Des centres d’intervention en dépendance proches de fermer
De nombreux centres offrant des thérapies pour alcoolisme et toxicomanie au Québec se trouvent dans une situation financière précaire, en raison de la pandémie de COVID-19. Certains envisagent même de fermer leurs portes. Ils réclament de l’aide supplémentaire du gouvernement Legault.
Jean de Fonvieille dirige la Maison Nouvelle Vie, un centre d’intervention en dépendance situé à Ham Sud, en Estrie. Il craint de devoir mettre fin aux activités de l’organisme qu’il a fondé en 2008. « Présentement, selon nos évaluations, on peut tenir le coup jusqu’au mois de juin environ », estime-t-il.
La Maison Nouvelle Vie offre des cures fermées d’une durée de trois mois aux personnes aux prises avec un problème d’alcool ou de drogue. Afin de respecter la distanciation sociale, l’organisme a dû réduire sa capacité d’accueil, qui est passée de 28 à 18 lits. « Nos revenus ont été réduits d’environ 40 % », dit Jean de Fonvieille.
Mais les dépenses de l’organisme communautaire demeurent aussi élevées qu’auparavant. « Avec 28 ou 18 lits, on doit avoir le même nombre de personnel, d’intervenants, pour satisfaire aux exigences de la certification des RHD [ressources d’hébergement en dépendance] », explique Jean de Fonvieille.
Son budget « alimentation » s’est également maintenu, malgré le plus faible nombre de personnes hébergées. « On a dû interdire les sorties de fin de semaine [en raison du confinement] », explique-t-il. Davantage de repas sont donc distribués.
Besoin d’aide financière
La survie de la Maison Carignan, un centre de thérapie de Trois-Rivières qui vient en aide à des alcooliques et à des toxicomanes, est aussi menacée. Ses revenus ont fondu depuis le début de la pandémie.
« S’il n’y a pas de mesure [d’aide financière] supplémentaire, je ne passe pas une autre année », signale sa directrice générale, Valérie Piché. L’organisme, qui existe depuis une trentaine d’années, pourrait même suspendre ses services dès cet automne, selon elle.
La Maison Carignan est confrontée au même problème que la Maison Nouvelle Vie. Distanciation sociale oblige, elle peut héberger 55 personnes actuellement, contre 98 en temps normal. Cette perte de clientèle se traduit par une chute de revenus, qui n’a pas été compensée par l’aide financière de Québec, selon Mme Piché.
On est un peu les oubliés au niveau de la santé mentale
À la fin avril, le gouvernement Legault a annoncé l’octroi de trois millions de dollars aux ressources communautaires ou privées offrant de l’hébergement en dépendance. Cette somme avait pour but de rembourser les dépenses supplémentaires liées à la pandémie, comme l’achat de masques et de Plexiglas, et non les pertes, déplore Valérie Piché.
« C’est très malheureux, se désole Anne Elizabeth Lapointe, directrice générale de la Maison Jean Lapointe. On est un peu les oubliés au niveau de la santé mentale. »
La Maison Jean Lapointe, située à Montréal, a dû fermer ses portes au début de la pandémie pour se conformer aux mesures sanitaires. Le centre privé offre désormais des services de traitement de façon virtuelle et accueille des clients dans son établissement. Le nombre de ses lits d’hébergement a été réduit de moitié en raison de la pandémie.
« C’est un énorme trou dans mon budget, déplore Mme Lapointe. Ce qui nous sauve, c’est le gouvernement fédéral avec la subvention salariale d’urgence, qui nous aide à payer les salaires. » La Maison Carignan et la Maison Nouvelle Vie bénéficient aussi du programme d’Ottawa.
Pour Anne Elizabeth Lapointe, le gouvernement Legault doit soutenir davantage les centres de dépendance. Leur rôle est crucial, croit-elle. « La consommation a augmenté au Québec depuis le début de la pandémie. On se doute que des gens aimeraient pouvoir avoir de l’aide. »
La liste d’attente s’allonge à la Maison Jean Lapointe. Le délai pour entreprendre une thérapie est de trois semaines. « Normalement, je n’ai jamais d’attente », affirme Mme Lapointe.
Il faut dire que la prise en charge d’une personne alcoolique ou toxicomane doit être rapide, puisque la motivation pour entreprendre un traitement est « très éphémère », explique-t-elle. « Les gens se parlent, puis ils vont se dire “finalement, je suis peut-être capable encore par moi-même” et donc la motivation diminue », dit Mme Lapointe.
Précarité perpétuelle
Au cabinet du ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, on reconnaît que « les centres de dépendance jouent un rôle essentiel pour accompagner les personnes qui en ont besoin » et on rappelle que « la pandémie représente un défi pour de nombreux secteurs ».
« C’est d’ailleurs pourquoi notre gouvernement a annoncé 3 millions de dollars lors de la première vague, afin d’accompagner ces organisations dans leur mission », écrit l’attachée de presse du ministre, Sarah Bigras, dans un courriel. Jusqu’à présent, 2,5 millions de dollars, sur les 3 millions, ont été versés à 78 RHD, précise le cabinet.
Le ministre Carmant a aussi offert en août une aide d’urgence aux centres de dépendance qui bénéficient du Programme de soutien aux organismes communautaires.
Des sommes bienvenues qui ne règlent toutefois pas la situation de précarité perpétuelle des centres, d’après Bruno Ferrari, président du comité permanent des RHD à l’Association québécoise des centres d’intervention en dépendance.
M. Ferrari explique que les ressources d’hébergement offrent gratuitement des thérapies aux personnes bénéficiant de l’aide sociale. « En échange de cet accueil gratuit, on a un financement garanti par le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité, qui nous paye 54,75 $ par jour [pour l’hébergement d’une personne] », indique le directeur général de Vilavi, un centre situé à Terrebonne.
À cette somme s’ajoute un montant d’environ 12 $ offert par le ministère de la Santé et des Services sociaux, précise-t-il. « Cela nous amène à un total de 66,75 $, calcule Bruno Ferrari. Mais nous, ça fait dix ans que nos coûts d’exploitation sont de 92 $ par jour. »
Pour maintenir son organisme en vie, Jean de Fonvieille prévoit lancer une campagne de financement virtuelle. Il espère tout de même que le gouvernement québécois lui viendra en aide.
Et dans le réseau public?
La pandémie de COVID-19 influe sur l’accès aux services en dépendance offerts par le réseau de la santé à Montréal. Actuellement, 75 % des usagers qui demandent de l’aide font l’objet d’une évaluation spécialisée dans les 15 jours ouvrables, indique Martin Camiré, directeur adjoint du continuum dépendance du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, responsable de chapeauter ces services sur le territoire montréalais. « On était à 90 ou 95 % à la même période l’an passé », dit-il. Une fois l’évaluation complétée, les usagers doivent patienter deux semaines avant de commencer un traitement en milieu interne, selon M. Camiré. Le CIUSSS explique ces délais par la suspension d’activités lors de la première vague. Plus d’une centaine d’employés, oeuvrant dans le secteur de la dépendance, ont dû être réaffectés au printemps afin de prêter main-forte en CHSLD et à l’ancien hôpital Royal Victoria. Pour réduire l’attente, le CIUSSS recourt davantage à l’intervention de groupe, de façon téléphonique ou virtuelle. De nouveaux postes seront aussi affichés.