Le dépistage du personnel en CHSLD est insuffisant

Le fort pourcentage d’employés asymptomatiques représente un problème majeur pour prévenir les éclosions dans les systèmes de santé.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Le fort pourcentage d’employés asymptomatiques représente un problème majeur pour prévenir les éclosions dans les systèmes de santé.

Aussi peu que 10 % du personnel de certains CHSLD se fait dépister de façon régulière pour la COVID, une des clés pour freiner l’intrusion du virus dans les milieux de vie pour aînés. Une situation qui donne du fil à retordre à certains gestionnaires, les études démontrant que de 10 à 20 % des employés infectés sont complètement asymptomatiques.

Alors que la transmission communautaire reprend de la vigueur, seul un employé sur dix des CHSLD du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-Montréal se soumet présentement au dépistage hebdomadaire recommandé depuis juillet par le ministère de la Santé et des Services sociaux pour prévenir la transmission chez les aînés. Et cela, au moment où un CHSLD du secteur figure parmi ceux du Québec où 15 % des résidents sont infectés par le nouveau coronavirus.

D’autres CHSLD peinent aussi à convaincre leurs employés de se faire tester régulièrement. Selon le CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal, seulement 20 % des employés des CHSLD ont été dépistés en septembre, et ce taux est passé à 30 % depuis. Ce CIUSSS, très durement frappé lors de la première vague, a même instauré un programme de récompense pour augmenter la motivation des employés à se faire tester. Chaque employé dépisté 5 fois en 5 semaines reçoit désormais 10 $ en cartes-cadeaux, et 30 $ après 10 dépistages en 12 semaines.

« Il est très sollicitant pour notre personnel de se faire dépister chaque semaine. Nous tenons à les encourager à maintenir les bons réflexes avec des moyens créatifs », a expliqué cette semaine une porte-parole de ce CIUSSS.

Je suis inquiet. De plus en plus de travailleurs de la santé, autant des médecins, des infirmières que des préposés baissent la garde, notamment durant les pauses.

 

Au CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de Montréal, où des éclosions frappent deux CHSLD, notamment celui des Floralies de Lachine où 15 % des résidents sont infectés, on cherche aussi à trouver des moyens de rehausser les taux faméliques de dépistage préventif. Au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île- Montréal, où deux CHSLD sont aux prises avec des éclosions, 40 % des employés se sont soumis à des tests de la mi-août à la mi-septembre, et 45 % en octobre. Mais le peu d’entrain des travailleurs à participer à ces mesures préventives inquiète.

« Je suis inquiet. De plus en plus de travailleurs de la santé, autant des médecins, des infirmières que des préposés baissent la garde, notamment durant les pauses. Aujourd’hui, j’étais seul pour dîner dans une salle. Cinq travailleurs sont entrés et restés une heure pour jaser durant le lunch avec le masque sous le menton », a confié au Devoir un médecin, de façon anynome, d’avis que les consignes et le dépistage sur les lieux de travail devraient être renforcés.

« Nos employeurs nous disent que c’est difficile mais, honnêtement, je doute que des cartes-cadeaux changent quelque chose. C’est une procédure que les employés trouvent invasive. Il faudrait des tests de salive, plus rapides. Mais pour l’instant, ils ne sont pas aussi fiables que les tests par écouvillon », affirme Kathleen Bertrand, présidente de la FIQ–Syndicat des professionnelles en soins du Nord-de-l’Île-de-Montréal, dont plus de 646 membres ont été infectés depuis le début de la pandémie.

Johanne Riendeau, présidente de la FIQ-Syndicat des professionnelles en soins de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, reconnaît que plusieurs employés s’abstiennent, non pas par mauvaise foi, mais parce les prélèvements à répétition sont très irritants. « Quand ça fait 15 fois que les gens passent le test, c’est sûr qu’ils sont moins motivés », dit-elle.

Beaucoup d’asymptomatiques

Chose certaine, le fort pourcentage d’employés asymptomatiques représente un problème majeur pour prévenir les éclosions dans les systèmes de santé, ici comme ailleurs dans le monde.

Le professeur Tauland Muka, chef du groupe de recherche de l’Institut de médecine sociale et préventive (ISPM) de l’Université de Berne en Suisse, vient de publier une méta-analyse dans The American Journal of Epidemiology qui établit à 40 % la proportion d’asymptomatiques recensée parmi 230 000 travailleurs de la santé de 24 pays, dans le cadre de 97 études. « Cela incluait des personnes asymptomatiques au moment du test, qui sont tombées malades plus tard. Mais le potentiel de transmission silencieuse par ces employés et ceux qui sont totalement asymptomatiques représente un défi énorme pour l’ensemble des systèmes de santé », a affirmé le Dr Muka, au Devoir.

« Il faut tester davantage de façon préventive. Les tests salivaires rapides vont vraiment changer la donne pour contrôler l’épidémie », affirme-t-il. Une étude publiée dans PLOS ONE par un de ses collègues chiffre quant à elle à 20 % la part de travailleurs restés asymptomatiques tout au long de leur infection.

Denis Talbot, professeur du département de médecine sociale et préventive de l’Université Laval, qui a passé en revue des centaines d’études sur le sujet pour le compte de l’INSPQ, conclut lui aussi que les plus crédibles évaluent que 10 à 20 % des personnes infectées demeurent totalement asymptomatiques.

Ce qui voudrait dire que parmi les 17 000 travailleurs du réseau de la santé québécois déclarés positifs à la COVID, plusieurs milliers se sont présentés au travail sans symptômes. Le professeur Talbot ajoute toutefois que le personnel asymptomatique serait moins contagieux que les travailleurs en phase « présymptomatique », qui finissent par développer des symptômes entre deux et quatre jours après avoir été déclarés positifs. « Ce qui est clair, c’est que les asymptomatiques semblent moins à risque de transmettre le virus, jusqu’à 2 à 3 fois moins que ceux qui sont en phase présymptomatique, dit-il. Si déjà on réussissait à isoler les personnes présymptomatiques, on agirait sur une grosse part de l’épidémie. »
 



Une version précédente de ce texte, dans laquelle le professeur Talbot du département de médecine sociale et préventive de l’Université Laval était prénmommé Alain, a été modifiée.

 

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