Avec la COVID-19 aussi, tous les variants mènent au même virus

Fin janvier, deux laboratoires américains — l’un en Louisiane, l’autre au Nouveau-Mexique — comprennent qu’une certaine mutation du coronavirus gagne en fréquence dans les échantillons analysés. Vaughn Cooper, un biologiste qui consacre sa carrière aux questions reliées à l’évolution, fait partie des scientifiques impliqués. Une rapide vérification lui permet de comprendre que d’autres laboratoires observent la même tendance ailleurs au pays.
« Assez vite, nous avons réalisé qu’il y avait au moins sept lignées indépendantes qui comportent cette mutation », raconte ce professeur de microbiologie et de génétique moléculaire à l’Université de Pittsburgh. « Quand j’ai appris cela, je savais tout de suite que nous avions devant les yeux un exemple d’évolution convergente digne d’un manuel scolaire. »
Depuis la fin de l’automne dernier, des variants plus transmissibles du coronavirus responsable de la COVID-19 enfoncent leurs griffes d’un continent à l’autre. Chacune de ces versions du SRAS-CoV-2 possède quelques mutations clés qui modifient son potentiel infectieux. Or, plusieurs scientifiques croient que ces mutants vont à terme aboutir à la même destination génétique.
Une telle « évolution convergente » est un phénomène récurrent dans la nature. Par exemple, les hippopotames et les crocodiles sont tous deux munis d’yeux et de narines situés sur le sommet de leur crâne, sans que cela découle d’un ancêtre commun. Cette caractéristique physique, inscrite dans leurs gènes, s’est imposée chez les deux espèces en raison des avantages qu’elle procure pour leur survie et leur reproduction.
Les variants du SRAS-CoV-2 sont aussi sujets à des pressions environnementales, mais à leur échelle. De la trentaine de protéines qui composent le virus, celle constituant ses petits pics est la plus importante du point de vue de son évolution. Cette protéine « S », pour spicule, contient des centaines d’acides aminés organisés dans un ordre dicté par le code génétique du virus.
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La mutation qui fait l’objet d’un récent article scientifique de Vaughn Cooper et ses collègues est nommée 677H. Il s’agit de l’implantation d’une histidine (abrégé par H) à la 677e position de la séquence d’acides aminés de la protéine du spicule. La souche originale du virus dispose plutôt d’une glutamine (Q) à cette position. Selon leur analyse, cette mutation est apparue spontanément à plusieurs reprises aux États-Unis.
La mutation 677H serait l’une des dix mutations qui, selon M. Cooper, sont véritablement capables d’accroître la transmission du virus dans une population non immunisée. Certes, d’autres mutations importantes pourraient encore poindre, mais la sélection naturelle aurait, selon lui, commencé à avoir fait le tour du jardin.« Je prévois avec beaucoup de confiance que nous verrons d’autres lignées comportant ces quelques mutations évoluer indépendamment dans différentes régions du monde », dit-il en entretien vidéo.
« C’est clair qu’il y a de l’évolution convergente, observe également Jesse Shapiro, spécialiste de l’évolution des populations microbiennes à l’Université McGill. Plusieurs mutations, qu’on commence à bien connaître, réapparaissent de manière indépendante dans différentes branches de l’arbre phylogénétique du coronavirus. »
On constate aussi au Québec certains signes d’une évolution convergente du SRAS-CoV-2. Sandrine Moreira, la responsable de la génomique et de la bio-informatique au Laboratoire de santé publique du Québec, indique que la mutation 677H est maintenant présente dans différentes lignées québécoises. Difficile de dire, cependant, si cette mutation a été importée au Québec par des voyageurs ou si elle est apparue spontanément dans la province.
Mme Moreira doute cependant que nous connaissions déjà les principales mutations vers lesquelles le virus convergera. « Il y a certaines combinaisons qui marchent bien pour lui, mais il va continuer à évoluer », dit-elle, notant que la cadence de création des nouvelles lignées ne ralentit pas.
Une autre des mutations cruciales et récurrentes est E484K. Cette mutation, qui a reçu le surnom « Eek », est présente chez les variants sud-africain (B.1.351) et brésilien (P.1). Elle ne touche normalement pas le variant britannique (B.1.1.7), mais les laboratoires de santé publique du Royaume-Uni ont tout de même séquencé des dizaines d’échantillons où Eek avait fait son apparition dans le variant B.1.1.7. Au Québec, on a aussi trouvé « une poignée » de variants britanniques qui en étaient munis.
Le variant B.1.1.7, dont la version la plus commune contient déjà la plupart des dix mutations évoquées par Vaughn Cooper, pourrait « mener la voie » vers la convergence évolutive. « Ma prévision, dit le professeur américain, c’est que, dans six mois, B.1.1.7 sera dominant à l’échelle mondiale. Seules quelques autres lignées possédant la majorité des mêmes mutations existeront en parallèle. Et rendu là, on verra ce qui arrive. »
Car dans six mois, certains pays comme le Canada auront vacciné la majorité de leur population. Dès lors, « l’environnement » du virus (c’est-à-dire nos corps) deviendra bien différent. Seuls les mutants capables de contourner nos défenses immunitaires sauront se multiplier. De nouvelles mutations leur conféreront un avantage de transmissibilité dans ce nouveau contexte. Déjà, la mutation Eek semble associée à un certain échappement vaccinal en Afrique du Sud.
L’évolution du virus dépend des changements dans son environnement, mais aussi du nombre de personnes infectées. Chaque unité supplémentaire de virus augmente le nombre de multiplications de son matériel génétique. Et chaque multiplication supplémentaire augmente les possibilités de mutations. Une lignée de virus adopte une nouvelle mutation tous les 10 à 15 jours.
« Le pire scénario, explique M. Shapiro,c’est d’avoir beaucoup de personnes vaccinées qui sont exposées à beaucoup de virus. » Dans ce cas de figure, les nouveaux mutants du coronavirus peuvent apparaître dans le bassin de personnes infectées. Puis, ceux qui savent contourner l’immunité des personnes vaccinées sautent dans le buffet à volonté. Si cela devait survenir, il serait nécessaire d’adapter les vaccins à ces nouveaux variants. La technologie d’ARN messager, utilisée par Pfizer et Moderna, rend heureusement cette mise au point aisée.
Le professeur Cooper souligne que des chercheurs ont déjà dressé la liste de quelques mutations potentielles qui pourraient aider le virus à échapper aux vaccins actuels. La mutation Eek en faisait partie. « Nous ne savons pas à quoi ressemblera la fin de partie, dit-il. Pour limiter le nombre de coups que le virus peut faire, il faut limiter le nombre d’infections. »