Programme québécois pour les troubles mentaux: intéressant, mais insuffisant
Collaboration spéciale

Ce texte fait partie du cahier spécial Santé mentale
S’ils saluent l’initiative du Programme québécois pour les troubles mentaux (PQPTM), des experts estiment néanmoins que l’approche comporte ses limites.
« Sur papier, c’est intéressant, parce que c’est une gamme de services qui correspond à une diversité de besoins de personnes qui requièrent des services en santé mentale », résume la présidente de l’Ordre des psychologues du Québec, la Dre Christine Grou.
Inspiré d’une initiative déjà existante en Angleterre, le PQPTM consiste en un modèle de soins par étapes, allant des autosoins guidés à l’accès à la psychothérapie. Le programme, dont les deux premières étapes sont actuellement déployées dans le réseau de la santé, s’adresse à ceux qui éprouvent des symptômes ou un trouble anxieux ou dépressif. Cette clientèle représente près de 65 % des personnes qui consultent en santé mentale, fait savoir par courriel une porte-parole du ministère de la Santé et des Services sociaux, Noémie Vanheuverzwijn.
« Ça fonctionne quand même très bien, pourvu qu’ils soient implantés de façon cohérente dans un système où il y a une prise en charge globale de la population et que chacune des étapes soit respectée », précise Martin D. Provencher, psychologue et professeur titulaire à l’école de psychologie de l’Université Laval.
Selon Réal Labelle, psychologue et professeur titulaire au Département de psychologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), l’approche présente une vision intégrée des services. Il estime néanmoins que l’accès à la psychothérapie ne s’en trouve pas facilité. « En Angleterre et en Australie, ils ont proposé des protocoles et ont injecté beaucoup d’argent en psychothérapie. Ce n’est pas le cas ici », souligne-t-il.
Actuellement, le délai d’attente varie entre 6 et 24 mois avant une rencontre avec un psychologue, selon la Coalition des psychologues du réseau public québécois. L’organisation évalue également à 895 le nombre de psychologues manquants dans le réseau d’ici 2023.
Des autosoins pour troubles légers
Selon M. Labelle, le PQPTM risque de donner lieu à de « très grands dérapages » et nécessite une clarification de l’application des autosoins. « Le premier danger est de faire croire à la population que l’autosoin peut remplacer la psychothérapie », note-t-il.
Il ajoute que, si cette méthode peut être employée pour prendre en charge des symptômes d’intensité légère, elle ne convient pas du tout aux troubles plus graves. « Une autre forme de dérive qui pourrait arriver serait, lorsqu’on tombe dans des troubles de psychologie assez sévères ou importants, qu’on fasse croire aux gens que ça peut être efficace. C’est totalement inefficace, voire dangereux, pour les crises », prévient-il.
M. Provencher abonde en ce sens. « Les autosoins, ce n’est pas un traitement de la dépression, ou de l’anxiété sévère, ou de la gestion de crise, ou du risque suicidaire, dit-il. Maintenant, ce n’est pas parce qu’il faut plus de psychologues qu’il ne faut pas aussi développer en parallèle des traitements d’autosoins. Ce n’est pas l’un ou l’autre. »
Cette approche est davantage axée sur la prévention et l’éducation à la santé mentale, ajoute Mme Grou. Elle souligne l’importance de disposer des ressources suffisantes pour offrir le traitement adapté à chaque patient. « Il faut s’assurer d’évaluer correctement le besoin des personnes et qu’elles ne se retrouvent pas sur des listes d’attente à n’en plus finir par la suite », avertit-elle.
Faciliter l’accès
À terme, le PQPTM vise à permettre aux personnes aux prises avec des symptômes ou un trouble mental de recevoir un service adapté au moment opportun, selon le MSSS.
Mais le programme actuel donne l’impression à plusieurs que, hormis les stratégies d’autogestion, il n’existerait pas d’autres niveaux d’intensité de soins coordonnés, souligne M. Provencher. « C’est ça que les gens critiquent et je les comprends. Vous avez beau rejoindre la majorité de la population, si votre premier niveau de soin est insuffisant, vous ne serez pas plus avancé », constate-t-il.
Il y a « beaucoup de danger et d’illusions » dans le fait de dire que ça donne accès à la psychothérapie, croit M. Labelle. « C’est comme si on vous donnait un billet de cinéma, mais qu’on vous faisait patienter dans la salle d’attente. Ça ne vous donne pas accès au cinéma, dit-il. Il faut qu’on donne accès à la psychothérapie au grand public. C’est ça, l’enjeu majeur. C’est qu’actuellement, on y a accès, mais uniquement au privé. »
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