Cri du coeur des travailleurs de première ligne «oubliés»

Les technologues en imagerie et en électrophysiologie médicales effectuent quotidiennement les examens qui permettent de diagnostiquer et de faire le suivi des patients ayant contracté la COVID-19. Or, ils ne sont pas reconnus comme des travailleurs « de première ligne » aux yeux du gouvernement et n’ont pas droit aux mêmes avantages pécuniaires que d’autres professionnels du réseau de la santé au front depuis le début de la pandémie.
Depuis plusieurs mois, ils tentent de revendiquer leur droit à la prime d’exposition à la COVID-19 de 4 % octroyée aux professionnels de la santé œuvrant « en première ligne », ainsi qu’à la prime d’attraction et de rétention octroyée au personnel des centres hospitaliers situés en « zone chaude », qui peut atteindre jusqu’à 1000 $ par mois.
Pendant près de cinq mois en 2020, Jude Donacin a été appelé à faire des quarts de nuit à l’urgence de l’hôpital de la Cité-de-la-Santé situé à Laval, l’un des établissements les plus touchés dans la province lors de la première vague de COVID-19. Travaillant en « zone rouge », le technologue en électrophysiologie médicale d’origine haïtienne a été régulièrement en contact avec des patients infectés par le virus ou soupçonnés de l’avoir contracté.
« C’est injuste que nous n’ayons pas droit à ces primes, car nous portons le même risque que les infirmiers et les préposés qui travaillent avec des patients COVID. Même les travailleurs en entretien ménager qui n’ont pas de contact avec des patients les reçoivent, mais pas nous autres », soutient M. Donacin, qui déplore l’épuisement des technologues qui mettent les bouchées doubles pour éviter une rupture de service.
« Lorsque des collègues sont mis en isolement préventif, le reste des employés doivent combler les besoins du département. On a travaillé les fins de semaine et beaucoup d’heures supplémentaires durant la semaine, c’était assez dur à vivre », poursuit M. Donacin, qui estime que les actions des technologues pour revendiquer leur droit aux primes n’a pas eu assez d’effets jusqu’à présent pour faire bouger les choses.
« On essaie d’être diplomates dans les actions qu’on pose pour éviter d’être réprimandés ou avoir des sanctions qui pourraient nuire à nos opportunités de carrière », note-t-il.
« Inégalité intense »
Sa collègue Mélissa Boissonneault renchérit dans la même direction. « Ça va faire un an qu’on attend une réponse concrète au gouvernement pour savoir pourquoi nous ne touchons pas aux primes », dit la technologue en électrophysiologie du même hôpital à Laval.
« Nous avons été au front dès le début de la pandémie à l’urgence et aux soins intensifs, avec les mêmes conditions de travail que les infirmières ou les préposés, mais sans droit aux mêmes conditions salariales », dénonce-t-elle, précisant que tous les patients soupçonnés d’avoir la COVID-19 doivent passer des tests effectués par les technologues de l’hôpital.
« C’est ironique car, si un préposé doit faire un ECG au triage parce qu’on manque de personnel, il reçoit ses primes même s’il n’a pas la formation adéquate pour faire ou interpréter cet examen. Il y a une inégalité intense, c’est une aberration », lance-t-elle.
Les technologues de l’hôpital de la Cité-de-la-Santé ont lancé un cri du cœur vers le ministère le mois dernier en envoyant une centaine de lettres aux différents représentants. « Nous avons ajouté des petits brillants pour symboliser le virus qui est petit, volatil et se faufile partout », explique Mme Boissonneault, qui est l’autrice de la lettre. « En espérant qu’ils [les brillants] vous rappelleront notre dévouement face à cette crise, à chaque fois que vous allez constater leurs présences », peut-on lire en fin de texte.
« On ne sait plus quoi faire pour que le gouvernement nous écoute. À un moment donné, il va falloir qu’on arrête de travailler pour qu’on reconnaisse qu’il n’y a pas juste des médecins, des infirmiers et des préposés dans un hôpital », insiste-t-elle, soulignant la difficulté à trouver de la relève chez les technologues, dont le taux de démission est supérieur à 30 %.
Des pétitions ignorées
« Nous sommes souvent appelés à faire des rayons X au chevet des patients aux soins intensifs pour voir le progrès de leurs poumons, certains de mes collègues peuvent faire jusqu’à dix patients par jour aux soins intensifs, sans compter les autres étages », affirme Carine Nkulu, technologue en imagerie médicale à l’hôpital Santa Cabrini.
« Nous pouvons nous retrouver aux côtés des inhalothérapeutes et des infirmières dans la salle d’opération, mais nous ne sommes pourtant pas considérés comme courant le même risque qu’eux », dénonce la travailleuse originaire du Congo. « Quand les patients arrivent en détresse, nous sommes au front, il n’y a pas de journée où nous ne sommes pas en contact avec des patients qui ont la COVID-19 », ajoute-t-elle découragée.
Les technologues se mobilisent pour demander la reconnaissance du gouvernement de leur droit aux primes. Une pétition en ligne a été créée sur le site de l’Assemblée nationale du Québec. D’autre part, une pétition collective envoyée par écrit au ministère a recueilli près de 500 signatures. Enfin, la page Facebook « Regroupement de technologues sans prime » compte plus de 2000 membres à ce jour.
Louise Giguère, technologue en électrophysiologie médicale à l’Hôtel Dieu à Québec indique que plusieurs lettres ont été envoyées également au ministère de la Santé ainsi qu’au directeur général de l’institution. « La seule réponse que nous avons eue est de faire affaire avec notre syndicat », note-t-elle.
Mme Giguère souligne que les technologues peuvent avoir à faire « une quinzaine d’examens par jour » et, malgré cela, ils se voient toujours refuser la prime de 4 %. « On n’est pas considérés être assez à risque, même si nous devons porter un masque N95 pendant tout le quart de travail aux urgences et nous devons travailler à une grande proximité avec les patients pour réaliser les examens », signale celle qui a été testée pour la COVID-19 13 fois de septembre à octobre en raison de son exposition aux patients positifs. « Il y a des technologues qui ont été testés près d’une vingtaine de fois. On est fatigués et essoufflés », dénonce-t-elle.
Soutien du syndicat et de l’Ordre
« On a l’impression que le gouvernement connaît mal le réseau, car il n’y a aucune raison qui explique que les technologues ainsi que tous les emplois de la catégorie 4, mis sur le feu de la rampe avec l’arrivée de la COVID, soient oubliés », dit Steve St-Onge, représentant national à l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS).
« On est en négociation pour le renouvellement de la convention collective et on a tenté d’amener le sujet de la prime auprès du Conseil du trésor, mais on n’a aucune réponse concrète. C’est dans le néant », dit M. St-Onge, qui souligne que la demande de reconnaissance des technologues, c’est une revendication d’équité.
« On a un coup de barre à donner pour redresser l’état de notre réseau de santé publique. On s’est rendu compte cette année à quel point un pays s’en sort si son réseau est fort », conclut M. St-Onge.
La présidente du conseil d’administration de l’Ordre des technologues en imagerie médicale, en radio-oncologie et en électrophysiologie médicale du Québec, Mélanie Ratelle, réitère de son côté l’épuisement des membres, mobilisés pour prêter main-forte au dépistage et désormais appelés en renfort pour la vaccination. « La qualité des services au public passe aussi par le bien-être de nos professionnels », s’inquiète-t-elle.
« On n’est pas partie prenante des négociations ni des mobilisations de nos membres, mais on comprend leurs revendications », affirme Mme Ratelle. Au 3 mars 2021, l’Ordre compte 6671 membres, dont 205 provenant d’un autre pays que le Canada.