Les listes d’attente en santé mentale s’allongent encore

Environ 19 000 enfants et adultes figurent sur une liste d’attente, soit près de 20 % de plus qu’en novembre, selon les plus récentes données du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS).
Photo: Graham Hughes La Presse canadienne Environ 19 000 enfants et adultes figurent sur une liste d’attente, soit près de 20 % de plus qu’en novembre, selon les plus récentes données du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS).

De plus en plus de Québécois doivent patienter pour obtenir des services en santé mentale dans le réseau public. Environ 19 000 enfants et adultes figurent sur une liste d’attente, soit près de 20 % de plus qu’en novembre, selon les plus récentes données du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Des experts pressent Québec d’investir pour améliorer l’accès aux soins psychosociaux.

Davantage de gens souffrant de troubles de santé mentale ont besoin d’interventions spécialisées depuis la pandémie de COVID-19, selon la présidente de la Coalition des psychologues du réseau public québécois, Karine Gauthier. « Il y a beaucoup de troubles d’anxiété généralisée, de dépressions majeures — et d’idéations suicidaires qui y sont liées — ainsi que de troubles de stress post-traumatique », précise-t-elle.

Ces nouveaux patients s’ajoutent aux autres qui figurent déjà sur des listes d’attente, rappelle le président de l’Association des psychologues du Québec, Charles Roy. C’est sans compter ceux qui n’ont toujours pas obtenu l’aide souhaitée. « On a eu des sons de cloche selon lesquels, à certains endroits, on fait un premier contact d’accueil [avec les patients] et, là, on met les gens sur des listes d’attente pour des groupes de soutien, même si ce n’est pas ça qu’ils veulent avoir, explique-t-il. À ce moment, c’est comme s’ils ne sont plus en liste d’attente [pour un psychologue]. »

Au MSSS, on indique qu’une personne est retirée de la liste d’attente lorsqu’elle a reçu un premier service de l’intervenant qui lui a été assigné. « Un premier service peut-être une évaluation ou encore une première intervention », précise-t-on. Dans le cas de services spécialisés, le retrait s’effectue après la première consultation avec un psychiatre.

Il y a beaucoup de troubles d'anxiété généralisée, de dépressions majeures — et d'idéations suicidaires qui y sont liées — ainsi que des troubles de stress post-traumatique.

 

Pour améliorer l’offre de soins et de services en santé mentale, le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, a annoncé en novembre un investissement de 100 millions de dollars. De cette somme, 25 millions sont destinés à réduire les listes d’attente grâce à des contrats avec des psychologues du privé.

Six mois plus tard, cette mesure semble avoir peu d’effets, selon la Coalition des psychologues du réseau public québécois. Le nombre de personnes envoyées au privé demeure « limité », indique Karine Gauthier. « Pour l’instant, on parle de 20 patients ou moins par CISSS, selon nos chiffres », dit-elle.

S’il veut réduire les listes d’attente, le gouvernement devra embaucher davantage de psychologues dans le réseau public, croit Karine Gauthier. « La pénurie est vraiment importante, dit-elle, car 40,5 % des psychologues dans le réseau public partent pour le privé dans les cinq premières années de pratique. »

Le salaire est plus élevé et les conditions de travail sont meilleures au privé, d’après Charles Roy. Le président de l’Association des psychologues du Québec s’indigne du fait que des établissements de santé limitent le nombre de séances de psychothérapie à 10 ou 12 pour réduire leur liste d’attente. Il soutient que les patients ont besoin de 17 séances, en moyenne, pour se rétablir. « C’est comme si un chirurgien se faisait dire “tu arrêtes ta chirurgie au bout d’une couple d’heures, même si tu n’as pas fini”, explique Charles Roy. Il n’y a personne qui accepterait de travailler dans ces conditions-là. »

Le MSSS indique que 41 psychologues ont notamment été embauchés dans le cadre du « Plan d’action : services psychosociaux et services en santé mentale en contexte de COVID-19 », lancé en mai 2020.

C'est comme si un chirurgien se faisait dire « tu arrêtes ta chirurgie au bout d'une couple d'heures même si tu n'as pas fini ».

 

Guichets d’accès plus efficaces

La Dre Claire Gamache, présidente du comité accessibilité à l’Association des médecins psychiatres du Québec, croit qu’il faut aussi investir pour rendre les guichets d’accès en santé mentale adulte (GASMA) plus efficaces. Créés en 2008, les GASMA sont la porte d’entrée des services plus spécialisés en santé mentale pour les patients qui consultent un médecin de famille. Un psychiatre répondant y est impliqué.

Selon la Dre Claire Gamache, tous les professionnels doivent apporter leur contribution pour améliorer l’accès à ces guichets. « Quand on est capable de répondre à une demande de patient comme médecin de famille, il ne faut pas l’envoyer au GASMA, dit la présidente de l’Association des médecins psychiatres du Québec élue par acclamation, qui entrera en poste prochainement. Il faut faire son premier bout avec sa travailleuse sociale ou son infirmière en santé mentale en clinique. »

Les psychiatres, eux, doivent être « prêts à discuter de certains patients quand ils ne les ont pas vus », dit la Dre Claire Gamache. « Il faut que les directions de santé mentale de tous les CISSS et CIUSSS se mettent au travail pour exiger que les GASMA fonctionnent bien », poursuit-elle.

La demande pour les soins en santé mentale pourrait bien augmenter au cours des prochains mois. En février, 23 % de la population adulte québécoise présentait des symptômes compatibles avec un trouble d’anxiété généralisée ou une dépression majeure probable, selon une enquête sur les impacts psychosociaux de la pandémie de COVID-19 au Québec, menée par la médecin spécialiste en santé publique Mélissa Généreux.

« C’est seulement 35 % d’entre eux qui disent avoir consulté au sujet de leur santé psychologique dans la dernière année », signale la Dre Mélissa Généreux, professeure à l’Université de Sherbrooke. Parmi les gens ayant songé sérieusement à se suicider (environ 6 %, selon l’étude), la moitié uniquement ont consulté un professionnel.

La pression sur le réseau de la santé pourrait être « forte », conclut-elle, si toutes ces personnes consultaient après avoir été encouragées à le faire.

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