Les femmes enceintes devraient avoir accès au vaccin, croit une experte

Les femmes enceintes atteintes de la COVID-19 ont un taux d’hospitalisation trois à cinq fois supérieur à celui des femmes non enceintes qui ont la COVID-19 et qui sont du même âge qu’elles, selon la gynécologue-obstétricienne au CHU Sainte-Justine Isabelle Boucoiran.
Joël Saget Agence France-Presse Les femmes enceintes atteintes de la COVID-19 ont un taux d’hospitalisation trois à cinq fois supérieur à celui des femmes non enceintes qui ont la COVID-19 et qui sont du même âge qu’elles, selon la gynécologue-obstétricienne au CHU Sainte-Justine Isabelle Boucoiran.

De plus en plus de femmes enceintes sont atteintes de la COVID-19 au Québec. Elles n’ont pourtant pas accès au vaccin contre la maladie en priorité. Entrevue avec la Dre Isabelle Boucoiran, gynécologue-obstétricienne au CHU Sainte-Justine, qui pilote le volet québécois d’une étude canadienne sur la COVID-19 chez les femmes enceintes.

Le Comité sur l’immunisation du Québec recommande d’éviter de vacciner les femmes enceintes contre la COVID-19. La Société des obstétriciens et gynécologues du Canada estime pour sa part que la vaccination contre la COVID-19 doit être offerte aux femmes enceintes qui présentent un risque élevé d’infection ou de morbidité lié à d’autres problèmes de santé, comme l’obésité ou un diabète préexistant à la grossesse.

Comment savoir s’il est prudent de le leur administrer ? Les femmes enceintes ont été exclues des essais cliniques des vaccins de Pfizer-BioNTech et de Moderna.

Quand il y a un nouveau médicament ou un nouveau vaccin, les femmes enceintes sont toujours exclues des essais cliniques. Souvent, ce qui se passe, c’est qu’il y a des femmes qui tombent enceintes de façon fortuite lors des essais cliniques, alors on commence à avoir un petit peu de données.

[Pour les vaccins contre la COVID-19 offerts actuellement au Québec], quelques femmes — moins d’une dizaine — sont tombées enceintes pendant les essais cliniques. Il n’y a rien eu de particulier signalé concernant leur grossesse. Maintenant qu’on commence à vacciner de façon plus importante dans le monde entier, on va sûrement avoir de plus en plus de données chez la femme enceinte. Pour l’instant, on n’a pas des milliers de femmes qui ont été vaccinées pour nous dire que c’est sécuritaire à 100 %.

En même temps, quand on regarde la façon dont le vaccin est produit, il n’y a rien [dans sa composition] qui nous fait penser qu’il y aurait un danger pour la grossesse. Contrairement à des vaccins plus anciens, comme celui de la rubéole, il ne s’agit pas d’un vaccin vivant, entraînant la production d’un virus qui se réplique dans le corps.

Le vaccin contre la rubéole est toujours contre-indiqué chez la femme enceinte par précaution, mais des milliers de femmes ont été vaccinées sans qu’il y ait finalement eu de risque avéré.

Pourquoi faut-il vacciner les femmes enceintes ?

On pense que le principe de précaution est au détriment des femmes enceintes. Des femmes qui sont médecins [donc, exposées à la COVID-19 au travail] ou qui ont des facteurs de risques, comme l’obésité, l’hypertension ou un diabète préexistant à la grossesse, pourraient avoir le droit de se faire vacciner, en pesant le pour et le contre.

Si on voulait être particulièrement sécuritaire par rapport au risque pour le fœtus, on pourrait attendre que les femmes enceintes aient dépassé 20 semaines de grossesse. À ce stade, on fait des échographies morphologiques. On voit que le fœtus est bien développé, on voit qu’il n’y a pas d’anomalie. On peut donner le vaccin pour protéger les femmes au troisième trimestre, le moment où elles sont le plus à risque. Cela pourrait être un choix stratégique.

Les femmes enceintes qui contractent la COVID-19 sont-elles très malades ? Que nous disent les plus récentes données à ce sujet ?

La majorité des femmes enceintes qui ont la COVID-19 n’ont pas ou ont peu de symptômes. Mais elles ont un peu plus de risques de complications que la population générale. Les femmes enceintes atteintes de la COVID-19 ont un taux d’hospitalisation trois à cinq fois supérieur à celui des femmes non enceintes qui ont la COVID-19 et qui sont du même âge qu’elles.

La majorité des femmes enceintes qui ont la COVID-19 n’ont pas ou ont peu de symptômes

Au CHU Sainte-Justine, la majorité des cas d’hospitalisation qu’on a eus, c’était des femmes qui avaient d’autres problèmes de santé, comme l’obésité, l’hypertension et le diabète préexistant à la grossesse, des facteurs de risque de complications de la COVID-19. Au Québec, aucune femme enceinte n’est décédée de la COVID-19. Les médias ont cependant récemment rapporté la mort d’une femme atteinte de la COVID-19 qui venait d’accoucher au Nunavut.

Que sait-on des conséquences de l’infection sur la grossesse ?

On n’a aucun signal d’augmentation de malformation, contrairement à ce qu’on a pu voir avec le virus Zika. Le risque d’accouchement prématuré est toutefois augmenté. C’est le principal problème. Cela correspond à ce qu’on peut voir dans d’autres infections respiratoires aiguës, comme la grippe. Selon le rapport canadien du groupe de recherche dont je fais partie, le taux d’accouchement prématuré, chez les 1271 femmes enceintes qui ont eu la COVID-19 et qu’on a pu recenser, est de 12 %. Au Canada, ce taux est autour de 8 % normalement [hors pandémie].

La majorité des cas étaient des accouchements prématurés tardifs, donc plutôt dans le troisième trimestre (plus de 32 semaines). Pour le nouveau-né, cela veut dire un séjour aux soins intensifs néonataux, avec un séjour plus prolongé de l’enfant, parfois une aide respiratoire ou pour s’alimenter. C’est quand même un stress pour l’enfant et toute la famille.

On avait des inquiétudes par rapport au risque de fausse couche, notamment au deuxième trimestre (entre 14 et 23 semaines). Certains collègues dans certains milieux ont rapporté qu’ils voyaient plus de ces complications. Mais cela ne ressort pas encore dans des données nationales. On n’a peut-être pas le nombre pour le démontrer. Ces événements sont très rares. Il faut vraiment être très prudent avec ces données. Ce sont des choses qu’on va surveiller.

La mère peut-elle transmettre la maladie au fœtus ou à son nouveau-né ?

Au Canada, on recense seulement un cas en Ontario où il y a une forte suspicion que la mère a transmis la COVID-19 à son enfant au moment de l’accouchement. Cela peut donc arriver, mais dans des circonstances très rares. Et c’est exceptionnel qu’il y ait des conséquences chez le nouveau-né. Ce n’est pas quelque chose qui nous inquiète sur le terrain et qui doit inquiéter les femmes enceintes non plus.

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