L'heure juste: pour qui, les futurs vaccins?

À la mi-septembre, une analyse d’OXFAM nous apprenait que des pays riches représentant seulement 13% de la population mondiale avaient pris une option sur plus de 51% des doses promises des cinq vaccins les plus prometteurs faisant déjà l’objet d’essais cliniques avancés.
Photo: Joel Saget Agence France-Presse À la mi-septembre, une analyse d’OXFAM nous apprenait que des pays riches représentant seulement 13% de la population mondiale avaient pris une option sur plus de 51% des doses promises des cinq vaccins les plus prometteurs faisant déjà l’objet d’essais cliniques avancés.

Vivement un vaccin ! Ce cri du cœur mondial retentit encore plus fort avec l’arrivée de la deuxième vague de la COVID-19 et son lot de nouvelles contraintes sanitaires. Bien des pays, surtout les plus pauvres, se demandent cependant s’il y en aura assez pour eux, car, malgré leurs promesses d’équité, la plupart des pays riches sont engagés dans une course aux contrats d’achats anticipés.

Le Canada a sauté dans ce train au début du mois d’août, lui qui avait centré son message jusque-là sur la nécessité d’assurer aux pays en développement un accès au futur vaccin contre le coronavirus. En juin, le premier ministre, Justin Trudeau, lançait encore un appel à cet effet dans le Washington Post, aux côtés des dirigeants espagnol, éthiopien, néo-zélandais et sud-coréen.

Le gouvernement Trudeau n’a pas renoncé à cet engagement. Il a versé 600 millions à l’Alliance du vaccin, un partenariat international public-privé qui appuie les pays les plus pauvres. Le Canada a aussi joint le mécanisme COVAX, une initiative conjointe de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de diverses organisations publiques et privées qui a pour objectif d’acheter et de distribuer équitablement en 2021 deux milliards de doses de vaccin anticoronavirus. Plus de 150 pays y ont adhéré, dont plus de 90 pays en développement. Les États-Unis s’en sont retirés à cause de la présence de l’OMS.

L’initiative comporte deux volets. Les pays peuvent d’une part faire une contribution pour s’assurer d’obtenir suffisamment de doses pour vacciner 20 % des personnes les plus vulnérables de leur propre pays, dont le personnel médical. D’autre part, les pays riches peuvent contribuer à un fonds qui sert à la part des pays à moyen et faible revenu au premier volet. La contribution du Canada, annoncée le 22 septembre, sera de 440 millions de dollars, partagés également entre les deux volets.

Si on connaît la valeur de cet engagement financier, on ignore l’ampleur de ceux qui ont été pris auprès des fabricants de vaccins avec qui Ottawa a conclu des ententes. Depuis le début du mois d’août, le gouvernement a pris des options sur les candidats-vaccins des six compagnies suivantes : AstraZeneca (jusqu’à 20 millions de doses), Sanofi/GlaxoSmithKline (jusqu’à 72 millions de doses), Johnson & Johnson (jusqu’à 38 millions de doses), Novavax (jusqu’à 76 millions de doses), Pfizer (au minimum 20 millions de doses), Moderna (jusqu’à 56 millions de doses).

Dans l’entourage de la ministre du Développement international, Karina Gould, on explique qu’Ottawa reste convaincu de la nécessité d’assurer un accès équitable aux futurs vaccins, mais le gouvernement a aussi la responsabilité d’assurer la santé de ses citoyens. Par conséquent, dit-on, il ne pouvait rester les bras croisés après que les États-Unis ont conclu en mai un accord leur garantissant l’accès à au moins 300 millions de doses, provoquant un effet d’entraînement. Dès juin, l’Allemagne, la France, l’Italie et les Pays-Bas signaient leurs premières ententes. L’Union européenne s’est pour sa part dotée d’un fonds de 2,4 milliards d’euros pour procéder à ce genre d’achats anticipés.

À la mi-septembre, une analyse d’OXFAM nous apprenait que des pays riches représentant seulement 13 % de la population mondiale avaient pris une option sur plus de 51 % des doses promises des cinq vaccins les plus prometteurs faisant déjà l’objet d’essais cliniques avancés.

Toujours à la mi-septembre, plus d’une centaine d’experts canadiens en santé ont invité le gouvernement fédéral à résister au « nationalisme vaccinal » ambiant. Selon eux, les achats anticipés d’Ottawa minent les efforts en vue d’une distribution équitable du vaccin. En faisant main basse à l’avance sur des millions de doses, les pays riches monopolisent les premiers approvisionnements, ce qui pourrait forcer les autres pays à attendre avant de pouvoir vacciner leurs citoyens les plus vulnérables.

Membre de la Chaire de recherche sur la mondialisation contemporaine et l’égalité, de l’Université d’Ottawa, Ronald Labonté rappelait sur les ondes de CBC Radio que cette course entre pays riches « pourrait avoir un prix pour la santé publique mondiale ». Selon lui, les pays mieux nantis, dont le Canada, devraient verser à COVAX l’équivalent de ce qu’ils sont prêts à dépenser pour leurs propres doses.

Comme lui, Siham Rayale, responsable entre autres de la promotion des enjeux humanitaires à Oxfam Canada, comprend que le gouvernement veuille protéger ses citoyens. Elle refuse de parler d’approche contradictoire, mais pense aussi que les pays riches doivent faire plus et le faire en temps opportun. « Les moins nantis ne devraient avoir à attendre 2022 pour être vaccinés », insiste-t-elle.

À Médecins sans frontières, Kate Elder, conseillère principale en matière de politiques sur les vaccins, craint ce scénario et estime qu’il faut aussi tenir responsables les entreprises qui reçoivent presque toutes des fonds publics pour la recherche. Elle cite les problèmes de prix, de partage des données, de propriété intellectuelle et ainsi de suite.

Selon Siham Rayale et Kate Elder, la pandémie a exacerbé l’iniquité et l’inégalité mondiales en matière de santé. Mme Elder déplore que l’initiative COVAX et les accords bilatéraux ne fassent rien pour corriger les enjeux systémiques en matière d’accès aux produits pharmaceutiques.

À son avis, le vrai test pour mesurer la sincérité des engagements des pays en faveur d’une distribution équitable viendra quand les premiers vaccins seront autorisés et prêts à être distribués. Qui seront les premiers ?

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