Soins à domicile: 100 millions pour quoi faire?

Ce texte fait partie du cahier spécial Bien vieillir
Auparavant évacuées des discussions, les conditions de vie de nos aînés ont été au centre des débats depuis que la pandémie de COVID-19 a frappé notre province. La vulnérabilité, l’isolement et l’inégalité des traitements réservés à nos « vieux » nous ont choqués, mais aussi permis de comprendre l’ampleur de leurs besoins. L’injection, le 15 novembre dernier, de 100 millions dans les soins à domicile par le gouvernement suffira-t-elle à les combler ?
Le braquage des caméras sur certains centres de soins de longue durée au sein desquels trop de résidents ont succombé à la COVID-19 au printemps, faute de soins adéquats et du soutien d’aidants naturels, a provoqué la colère et la consternation d’une population québécoise assez ignorante des conditions de vie de ses aînés. « Il faut pourtant en finir avec l’image folklorique des grands-parents menant une fin de vie paisible, entourés de soignants, de leur famille et d’amis, indique Michèle Charpentier, qui dirige la Chaire de recherche sur le vieillissement et la diversité citoyenne de l’UQAM. La pensée magique voulant qu’ils demeurent dans une maison propre, rangée et bien fournie en épicerie, c’est loin d’être la norme. »
Mais quelle est cette norme, au juste ? En fait, il semble que les personnes âgées du Québec vivent de plus en plus longtemps, mais aussi de plus en plus seules. C’est le cas de 29 % d’entre elles à l’âge de 65 ans, et cette proportion augmente à 56 % une fois la barre des 85 ans passée. Il s’agit souvent de femmes, en partie d’origine étrangère — 40 % de nos aînés sont nés hors du Canada — et aux revenus modestes, puisque 41 % d’entre elles vivent sous le seuil de la pauvreté. « Il suffit que des incapacités les frappent pour que leur réseau familial et social s’effrite, et que des soins extérieurs s’imposent. Maiscombien d’entre elles peuvent réellement en bénéficier ? C’est là que les inégalités sont les plus frappantes », déplore la professeure.
Comment expliquer qu’actuellement 180 000 personnes âgées reçoivent de l’assistance à domicile, alors que nous en comptons 1,6 million dans notre société ?
Portrait du système actuel
Les soins à domicile au Québec sont assurés par trois types de structures : le réseau public des CISSS et des CIUSSS, les entreprises d’économie sociale d’aide à domicile (EESAD) et les entreprises privées. Ils ne concernent pas que les aînés, puisque les personnes en situation post-opératoireet celles souffrant d’un handicap physique ou intellectuel peuvent aussi en profiter.
Au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, par exemple, 54 % des 9480 usagers desservis en 2019-2020 sont des personnes âgées. « Une fois les évaluations réalisées, explique Annie Foy, directrice adjointe de ce secteur d’activité, nous proposons à nos clientèles un ensemble de services, dont des soins infirmiers, des soins d’assistance à domicile (hygiène, habillage, alimentation), ainsi que le soutien de nutritionnistes, d’ergothérapeutes et de physiothérapeutes. » La responsable ajoute que ces services sont dispensés à domicile ou dans les résidences pour aînés privées.
Les soins de longue durée représentent ici 1,3 % du PIB, alors qu’ailleurs ce taux est de 1,7 %, voire de 2,5 %. Nous sommes donc de vrais cancres en la matière.
Selon Mme Foy, la mise en place d’un numéro de téléphone unique d’accès à son CIUSSS et les budgets alloués aux soins à domicile permettent de combler les besoins des usagers en matière de soins infirmiers et d’assistance. Toutefois, trouver de la main-d’œuvre qualifiée est plus difficile. « Nous manquons de personnel dans tous les domaines et devons imposer des listes d’attente pour certaines spécialités », admet-elle.
Des défis majeurs
Mme Charpentier se montre pour sa part plus critique : « Comment expliquer qu’actuellement 180 000 personnes âgées reçoivent de l’assistance à domicile, alors que nous en comptons 1,6 million dans notre société ? » La professeure lie cet écart à la difficulté d’accès aux services, à leur insuffisance et à un sous-financement chronique dans le système public. « Les soins de longue durée représentent ici 1,3 % du PIB, alors qu’ailleurs ce taux est de 1,7, voire de 2,5 %. Nous sommes donc de vrais cancres en la matière », affirme-t-elle.
Tout comme Mme Foy, la chercheuse évoque également le problème de la main-d’œuvre et de son important roulement dans ce secteur d’activité. Mais elle déplore surtout la « structurité » du système. « Il faudrait, insiste-t-elle, l’humaniser et partir des besoins des gens. Je doute que, sur les 100 millions annoncés, le gros du budget se déploie en services directs aux aînés. » Ainsi, si comme le pensent Mme Foy et la ministre responsable des Aînés, Marguerite Blais, le soutien à domicile est la voie de l’avenir, une réflexion sérieuse devra s’engager sur cette question.
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