L'usage du français en déclin dans le milieu de la recherche partout au Canada

Le nombre d’articles scientifiques publiés en français est en chute libre depuis plusieurs années au Canada, de nombreux chercheurs francophones préférant opter pour la langue de Shakespeare afin de faire avancer leur carrière et d’augmenter leurs chances d’obtenir une subvention gouvernementale.

C’est ce que révèle une nouvelle étude de plus de 130 pages chapeautée par l’Association de promotion et défense de la recherche en français (Acfas), intitulée « Portrait et défis de la recherche en français en contexte minoritaire au Canada », publiée lundi et dont Le Devoir a obtenu copie.

L’anglais, un parcours obligé

De mai à octobre 2020, les auteurs ont sondé 515 chercheurs d’expression française qui travaillent en contexte minoritaire au pays, afin de connaître leurs pratiques de recherche et d’enseignement. Du lot, 68 % ont indiqué qu’ils considéraient comme « très important », dans leur domaine d’expertise, de publier des articles dans une revue savante internationale en anglais. Plusieurs le font pour être cités davantage, gagner en crédibilité internationale ou encore pour assurer « l’avancement de leur carrière ».

L’attrait de l’anglais, déjà bien présent depuis des années dans le milieu des sciences naturelles, s’étend d’ailleurs à un nombre croissant de disciplines, comme l’histoire et les sciences sociales et humaines, indique l’étude. Les chercheurs francophones qui publient en anglais se retrouvent pourtant avec une surcharge de travail, écrivant dans une autre langue que celle avec laquelle ils ont le plus de facilité. Or, « ils n’ont pas le choix pour leur carrière », estime le professeur titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les transformations de la communication savante à l’Université de Montréal, Vincent Larivière.

En choisissant l’anglais, je choisis aussi un peu d’arrêter de travailler sur le Québec ou le Canada français

 

Il constate notamment que les chercheurs francophones peuvent souvent obtenir plus facilement une subvention gouvernementale lorsqu’ils publient un article dans une revue savante anglophone plutôt que dans une revue francophone. Le nombre de demandes de subventions dans la langue de Molière a ainsi connu une baisse marquée dans les dernières décennies.

« On se retrouve dans des situations un peu absurdes où, entre collègues francophones, on va s’écrire et se citer dans une langue interposée, l’anglais, parce que c’est une langue à laquelle on associe plus de capital scientifique et parce que, plus spécifiquement, les revues anglophones sont prestigieuses, ajoute M. Larivière. Donc la croissance de l’anglais, elle est indissociable des pratiques d’évaluation des chercheurs, qui donnent plus d’importance et de prestige à certaines publications en anglais. »

En plus d’alourdir le travail des chercheurs d’expression française, cette situation a pour effet d’étioler le travail de recherche portant spécifiquement sur la situation des francophones en contexte minoritaire et, plus globalement, sur le Canada. Afin de voir leurs articles publiés dans une revue américaine, les chercheurs auront plus tendance à se pencher sur les États-Unis, illustre l’expert, qui a collaboré à cette vaste étude.

« En choisissant l’anglais, je choisis aussi un peu d’arrêter de travailler sur le Québec ou le Canada français. Et ça, c’est dramatique », souligne Vincent Larivière. Les étudiants francophones au Canada se retrouvent alors à devoir lire en anglais pour s’informer sur leur domaine de recherche, en plus d’avoir accès à moins de connaissances portant sur leur pays, ce qui a « des conséquences sur les étudiants et sur le grand public en général », poursuit l’expert.

Les chercheurs ont aussi réalisé une revue exhaustive de la littérature qui leur a notamment permis de constater que le nombre de revues savantes en français décline depuis des années, tandis que celles dites « bilingues » accordent une place de plus en plus grande à l’anglais, au détriment de la langue de Molière. « Ce qu’on remarque, c’est que ces revues-là ne publient presque plus d’articles en français », souligne M. Larivière.

D’ailleurs, même au Québec, moins de la moitié (46 %) des revues savantes de la province sont de langue française ou bilingue, un pourcentage qui chute à 37 % en Ontario et à 3 % au Nouveau-Brunswick, la seule province officiellement bilingue au pays.

« On voit qu’il y a eu de la négligence parce qu’on constate un recul [du français dans les revues savantes]. On sent que les fondements sont fragilisés et qu’il y a un sentiment d’urgence pour intervenir », constate le directeur général de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques, Éric Forgues, qui demeure à Moncton.

Des mesures structurantes

 

Malgré le portrait sombre que dresse l’étude, le déclin de l’usage du français dans les revues savantes du pays peut être freiné si des « mesures structurantes » sont mises en place, estime M. Forgues.

Le rapport, qui compte neuf recommandations adressées à Ottawa et aux gouvernements provinciaux, propose notamment la création d’un service d’aide à la recherche en français afin d’épauler les chercheurs dans leurs demandes de financement dans cette langue. Les universités « en difficulté », comme l’Université Laurentienne, devraient aussi bénéficier d’un meilleur soutien financier, tandis que les organismes subventionnaires devraient revoir leurs politiques afin de s’assurer que « les taux de succès des demandes soumises en français sont au moins équivalents à ceux des demandes soumises en anglais », peut-on lire.

Le document fera d’ailleurs l’objet d’un dévoilement public lundi en présence notamment de la ministre fédérale aux Langues officielles, Mélanie Joly, et du commissaire aux langues officielles du Canada, Raymond Théberge.

« On voit vraiment que le gouvernement Trudeau et la ministre Joly sont préoccupés par la situation. Et maintenant, je pense qu’on leur fournit la matière pour aller beaucoup plus loin », estime le président de l’Acfas, Jean-Pierre Perreault, qui entend s’assurer que « les bottines » du gouvernement fédéral « suivent les babines ».

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