L’opération canadienne de vaccination pourrait se dérouler plus vite que prévu

La vaccination ira peut-être encore plus vite que promis. Si le gouvernement fédéral espère encore vacciner tous les Canadiens qui le désirent d’ici septembre, il pense maintenant être capable d’en avoir vacciné 20 millions quelque part entre les mois d’avril et de juin.
Le premier ministre Justin Trudeau a annoncé que le Canada avait exercé une partie de ses options d’achat pour obtenir 20 millions de doses supplémentaires du vaccin de Pfizer-BioNTech. Cela portera à 80 millions le nombre de doses disponibles des vaccins de Pfizer et Moderna d’ici la fin de l’année 2021.
« D’ici la mi-printemps, soit entre avril et juin, nous aurons assez de doses pour vacciner jusqu’à 20 millions de personnes », a affirmé M. Trudeau. Étant donné qu’il y a environ 31 millions de Canadiens de 18 ans et plus, c’est donc dire que les deux tiers de la population vaccinable le seraient d’ici l’été.
L’objectif d’Ottawa est de recevoir six millions de doses d’ici la fin mars, et donc de vacciner trois millions de personnes. « Lorsque nous entrerons dans le second et le troisième trimestre de l’année [NDLR : à partir d’avril], les Canadiens verront une accélération importante du rythme de livraison des vaccins », a promis la ministre responsable des Approvisionnements, Anita Anand. Par exemple, au moins deux millions de doses qui devaient être livrées entre juillet et septembre le seront plutôt entre avril et juin.
Le Québec obtiendra sa part au prorata de sa population comme c’est déjà le cas. Le gouvernement Legault presse le gouvernement fédéral de lui envoyer davantage de vaccins puisqu’il veut protéger environ un million de personnes vulnérables à la COVID-19 d’ici la fin du mois de mars, si l’on se fie au calendrier du ministère de la Santé. Il a déjà utilisé 86 % des 115 375 doses reçues et prévoit d’en obtenir 80 800 nouvelles de mercredi à vendredi.
Or, les conclusions du Comité consultatif national de l’immunisation (CCNI) sur l’intervalle à respecter entre les deux doses de vaccin pourraient changer la donne. À l’instar de l’Organisation mondiale de la santé, ce comité fédéral a recommandé mardi un délai maximal de 42 jours, soit six semaines, entre les deux doses. « Les personnes ayant participé aux études cliniques ont reçu leur deuxième dose entre 21 et 42 jours après la première dose pour le vaccin de Pfizer-BioNTech et entre 28 et 42 jours pour celui de Moderna. Les fabricants avaient prévu cette flexibilité », a précisé en entrevue la Dre Caroline Quach-Thanh, présidente du CCNI. « Compte tenu de la rareté des vaccins en ce moment, du fait que la transmission communautaire est intense, la modélisation mathématique nous démontre qu’on aura beaucoup plus de gains en termes de réduction des hospitalisations, des complications et des décès si on vaccine un plus grand nombre de personnes avec une seule dose, et qu’on reporte la seconde dose. D’un point de vue éthique, d’équité et d’acceptabilité, de savoir que la moitié des doses dorment dans un congélateur est un peu choquant ! »
Le gouvernement Legault n’a toujours pas décidé s’il allait à nouveau faire volte-face pour respecter la recommandation du CCNI. « La Santé publique continue d’avoir des échanges avec les instances scientifiques concernées afin d’évaluer le meilleur délai pour offrir la deuxième dose aux Québécois », a fait savoir l’attachée de presse du ministre de la Santé, Christian Dubé, dans une déclaration écrite. La décision de la Santé publique sera communiquée rapidement. Les deux fabricants des vaccins contre la COVID-19, Pfizer-BioNTech et Moderna, recommandent de donner la deuxième dose dans un intervalle de 21 jours et 28 jours respectivement. Or, le Québec a décidé fin décembre de l’administrer dans un intervalle de 90 jours pour pouvoir vacciner le plus grand nombre de personnes vulnérables possible.
Plus de transparence
L’opposition officielle presse le gouvernement Legault de présenter un plan plus clair rapidement. « Ce qu’on lui demande, à la lumière de ces informations, c’est d’être transparent, de nous donner l’heure juste sur la stratégie de vaccination parce qu’il faut absolument encourager les gens à se faire vacciner, mais il faut maintenir aussi la confiance autour de ces vaccins », a réclamé la députée libérale Marie Montpetit.
« Même si on ne connaît pas à partir de quelle durée d’intervalle l’efficacité du vaccin risque de diminuer, compte tenu de tout ce que l’on sait, on a l’impression qu’un intervalle de deux à trois mois devrait être encore acceptable. Le Québec pourrait opter pour un intervalle atteignant 12 semaines, à condition qu’il y a ait de la surveillance, que l’efficacité vaccinale soit évaluée afin que les gouvernements qui adoptent une telle cadence [dont celui du Royaume-Uni également] puissent se réajuster s’il s’avère préférable de rapprocher les deux doses », affirme la microbiologiste-infectiologue au CHU Sainte-Justine.
Le Dr Don Vinh, microbiologiste-infectiologue au CUSM, fait remarquer que la majorité des vaccins comportant plus d’une dose ont généralement leurs première et deuxième doses séparées par au moins un mois, car « cela prend souvent un à deux mois pour que le système immunitaire développe une réponse mature à la suite de la première dose ».
« Avec la plupart des autres vaccins, plus on espace les doses, meilleure est la réponse à la dose de rappel parce que cela laisse le temps au système immunitaire de fabriquer des anticorps un peu plus matures, et les cellules mémoires sont aussi mieux développées. Ainsi, la durée de la protection est souvent plus longue et plus robuste », précise la Dre Quach.
Le virologue Andrès Finzi du Centre de Recherche du CHUM croit que Pfizer et Moderna ont prévu des délais assez courts de trois à quatre semaines entre les deux doses car, « dans le contexte de pandémie, on voulait générer rapidement un maximum d’immunité. Cela permettait aussi d’obtenir des résultats rapidement. Mais on ne peut dire qu’ils se sont trompés avec 95 % d’efficacité ! » dit-il.
Les fabricants demandent de respecter les protocoles
Les fabricants des deux vaccins contre la COVID-19 autorisés au Canada ont demandé lors des négociations pour l’achat de nouvelles doses que leur protocole soit respecté pour les injections. « Ils sont évidemment préoccupés que [le calendrier] recommandé sur la base de leurs essais cliniques ne soit pas suivi », a soutenu la ministre de l’Approvisionnement, Anita Anand. Il s’agirait surtout d’une question de réputation pour eux, selon le professeur de politiques publiques de l’Université Carleton, Marc-André Gagnon, qui s’intéresse de près aux pharmaceutiques. « On connaît le résultat pour trois semaines [d’intervalle] et c’est approuvé comme ça, donc on veut s’assurer qu’il n’y ait pas une bourde qui se fasse quelque part et que les rumeurs partent que le taux d’efficacité est moins grand que prévu », a-t-il avancé. Le professeur note toutefois que Pfizer-BioNTech n’ont pas publié les données brutes de leurs essais cliniques qui permettraient aux experts de la Santé publique provinciaux de les analyser dans leur ensemble pour prendre des décisions encore plus éclairées sur le délai de vaccination. La compagnie a plutôt publié un sommaire des résultats dans une étude parue dans le New England Journal of Medicine.
Mylène Crête