Des médecins réaffectés pour aider les infirmières
Confronté à une grave pénurie d’infirmières, le ministère de la Santé et des Services sociaux encourage les hôpitaux à réaffecter des médecins disponibles en raison du délestage et à leur confier des tâches d’infirmières, comme la distribution de médicaments. C’est ce qu’indique une lettre obtenue par Le Devoir et destinée aux présidents-directeurs généraux des CIUSSS et des CISSS de Montréal, de Laval, de la Montérégie, de Lanaudière et des Laurentides.
« Nous vous invitons à considérer activement la réaffectation médicale pour élargir la pratique dans un but de libérer du temps infirmier », écrit la sous-ministre adjointe au ministère de la Santé et des Services sociaux, la Dre Lucie Opatrny.
Pour aider les infirmières, les médecins pourraient prendre des signes vitaux « si nécessaire », être accompagnés d’un autre médecin (et non d’une infirmière) lors d’une intervention auprès d’un patient et « assurer des tâches médicales élargies, y compris des tâches traditionnellement attribuées aux infirmières », poursuit la Dre Lucie Opatrny.
Dans sa lettre envoyée le 8 janvier, la sous-ministre souligne que, « malgré le délestage important, l’enjeu des ressources humaines demeure majeur ». Selon le MSSS, 7757 travailleurs du réseau sont actuellement absents en raison de la COVID-19. Environ 40 % d’entre eux sont atteints de la maladie ou sont en processus de dépistage. Les 60 % restant ont été retirés du travail de façon préventive.
À l’hôpital Charles-Le Moyne, situé à Greenfield Park, le personnel infirmier est « en nombre critique », d’après la Dre Mélissa Ranger, qui pratique à l’urgence. Selon elle, l’établissement envisage de demander à des médecins d’effectuer des tâches d’infirmières. « Par exemple, au lieu qu’il y ait un gastro-entérologue avec une infirmière pour faire une endoscopie, ça pourrait être deux médecins ensemble pour libérer l’infirmière », dit l’urgentologue, qui a participé à une réunion où le sujet a été abordé.
D’après la Dre Mélissa Ranger, d’autres scénarios sont à l’étude pour augmenter les effectifs infirmiers dans son centre hospitalier. « On essaie de voir si tout le personnel qui a déserté l’urgence dans les derniers mois, les dernières années, s’il y a moyen de le réembaucher, dit la médecin. C’est en discussion, ça aussi. »
Comme à la première vague
Invitée à réagir, la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) affirme avoir « invité ses médecins à participer à l’effort de guerre ».
« Nous étions présents dans les CHSLD [lors de la première vague], nous serons présents là où les infirmières manquent », écrit la FMSQ dans un courriel. « Les médecins pourront donc être déployés dans les unités de soins COVID-19, aux soins intensifs, en bloc opératoire, en soins palliatifs, etc. Ils participeront aussi aux tâches médico-administratives en lien avec la pandémie et la situation actuelle, telles la gestion et la priorisation des lits. »
« Mais on n’est pas rendus là, à ce que les médecins fassent des tâches de nursing », pense le Dr Germain Poirier, chef des soins intensifs à l’hôpital Charles-Le Moyne. Il rappelle qu’un médecin « ne pourra jamais remplacer à 100 % une infirmière ».
À Montréal, le manque d’infirmières est criant. Il est d’autant plus problématique que le réseau de la santé a annoncé mercredi que 353 lits, dont 43 aux soins intensifs, seront ajoutés dans les hôpitaux montréalais afin d’accueillir des patients atteints de la COVID-19.
Le Dr Gilbert Boucher, président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence au Québec, croit que le gouvernement doit envisager l’envoi en renfort d’infirmières des régions vers Montréal. « Au mois d’octobre et en novembre, on avait envoyé du personnel pour aller aider au Saguenay–Lac-Saint-Jean parce qu’ils vivaient une crise aiguë, dit-il. Là, je vous dirais que c’est peut-être le cas pour Mont-réal. Il va peut-être falloir que [Québec] pense à aller chercher les travailleurs d’ailleurs pour venir nous aider. »
En point de presse jeudi, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, a indiqué que cette solution est envisagée, comme plusieurs autres. Le gouvernement a récemment lancé un programme avec bourses, visant à inciter les étudiants inscrits au baccalauréat en sciences infirmières à travailler dans le réseau public dès le mois de janvier. « On est rendus à plus de 500 inscriptions », a-t-il dit.
La présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec, Nancy Bédard, croit pour sa part que Québec devrait exiger des agences privées que leur personnel travaille de soir, de nuit et la fin de semaine, et pas seulement de jour durant la semaine. « On a un exode majeur vers les agences privées, soutient-elle. On a une cohabitation de plus en plus importante [d’employés du public et du privé] dans les établissements. »
En attendant que cela se fasse, Nancy Bédard espère que les soignantes qui seront redéployées aux soins intensifs, aux urgences et dans les unités de COVID-19 en raison du délestage actuel seront bien accompagnées et soutenues dans leurs nouvelles tâches.
« Il faut éviter que ces gens partent en [congé de] maladie, qu’ils quittent le réseau, dit-elle. Ils vivent beaucoup d’anxiété. Si vous ne donnez pas les soins appropriés de la bonne façon, vous êtes responsable. C’est ce que dit le code de déontologie. »
La FMSQ, elle, souligne que l’objectif de ses membres demeure « d’opérer et soigner le plus de gens possible ». Et non de « reporter éternellement 100 000 endoscopies retardées ».