [c’était] : n’attendez pas d’avoir des budgets supplémentaires pour faire ce que vous avez à faire. S’il vous manque des ressources, que vous êtes capables d’aller en chercher, peu importe si vous avez une problématique budgétaire, ne vous en faites pas avec ça : vous engagez [du personnel] », a-t-il lancé.
Après M. Gendron, le sous-ministre associé de la Direction générale des ressources humaines et de la rémunération, Vincent Lehouiller, a déclaré qu’au plus fort de la première vague, 12 000 personnes étaient absentes du réseau public. Toujours en excluant le privé, 29 % de l’absentéisme total était recensé en CHSLD.
Il a aussi déclaré qu’avant la pandémie, en janvier 2020, un « comité de gestion du réseau spécial » avait été organisé, avec les p.-d.g., au sujet de la pénurie de main-d’œuvre.
Yvan Gendron a été sous-ministre au MSSS de 2018 à 2020. Il a été démis de ses fonctions le 21 juin 2020, au moment où l’ex-ministre de la Santé, Danielle McCann, a été remplacée par Christian Dubé. Mme McCann, aujourd’hui ministre de l’Enseignement supérieur, doit témoigner à l’enquête publique jeudi matin.
Qu’est-ce qui s’est passé entre vos directives, vos rencontres, vos 18 heures [de travail] par jour et le fait que les gens en CHSLD étaient à la guerre, pas d’armes, pas de munitions ?