Hausse des psychoses toxiques chez les itinérants à Montréal

Le chef de service de l’urgence psychiatrique de l’Hôpital Notre-Dame, le Dr Stéphane Proulx, est préoccupé par cette nouvelle tendance apparue lors de la deuxième vague.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Le chef de service de l’urgence psychiatrique de l’Hôpital Notre-Dame, le Dr Stéphane Proulx, est préoccupé par cette nouvelle tendance apparue lors de la deuxième vague.

De plus en plus d’itinérants à Montréal font des psychoses après avoir consommé des amphétamines ou des méthamphétamines comme du speed et du Crystal meth. C’est ce que constatent des psychiatres de l’Hôpital Notre-Dame. La mission Old Brewery, qui vient en aide aux sans-abri, observe le même phénomène.

Le chef de service de l’urgence psychiatrique de l’Hôpital Notre-Dame, le Dr Stéphane Proulx, est préoccupé par cette nouvelle tendance apparue lors de la deuxième vague. « Avant, on avait quelques patients par semaine qui se présentaient ici avec des symptômes psychotiques secondaires à l’utilisation d’amphétamines et de méthamphétamines, dit le psychiatre. Maintenant, on en a à peu près un par jour, des fois deux. »

Ces patients, des itinérants, ont parfois un trouble de santé mentale diagnostiqué, comme de la schizophrénie. Leurs symptômes psychotiques sont exacerbés par la drogue, explique le Dr Stéphane Proulx. « Il y a aussi des patients qui n’ont pas d’antécédent psychiatrique », précise-t-il.

Le Dr Stéphane Proulx peine à expliquer cette hausse de cas. « Les mesures actuelles [de confinement] sont difficiles pour tout le monde, dit-il. Je pense que la population itinérante a de la difficulté à se trouver des places [en refuge]. Cela fait en sorte que ces gens en situation d’itinérance sont encore plus précaires. Il y a peut-être une augmentation de la consommation reliée à cela. »

Beaucoup de personnes sans-abri se sont présentées ces derniers temps à la Mission Old Brewery en « état de consommation et en psychose toxique », selon la directrice adjointe et responsable clinique Mélanie Richer. « La plupart me disent qu’ils ont pris des méthamphétamines », indique-t-elle.

Le refuge les accueille malgré tout. « On les garde sous observation à la cafétéria », dit Mélanie Richer. Ils ont accès à un lit lorsque les effets de la drogue se dissipent et que leur état ne pose pas d’enjeu de sécurité.

Consommation en hausse

 

La Dre Marie-Eve Morin, médecin de famille œuvrant en dépendance et en santé mentale, n’est pas étonnée de cette augmentation des psychoses toxiques chez les itinérants. Beaucoup de ses patients qui avaient cessé de prendre de la drogue ont fait des rechutes depuis le début de la pandémie. D’autres ont augmenté leur consommation.

« Le confinement provoque de l’isolement, qui déclenche de l’anxiété et des symptômes dépressifs », dit la Dre Marie-Eve Morin. Des gens s’automédicamentent et se tournent vers la drogue pour apaiser leur douleur. « Ce n’est pas tout le monde qui fait du yoga ou de la méditation pour se calmer », fait-elle remarquer.

La Dre Marie-Eve Morin rappelle que les speeds circulent abondamment au Québec. « Un comprimé ne coûte qu’un ou deux dollars », indique-t-elle.

Des jeunes sans-abri ont modifié leur consommation depuis le début de la pandémie, selon Josée-Anne Kozel, coordonnatrice de l’équipe mobile jeunesse de l’organisme Dans la rue. Avec la fermeture des frontières et les restrictions liées aux déplacements, « l’approvisionnement est difficile », rapporte-t-elle. « Les gens se retrouvent à consommer un peu n’importe quoi, ce qui amène beaucoup des bad trip », dit-elle.

Certains jeunes basculent. « Des personnes qui arrivaient parfois à se maintenir en logement, grâce à une routine, grâce au fait qu’elles se rendaient dans des organismes communautaires, ont parfois dépéri à cause de la COVID », note Josée-Anne Kozel.

Des ressources d’aide ont dû diminuer leur capacité d’accueil pour respecter les mesures sanitaires. Des itinérants n’y ont plus accès. « La routine permettait à ces gens de se stabiliser, d’avoir un ancrage dans la réalité », précise Josée-Anne Kozel.

Une quarantaine à l’urgence psychiatrique

Malgré cette hausse de psychoses toxiques observée, les unités de psychiatrie de la métropole ne sont pas débordées, assure Jason Champagne, directeur à la Direction des programmes santé mentale et dépendance au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’île-de-Montréal. « Il ne manque aucun lit actuellement à Montréal en psychiatrie non-COVID et psychiatrie COVID positive », dit-il.

Les services à l’Hôpital Notre-Dame ont toutefois été adaptés en raison de l’augmentation des cas de COVID-19 chez les sans-abri. Afin de prévenir les éclosions, les itinérants devant être hospitalisés pendant une longue période pour des problèmes de santé mentale sont maintenant isolés de façon préventive pendant 14 jours (plutôt que 7 pour les patients non-itinérants) à l’urgence psychiatrique, une zone jaune, indique le Dr Stéphane Proulx. Si deux tests de dépistage s’avèrent négatifs, ils sont transférés dans une unité psychiatrique verte.

« Ça demande beaucoup d’adaptation pour le personnel et les patients, dit le Dr Stéphane Proulx. Les patients ne peuvent même pas mettre le pied dans le corridor. Ils sont isolés dans leur chambre. Il n’y a pas de télévision. Il faut rivaliser d’originalité pour être capable que leur séjour ne soit pas trop pénible. » L’urgence psychiatrique s’est dotée d’une dizaine de tablettes et de livres afin que les patients puissent se divertir.

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