Infecter des gens volontairement pour le développement d'un vaccin, est-ce éthique?

L’entreprise hVIVO introduira différentes doses du coronavirus SRAS-CoV-2 dans le nez de volontaires sains âgés de 18 à 30 ans.
Photo: Peter Powell EPA Agence France-Presse L’entreprise hVIVO introduira différentes doses du coronavirus SRAS-CoV-2 dans le nez de volontaires sains âgés de 18 à 30 ans.

Alors que des scientifiques britanniques commenceront sous peu des essais cliniques de type « challenge » dans l’espoir d’accélérer le développement d’un vaccin efficace contre la COVID-19, des chercheurs croient qu’une telle approche enfreint plusieurs principes éthiques et qu’elle ne permettrait probablement pas d’obtenir des résultats probants aussi rapidement que ce qui a été annoncé.

En janvier prochain, l’entreprise pharmaceutique britannique hVIVO introduira différentes doses du coronavirus SRAS-CoV-2 dans le nez de volontaires sains âgés de 18 à 30 ans, lesquels seront mis en quarantaine dans une unité spéciale du Royal Free Hospital de Londres où ils seront gardés sous haute surveillance et soumis à une batterie de tests pendant deux à trois semaines. Cette expérience visera à déterminer la dose minimale de virus qui est nécessaire pour induire une COVID-19 active dans les voies respiratoires supérieures. Cette information permettra ensuite à l’entreprise de procéder à une seconde expérience qui consistera à administrer, dans un premier temps, le candidat-vaccin à l’étude, puis, dans un second temps, la dose de coronavirus déterminéeprécédemment, afin de voir si la vaccination prévient l’infection.

Cette façon de faire nécessite beaucoup moins de participants et devrait fournir des réponses sur l’efficacité d’un candidat-vaccin beaucoup plus rapidement que la méthode classique d’essais cliniques, qui mise sur le fait que les participants ayant reçu le vaccin rencontreront le virus naturellement dans la communauté. « En principe, la phase 3 des essais cliniques peut s’étendre sur des années, car les participants qu’on a vaccinés peuvent ne jamais rencontrer le virus. C’est pour cette raison qu’on a eu recours à des études de type “challenge” par le passé [notamment pour éprouver des vaccins contre la grippe, par exemple], mais on disposait de traitements qu’on pouvait offrir aux personnes qui deviendraient infectées si le candidat-vaccin ne marchait pas. Dans le contexte actuel, on demande à des volontaires en bonne santé de courir un risque sérieux (qui comprend celui de décéder) alors qu’il n’y a pas de traitements efficaces », fait remarquer Françoise Baylis, professeure et chercheuse à l’Université Dalhousie, en Nouvelle-Écosse.

La démarche des essais de type« challenge » apparaît plus adéquate pour les personnes en phase terminale d’une maladie mortelle auxquelles on propose des médicaments expérimentaux, car ces malades « n’ont rien à perdre puisqu’ils mourront de toute façon », donne en exemple Bryn Williams-Jones, directeur des programmes de bioéthique à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

« L’urgence [actuelle] aurait peut-être pu justifier ce genre d’études, mais compte tenu du grand nombre d’incertitudes scientifiques entourant la COVID-19, ce n’est pas certain que les bénéfices potentiels justifient les risques qu’encourent les participants. De plus, nous disposons de moyens efficaces, ceux de suivre les mesures de santé publique, pour éviter d’être infectés. Nous avons besoin d’un vaccin, mais il n’est pas certain que ce besoin soit urgent au point de faire courir un risque aussi élevé à des participants », juge-t-il.

Par ailleurs, on observe de plusen plus de jeunes en santé qui ont contracté ce virus et qui ont gardé des séquelles physiques et neurologiques pendant des mois suivant leur infection. Qui plus est, on fait courir un risque très élevé aux participants pour obtenir un vaccin « plus tôt, alors qu’il n’y a aucune garantie » que le candidat-vaccin qui sera testé de cette façon sera efficace. Ce type d’étude présente « les mêmes limites » que les études plus classiques, il ne nous renseignera pas plus sur « l’efficacité à long terme du candidat-vaccin et sur sa capacité à apporter une protection complète ou à réduire la sévérité de la maladie », poursuit-il.

Peut-on vraiment croire que les participants accorderont un consentement éclairé quand il y a un incitatif financier aussi important ?

« Pourquoi emprunter cette voie à haut risque quand les voies classiques ont fait leurs preuves et qu’il y a déjà une dizaine de vaccins en phase 3 qui sont déjà bien avancés ? », fait valoir M. Williams-Jones, qui ne se dit pas convaincu que les bénéfices possibles que l’on pourrait tirer d’une telle démarche dépassent les risques que l’on fait courir aux participants.

« Tout avance assez rapidement si on considère que, normalement, deux ans sont requis pour des études précliniques chez l’animal, deux ans pour la phase 1 des essais cliniques et deux ou trois ans pour la phase 2. Or, nous sommes déjà en phase 3 pour 11 vaccins, il y a eu une compression énorme. Il y a tellement d’argent et d’énergie qui ont été investis qu’on a pu réduire la durée du processus de développement, alors pourquoi ne pas continuer avec cette approche [classique] ? », renchérit Françoise Baylis, de l’Université Dalhousie.

Sachant que le vaccin aura peut-être un effet chez les jeunes qui sera différent de celui chez les personnes de 65 ans et plus, « le gros problème avec cette étude de type “challenge” est que les participants sont des personnes jeunes et en santé qui sonttrès peu à risque de développer des infections sévères et accompagnées de complications graves, alors que nous voudrons vacciner [en priorité] surtout les personnes qui sont à risque, telles que les personnes âgées de 70 ans et plus, qui ont probablement d’autres problèmes de santé. De plus, une telle étude ne nous permettra pas de savoir si le vaccin réussit à prévenir les cas sévères parce qu’on l’aura testé chez un groupe où, de toute façon, très peu auraient développé une formesévère de la maladie », souligne pour sa part Benoît Mâsse, chercheur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

L’équipe offre une rémunération de 4000 livres (6800 $) à ceux qui accepteront de participer à l’essai de type « challenge ». Selon M. Williams-Jones, il s’agit d’un incitatif financier majeur. « Peut-on vraiment croire que les participants accorderont un consentement éclairé quand il y a un incitatif financier aussi important ? Non, cette rémunération aura une influence indue, surtout dans un contexte où il y a plein de gens qui ont perdu leur travail et qui vivent dans la précarité », croit-il.

« Certaines personnes qui se trouvent dans le pétrin seront tentées de participer en raison de la rémunération. Ce ne seront pas les riches qui vont se porter volontaires », ajoute Mme Baylis.

M. Williams-Jones craint que ces études de type « challenge » ne monopolisent toute l’attention, au point que « les gens penseront que c’est la façon de faire pour réussir, alors que ce n’est pas la norme, mais l’exception ». Il redoute que les décès qui pourraient survenir dans ce type d’étude n’entraînent « des effets collatéraux sur les autres études ». « Cela pourrait saper la confiance du public envers les autres études effectuées selon les normes habituelles. D’autres études prometteuses pourraient potentiellement être mises sur la glace, perdre des participants et du financement, parce que toute l’attention sera tournée vers ce genre d’étude qui promet d’accélérer le processus. »

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