Dans un hôpital de Toronto, des soignants entre épuisement et colère

« On est au bout de nos capacités », lâche Farial Faquiry, une infirmière de 29 ans d’une unité de soins intensifs de l’hôpital Humber River de Toronto, submergé comme le reste de l’Ontario par une redoutable troisième vague de l’épidémie de COVID-19.
La jeune soignante s’occupe de deux patients d’une soixantaine d’années placés sous respirateur.
« On est juste épuisés », témoigne-t-elle, relayant le sentiment de la plupart de ses collègues, qui se disent souvent « impuissants » et parfois en colère, notamment contre les personnes qui ne respectent pas les consignes sanitaires.
Après le Québec, c’est aujourd’hui au tour de l’Ontario d’être l’épicentre au Canada d’une épidémie aggravée par la propagation des variants, plus virulents et désormais majoritaires. Au point que la province a dû se résoudre à appeler l’armée et la Croix-Rouge en renfort.
« Cette vague est bien pire que les deux premières. On voit arriver beaucoup plus de patients, et ils sont plus jeunes et plus gravement malades », indique Kimisha Marshall, l’infirmière en chef.
« Nous sommes à court d’infirmières. Certaines sont parties, d’autres aussi tombent malades », ajoute-t-elle.
Plus de 2200 personnes étaient hospitalisées en fin de semaine dans la province de 14 millions d’habitants. Près de 900 patients se trouvaient en soins intensifs, un pic depuis le début de la pandémie.
Du personnel médical a été redéployé pour prêter main-forte et le transfert de patients vers des zones moins touchées a récemment permis d’alléger certaines des pressions pesant sur l’hôpital torontois.
Mais plus d’un an depuis le début de la pandémie, « l’équipe est fatiguée », explique Raman Rai, la responsable des soins intensifs. Sur les murs de l’unité, quelques dessins d’enfants remerciant les soignants.
« Le sentiment qui l’emporte, c’est la tristesse », dit-elle. « On voit des personnes qui n’ont pas seulement perdu un être cher, mais qui ont perdu plusieurs membres de leur famille. C’est très dur ».
Dans cet hôpital, mercredi, plus de 60 % des patients hospitalisés en soins intensifs étaient atteints de la COVID-19. Dans l’une des chambres, des proches et un prêtre priaient autour du lit d’une malade.
« Frustrée »
Chaque jour, plusieurs patients doivent être placés sous respirateur. Comme cet homme de 52 ans avec un faible taux de saturation en oxygène, intubé par une équipe de quatre soignants intégralement équipés de blouses, de gants, de masques et de visières.
« Il avait tellement peur, il pouvait à peine respirer », explique Melody Baril, qui a réalisé l’intubation. « On essaie de leur donner un peu d’espoir, un peu d’énergie, mais le taux de mortalité est tellement élevé quand on en arrive là. »
Environ 8000 personnes sont mortes en Ontario depuis le début de la pandémie, soit un tiers des décès enregistrés au Canada. La province recense près de 40 % du total des cas dans le pays.
Après un pic mi-avril, le nombre de nouvelles infections quotidiennes est en légère baisse depuis dix jours et la vaccination s’accélère. Pourtant, le nombre de patients en soins intensifs continue d’augmenter.
Craignant de voir la situation se prolonger, certains soignants se disent en colère contre le gouvernement du premier ministre Doug Ford — très critiqué pour sa gestion de la troisième vague — mais aussi contre une partie de la population.
« Je me sens frustrée », explique Sarah Banani, une infirmière de 49 ans. « Je pense que des mesures plus fermes et rapides auraient peut-être pu être prises lorsqu’on a vu les variants s’installer ».
« On a tous le sentiment d’avoir été un peu abandonnés par la société. Beaucoup se sentent impuissants », ajoute Jamie Spiegelman, un médecin. « Quand je sors et que je vois la circulation, les gens dans les centres commerciaux qui ne prennent pas les précautions nécessaires, c’est décevant ».