Des conditions plus attrayantes pour pallier la pénurie d’infirmières

Le président de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec a dit juger que l’objectif du ministre d’embaucher 4000 infirmières est «un méchant défi».
Photo: Jacques Nadeau Archives Le Devoir Le président de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec a dit juger que l’objectif du ministre d’embaucher 4000 infirmières est «un méchant défi».

Avec le plan pour contrer la pénurie d’infirmières qu’il présente jeudi, le gouvernement Legault veut accélérer la mise en place de mesures contenues dans les conventions collectives et miser sur des incitatifs financiers qui rendront « avantageuse », pour les soignantes, la décision de revenir dans le réseau public.

« On veut que toutes les infirmières qui ont fui vers le privé et vers les agences reviennent [au public] », a déclaré une source gouvernementale au Devoir. 

Pour y arriver, Québec veut créer des « conditions de travail optimales », tant sur le plan salarial que d’un point de vue de gestion, en s’attaquant par exemple aux horaires de travail. Pour ce qui est des salaires, le gouvernement souhaite instaurer des primes qui « vont perdurer dans le temps, au moins assez pour ne pas qu’elles [les infirmières] repartent [vers le privé] », a résumé une source.

L’idée à la base du plan demeure néanmoins de revoir le « modèle de gestion » pour qu’il soit « décentralisé », comme l’a déclaré mardi le ministre de la Santé, Christian Dubé. Pour ce faire, le gouvernement cherche à « jouer dans ce qui a été adopté [dans les conventions collectives] » afin que la mise en œuvre d’une série de mesures soit accélérée.

« Un méchant défi »

L’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) a confirmé avoir été consulté par le ministre Dubé pour l’élaboration de son plan. Il a formulé des pistes de solution pouvant être mises en place à « très court terme », a indiqué au Devoir son président, Luc Mathieu.

Parmi celles-ci figure l’introduction d’agents administratifs qui s’occuperaient de remplir les formulaires que les infirmières doivent remplir au quotidien, comme une demande pour obtenir le dossier d’un patient. « Je ne parle pas des notes cliniques », a spécifié M. Mathieu.

Claire Montour, de la Fédération de la santé du Québec (FSQ-CSQ), a fait une suggestion semblable. « Le monde nous dit : nous, le soir, on n’a pas d’agentes administratives avec nous pour faire les téléphones, pour monter les dossiers, faire les appels. C’est peut-être juste ça [la solution] ! » a-t-elle dit au Devoir.

L’OIIQ a aussi proposé de confier à des infirmières auxiliaires des tâches actuellement effectuées par des infirmières. « Ça dégagerait des infirmières, et elles pourraient se concentrer davantage sur les activités [comme] l’évaluation de l’état de santé des personnes, la surveillance clinique, le suivi clinique, le lien avec les autres professionnels de la santé et les familles », a expliqué Luc Mathieu.

Le président de l’OIIQ a néanmoins dit juger que l’objectif du ministre d’embaucher 4000 infirmières est « un méchant défi ». Il a souligné qu’on ignore encore quel est « le bassin potentiel d’infirmières retraitées » qui voudront bien revenir dans le réseau après l’avoir quitté. En 2019-2020, 171 d’entre elles sont revenues au travail, une légère hausse par rapport aux années précédentes, selon les chiffres de l’OIIQ.

Conciliation travail-famille

 

De l’avis de la présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), Nancy Bédard, plusieurs éléments de la nouvelle convention collective qui favorisent la conciliation travail-famille pourraient être mis en place « très rapidement ».

En entretien au Devoir, elle a évoqué la création de postes à temps complet dans un seul centre d’activité (comme l’urgence) et sur un seul quart de travail, plutôt que des postes mobiles de jour, de soir et de nuit. Il suffirait de procéder à un blitz de rehaussements de postes pour y arriver, a-t-elle suggéré. « J’ai déjà vu des opérations de ce type-là, a-t-elle dit. On peut faire ça en deux ou trois semaines. »

À la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN), le président, Jeff Begley, a fait la même suggestion. « Ce qui était prévu, c’est un exercice qui se faisait dans les huit mois qui suivront la mise en application de la [nouvelle] convention collective. Est-ce qu’il va aller plus vite ? Possiblement », a-t-il expliqué.

Les établissements pourraient aussi, dans un court délai, mettre en place l’affichage des horaires six semaines à l’avance, a ajouté Mme Bédard. « Quand tu as un horaire stable, quand l’employeur n’a plus le droit de changer ton horaire à la dernière minute, ça va être très rentable dans le nouveau contrat de travail », a-t-elle fait valoir.

La convention collective prévoit également l’autogestion des horaires, un mode de fonctionnement déjà en place dans les hôpitaux anglophones, qui permet aux infirmières de se concerter pour établir leurs horaires en fonction de leurs obligations personnelles.

Prêts « dès demain »

À la FSQ-CSQ, Mme Montour a elle aussi abordé la question des horaires. Elle a dit connaître des infirmières qui seraient prêtes à faire des quarts de travail de douze heures, sans que cela se fasse au détriment de leurs primes de nuit. « Pourquoi on n’est pas capables d’avoir cette ouverture-là ? », a-t-elle demandé, en soulignant que l’ajout de primes coûterait tout de même moins cher que le recours à des agences privées.

À la FSSS-CSN, M. Begley a aussi souligné que l’entente conclue avec Québec prévoit des primes d’attraction et de rétention pour les travailleurs de soir, de nuit ou de rotation. Celles-ci doivent prendre fin à l’échéance prévue de la convention, en mars 2023. « Ce n’est pas avec ces choses-là qu’on va faire la révolution, mais nous, on est prêts à les appliquer dès demain, a-t-il dit au Devoir. Mais [il] va falloir en faire plus. »

Nancy Bédard a par ailleurs dit espérer que le ministre Dubé annonce la fin du temps supplémentaire obligatoire. « Un moment donné, il va falloir dire qu’à partir de telle date, cet outil-là cesse ! a-t-elle insisté. Vous allez voir, la machine, elle va s’organiser pour que ce soit fini. »

Les attentes à l’égard du plan qui sera annoncé jeudi après-midi sont « immenses », a-t-elle rappelé. « Il [le ministre] n’aura pas deux chances d’essayer de rétablir un minimum de lien de confiance. »



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