La crise climatique, une responsabilité collective de santé publique

Claudel Pétrin-Desrosiers et Anne-Sara Briand
Respectivement médecin de famille au CLSC d’Hochelaga-Maisonneuve et présidente de l’Association québécoise des médecins pour l’environnement ; médecin-résidente en santé publique et médecine préventive à l’Université de Montréal
Plusieurs études permettent de croire que présenter les changements climatiques comme un enjeu de santé pourrait avoir une influence importante sur la mobilisation de la population et sur les politiques mises en place.
Photomontage: Sandra Larochelle et Josselyn Guillarmou Plusieurs études permettent de croire que présenter les changements climatiques comme un enjeu de santé pourrait avoir une influence importante sur la mobilisation de la population et sur les politiques mises en place.

Ce texte fait partie du cahier spécial L'état du Québec 2022

Méconnue avant la pandémie de COVID-19, la santé publique s’est imposée dans l’espace public au cours des derniers mois. Comme un défi ne vient généralement pas seul, celle-ci doit continuellement jongler avec plusieurs facteurs d’importance qui, de diverses façons, menacent la vie, la santé et le bien-être de la population québécoise. Parmi ces facteurs, et sans doute le plus sous-estimé d’entre tous : la crise climatique.

Les changements climatiques sont reconnus par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme la plus grande menace à la santé au XXIe siècle, et le Québec n’est pas épargné. Alors que les perturbations environnementales s’amplifient, la façon dont nous choisissons d’y répondre collectivement offre l’occasion de protéger et d’améliorer la santé de toutes et tous.

Quelles conséquences pour la santé des Québécois ?

La santé est partout définie par une multitude de facteurs sociaux, politiques, économiques, culturels et environnementaux. Les changements climatiques viennent menacer de façon directe et indirecte chacun de ces piliers de la santé. De fait, les aléas météorologiques extrêmes vont s’accroître en intensité, en fréquence et en durée, alors que le réchauffement et la variabilité climatiques progressent. Leurs effets seront ressentis de façon disproportionnée par les populations déjà en situation de vulnérabilité ou qui y auront le moins contribué.

Par exemple, les vagues de chaleur qui ont frappé le sud du Québec en 2018 ont engendré un excès de 86 décès et exercé une forte pression sur les services d’urgence. De récents exercices de modélisation démontrent même que les taux d’hospitalisation liée à la chaleur grimperont de 20 % d’ici les 30 prochaines années et entraîneront une facture annuelle de plusieurs milliards de dollars. D’ici la fin du siècle, cette chaleur élevée pourrait être responsable, à elle seule, de 147 000 décès supplémentaires.

Au-delà des facteurs de vulnérabilité individuels (comme l’hypertension, le diabète et l’obésité), la chaleur tue de façon inégale selon le lieu de résidence. Les personnes vulnérables qui habitent dans des îlots de chaleur (généralement les quartiers avec un plus haut degré de défavorisation économique) sont deux fois plus à risque de décéder que celles n’y habitant pas. Certaines personnes parlent même de « racisme environnemental », faisant référence à une exposition disproportionnée de certaines communautés, autochtones ou racisées, aux dangers environnementaux.

Outre la chaleur extrême, le Québec connaîtra d’autres répercussions liées aux changements climatiques, comme une augmentation des inondations, principalement en milieu urbain. Cette catastrophe fréquente, qui concerne déjà 80 % des municipalités riveraines, est associée à une détérioration importante de l’état de santé physique, psychologique et sociale des personnes affectées. Une étude a démontré que les personnes touchées par les grandes inondations du printemps 2019 étaient quatre ou cinq fois plus nombreuses à présenter un trouble de santé mentale (stress post-traumatique, trouble anxieux, dépression) comparativement aux personnes non affectées.

Les inondations posent également des défis pour la santé physique en augmentant les risques de blessure, d’intoxication au monoxyde de carbone, d’infection transmise par l’eau et d’exposition à des moisissures, tout en aggravant certaines maladies chroniques comme le diabète et l’hypertension. Enfin, les services psychosociaux peuvent subir une pression importante en raison de la perturbation sociale, de l’incertitude financière et de la chute de la qualité de vie que vivent et ressentent les personnes sinistrées.

Présentement plus fréquents dans l’ouest du Canada, les feux de forêt vont aussi augmenter dans la portion sud du Québec, en raison de l’allongement de périodes plus chaudes et plus sèches, qui leur sont propices. Ils pourraient compromettre sérieusement la qualité de l’air, augmenter les besoins en médicaments et forcer l’évacuation de centres hospitaliers, en plus d’entraîner une hausse des problèmes respiratoires, comme on a pu l’observer à Fort McMurray, en Alberta, en 2016. L’enjeu de la qualité de l’air est important : au Québec, la pollution atmosphérique est déjà responsable d’au moins 4000 décès prématurés et coûte plus de 30 milliards de dollars annuellement.

L’Institut national de santé publique du Québec suit présentement une dizaine de zoonoses : il s’agit d’infections transmises de l’animal à l’humain, dont la présence pourrait s’accroître en raison des changements climatiques. De ce lot, mentionnons la maladie de Lyme, qui pourrait s’étendre jusqu’au Saguenay–Lac-Saint-Jean d’ici 30 ans, et le virus du Nil occidental (VNO), qui, bien que le nombre de cas déclarés annuellement fluctue grandement, a été responsable de 15 décès durant l’année 2018.

Enfin, les changements climatiques entraîneront une série d’autres perturbations et de stress psychologiques, sociaux et économiques notamment liés à l’érosion côtière, à l’augmentation des niveaux de la mer et à la fonte du pergélisol, qui pourraient forcer le déplacement de plusieurs ménages, comme l’ont déjà vécu 40 familles de Sainte-Flavie, par exemple, depuis 2010. Les communautés autochtones pourraient ressentir ces effets encore plus fortement, elles qui entretiennent des liens très étroits avec le territoire, dont les perturbations climatiques modifieront grandement l’accès, l’occupation et l’utilisation. La longue et imposante liste des conséquences sanitaires de la crise climatique sur la population du Québec aura des répercussions sur le réseau de la santé, dont plusieurs faiblesses ont été dévoilées durant la pandémie de COVID-19.

Une question s’impose donc : avec les projections climatiques actuelles, sera-t-on capable de continuer d’offrir des soins de santé de qualité, et de maintenir cette qualité alors que les pressions sur le réseau s’accentueront ? Selon nous, il deviendra incontournable d’adopter de meilleures politiques d’adaptation climatique tournées vers la santé.

S’adapter aux changements climatiques

La lutte efficace contre les changements climatiques compte parmi les meilleurs leviers pour améliorer de façon tangible la santé des personnes et réduire les inégalités sociosanitaires partout sur la planète, y compris au Québec.

 

Étrangement, il est encore rare de voir les considérations de santé intégrées dans les analyses financières ou dans le calcul du coût réel des politiques climatiques. Pourtant, chaque dollar investi en adaptation climatique génère entre 5 $ et 6 $ de bénéfices, surtout en gains sanitaires, grâce au fait que des maladies et des décès sont ainsi évités. Par exemple, la baisse des émissions de gaz à effet de serre améliore la qualité de l’air et donc la santé pulmonaire et cardiovasculaire.

Il existe ainsi une série de politiques climatiques qui sont favorables à la santé humaine et qui devraient être priorisées lors des processus décisionnels. L’investissement dans les transports actifs et en commun permet généralement de faire d’une pierre deux coups : il diminue la pollution du secteur des transports (responsable d’environ 45 % des émissions québécoises annuelles de gaz à effet de serre) et encourage la mobilité active, qui est directement associée à une baisse des risques d’obésité, de diabète et d’ostéoporose. Même scénario avec les projets de verdissement urbain, qui offrent un rendement économique très avantageux de 3 $ à 15 $ par dollar investi. En effet, les arbres et les espaces végétalisés dans les villes filtrent l’air, combattent les îlots de chaleur mortels en diminuant la chaleur ambiante de plusieurs degrés, et augmentent l’indice de bien-être et le sentiment d’appartenance collective. Il n’y a pas un médicament qui rivalise avec les nombreux bienfaits des arbres !

D’autres politiques pourraient être envisagées, comme la modification des habitudes alimentaires pour faire une place croissante dans l’assiette aux protéines d’origine végétale. Ce type d’alimentation contribue à une bonne santé cardiovasculaire et diminue le risque de développer certains cancers associés à la consommation de viande rouge en grande quantité, en plus d’avoir une empreinte environnementale nettement plus faible.

Enfin, la protection, la conservation et la restauration de nos milieux naturels sont également une avenue prometteuse. De plus en plus d’études scientifiques démontrent les bienfaits de la nature pour la santé humaine, notamment parce qu’elle influe sur la pression artérielle, le stress, le bien-être psychologique et même le système immunitaire. L’on pourrait tirer de grands avantages à avoir un nombre plus élevé d’espaces naturels à proximité des centres urbains et facilement accessibles à l’ensemble de la population.

La santé pour mobiliser les communautés

 

En réduisant les émissions de gaz à effet de serre et en optant pour de meilleures mesures d’adaptation, on améliorerait grandement la santé des Québécoises et des Québécois. Cela nécessitera toutefois un leadership politique franc, compte tenu de la fenêtre d’opportunité qui diminue rapidement et du nombre important d’acteurs impliqués. Pour favoriser ce virage, les regards se tournent maintenant vers la population. En effet, la sensibilisation du public pourrait être un élément clé pour presser les gouvernements à agir davantage.

En ce sens, un nombre grandissant d’études permettent de croire que présenter les changements climatiques comme un enjeu de santé pourrait avoir une influence importante sur la mobilisation de la population et sur les politiques mises en place. Les conséquences sur la santé seraient perçues comme plus personnelles que celles sur l’environnement, et pourraient donc inciter le public à s’impliquer dans la mise en place de solutions. Étonnamment, les retombées sanitaires des changements climatiques restent plutôt tues par les médias canadiens et sont encore méconnues de la population. Communiquer davantage les liens entre le climat et la santé pourrait donc offrir un nouveau souffle à une action climatique intersectorielle ambitieuse et rassembleuse.

Le rôle des actrices et acteurs en santé

 

Si la santé a un rôle important à jouer dans la mobilisation des communautés autour des enjeux climatiques, encore faut-il que les expertes et experts puissent s’approprier cette réalité. Malheureusement, la pleine intégration des perspectives climatiques dans les cursus universitaires tarde encore, privant les futurs professionnelles et professionnels de la santé d’une formation adéquate pour faire face à cette nouvelle réalité. Nous sommes également d’avis que des occasions de formation devraient être offertes à celles et ceux qui sont déjà en poste dans le domaine de la santé, afin qu’elles et ils puissent mieux intégrer les enjeux climatiques dans leur pratique.

De son côté, le secteur des soins de santé a lui aussi des devoirs à faire, étant responsable d’environ 5 % des émissions québécoises annuelles de gaz à effet de serre. Le ministère de la Santé et des Services sociaux doit accélérer le pas, procéder à une évaluation approfondie de son empreinte environnementale et établir des objectifs chiffrés. Il pourrait notamment s’inspirer du National Health Service (le réseau de santé britannique), qui vise la carboneutralité d’ici 2040 et a réduit ses émissions de 18,5 % entre 2007 et 2017, malgré une augmentation de son niveau d’activité clinique.

Dans la même foulée, le secteur de la santé doit être davantage intégré aux instances environnementales afin que les personnes aux postes décisionnels comprennent mieux les cobénéfices sanitaires liés à la préservation de l’environnement. Aucun des treize membres nommés en avril 2021 au comité consultatif sur les changements climatiques, mandaté par le gouvernement du Québec pour le conseiller sur le développement et le déploiement de stratégies en matière de lutte contre les changements climatiques, n’a un pied dans le domaine de la santé. Pourtant, les recommandations que formulera ce comité seront vitales pour la santé des Québécoises et des Québécois. Il est urgent qu’une approche de type « la santé dans toutes les politiques » s’applique systématiquement à toute décision environnementale sur le territoire.

Enfin, les changements climatiques doivent se hisser au premier rang des priorités de la santé publique. La pandémie de COVID-19 a mis en évidence le rôle et la pertinence de ce réseau interdisciplinaire enraciné dans chacune des régions du Québec. En insérant la lutte contre les changements climatiques au cœur du prochain programme national de santé publique, l’on pourrait utiliser l’expertise locale et nationale des expertes et experts en santé pour faire face à l’énorme défi sanitaire qui nous attend. Le renouvellement et la pérennisation des ressources en santé publique, engendrés par la pandémie de COVID-19, offrent les bases idéales d’un déploiement d’une stratégie nationale d’adaptation climatique.

Les derniers mois, plutôt difficiles, ont rappelé à la population le fragile équilibre de son environnement et l’importance d’entretenir des communautés résilientes. Il nous apparaît essentiel, aujourd’hui peut-être plus que jamais, de lier la santé humaine, et donc la discipline de la santé publique, à la protection des écosystèmes naturels, des alliés incontournables.


 

Ce texte est un extrait adapté de L’état du Québec 2022. Sa version intégrale peut être lue dans l’ouvrage collectif disponible en librairie et en ligne.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.



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