Arruda avait des craintes pour les aînés bien avant mars

Dès janvier ou février, le directeur national de santé publique, Horacio Arruda, s’est inquiété de voir la COVID-19 se propager dans les milieux d’hébergement pour aînés, a-t-il admis lundi, en causant la surprise à l’enquête publique sur les décès survenus dans les CHSLD du Québec au printemps 2020.
« J’ai quelque chose qui me trouble un peu en vous écoutant. Si on l’avait prévu, c’était [donc] dans les scénarios que ça allait frapper les CHSLD ? » a demandé, incrédule, la coroner Géhane Kamel, qui dirige l’enquête.
Juste avant, le Dr Arruda avait répondu « oui, c’est sûr » à une question de l’avocat Patrick Martin-Ménard, qui représente les familles de six personnes décédées en CHSLD. « En janvier, février, vous envisagiez que les CHSLD allaient y passer aussi ? » avait-il demandé.
L’avocat cherchait visiblement à savoir si Québec aurait pu prévoir — et éviter — le triste scénario qui s’est joué dans les CHSLD.
« Les CHSLD, c’était vraiment l’angle mort de la préparation qui a été faite par rapport à la pandémie ? » a notamment demandé Me Martin-Ménard. « Ça dépend de ce que vous entendez par un angle mort », a répondu le Dr Arruda. « On savait que les personnes âgées, où qu’elles soient, elles étaient à risque. Et comme je vous le dis, dès le 12 mars, lors du point de presse. Et on a très rapidement interdit les visites dans les milieux », a-t-il rappelé.
L’expert en santé publique a dit savoir que les « maladies infectieuses, en général, touchent les plus vulnérables » et que « les plus vulnérables sont dans les CHSLD ».
Sauf que « dans les faits », a répliqué la coroner Kamel, « les milieux hospitaliers, à la mi-mars, sont plus que prêts à recevoir les gens ». « Les équipes sont mobilisées, mais ce n’est pas du tout ça en CHSLD. La préparation est zéro pis une barre », a-t-elle souligné. « Ces discussions-là [sur les dangers en CHSLD] ont eu lieu avant le 13 mars et ça entre à pleine porte. C’est un peu troublant », a-t-elle ajouté.
La responsabilité de qui ?
Tout au long de la journée, les avocats participant à l’enquête publique ont tenté de déterminer le niveau de responsabilité des experts appelés à témoigner.
Après le Dr Arruda, Lucie Opatrny, sous-ministre adjointe de la Direction générale des affaires universitaires, médicales, infirmières et pharmaceutiques, s’est longuement fait questionner sur une directive émanant du bureau de celui qui était sous-ministre à la Santé lors de la première vague, Yvan Gendron. En date du 18 mars, cette consigne statuait que « les transferts des résidents en CHSLD vers les centres hospitaliers [devaient] être évités et devenir une mesure d’exception ».
Cette directive, qui voulait limiter la pression sur les hôpitaux, était-elle une « façon de prioriser en amont qui allait avoir accès aux soins de santé ? » a demandé l’avocat Martin-Ménard à Mme Opatrny. À quelques reprises, celle-ci a dit que l’intention derrière cette consigne était « d’offrir les soins nécessaires dans les bons endroits ».
Sauf qu’elle a été interprétée comme une interdiction de procéder à des transferts vers les hôpitaux, a répliqué Me Kamel. « Il y a des gens qui ont dû appeler des journalistes pour faire sortir des proches des CHSLD. Donc, ce n’est pas anecdotique. […] Aujourd’hui, ce que vous nous donnez comme témoignage, ce n’est pas le feedback du terrain », a-t-elle souligné.
Tout au plus Mme Opartrny a-t-elle reconnu qu’il y avait eu un « écart » entre la directive et l’interprétation du terrain. « Vous ne pouvez pas blâmer le terrain d’avoir interprété la directive de la façon dont ça a été fait », a réagi Jacques Ramsay, qui assiste Me Kamel dans l’enquête. « La directive disait que c’était exceptionnel. C’est ce que le terrain a fait », a-t-il poursuivi, en mentionnant que la sous-ministre adjointe devrait « être capable au moins de reconnaître que la directive portait à confusion ».
Mme Opatrny a par ailleurs déclaré qu’il n’était pas de son ressort de s’assurer que les CHSLD avaient la capacité d’offrir les soins requis par les aînés, surtout dans un contexte où les transferts étaient pour ainsi dire suspendus. Cette responsabilité incombait aux présidents-directeurs généraux, a-t-elle dit. « Donc, au niveau de votre comité, personne ne s’est posé cette question-là : est-ce que les CHSLD vont être capables de suivre le bus ? » a demandé Me Martin-Ménard. « Ce n’était pas le rôle du comité », a répondu la haute fonctionnaire.