Blâme sévère contre les patrons des CHSLD de Herron et de Sainte-Dorothée

Le CHSLD Herron s’est trouvé en position de faiblesse face à la COVID-19, non seulement en raison d’une main-d’œuvre insuffisante, mais également d’une organisation déficiente.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Le CHSLD Herron s’est trouvé en position de faiblesse face à la COVID-19, non seulement en raison d’une main-d’œuvre insuffisante, mais également d’une organisation déficiente.

Les dirigeants des CHSLD privé Herron et public Sainte-Dorothée ont failli à la tâche de mettre à l’abri leurs résidents de la première vague de COVID-19 qui a frappé le Québec, concluent deux enquêtes administratives demandées par le ministère de la Santé.

Les gestionnaires de Herron, à Dorval, ont fait preuve de « négligence organisationnelle », tandis que ceux de Sainte-Dorothée, à Laval, étaient « absen[ts] au moment crucial de l’éclosion », peut-on lire dans les deux rapports d’enquête dévoilés simultanément mercredi.

Pas moins de 38 résidents d’Herron et 100 résidents de Sainte-Dorothée sont morts emportés par la COVID-19.

À l’abandon

À Dorval, la COVID-19 a fait son entrée dans un CHSLD « vulnérable » gagné par la peur.

Le sort de 133 résidents était entre les mains d’à peine trois employés le soir du 29 mars. À leur arrivée, des employés du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal découvrent des personnes vulnérables laissées à leur sort : « plusieurs résidents assoiffés, déshydratés, avec la peau et les lèvres sèches », « planchers collants », « odeur nauséabonde d’urine et de selles », notent-ils.

« Si les autorités de l’établissement avaient eu la pleine connaissance et la maîtrise de l’univers dont ils avaient la responsabilité, si les moyens qui étaient à leur portée avaient été déployés, si ces mêmes autorités […] avaient pleinement collaboré, si, finalement, les réflexes de ces dirigeants avaient résolument été empreints du devoir humanitaire et de courage face à l’adversité, alors on pourrait raisonnablement croire que la Faucheuse aurait été moins dévastatrice », écrit l’enquêteur Sylvain Gagnon dans un document de 45 pages.

100
C’est le nombre de résidents du CHSLD de Sain-te-Dorothée qui sont morts de la COVID-19. Il y a eu 38 morts au CHSLD Herron.

Le CHSLD Herron s’est trouvé en position de faiblesse face à la COVID-19 en raison d’une organisation déficiente. L’enquêteur a répertorié un encadrement clinique inadéquat, des protocoles cliniques rarement à jour, des articles manquants — piqués et culottes d’incontinence — défectueux ou mal adaptés — appareils de prise de tension artérielle, thermomètres ou saturomètres — au sein de la propriété du Groupe Katasa. « À la veille de l’éclosion de l’infection au coronavirus, le CHSLD Herron se révélait ainsi une organisation vulnérable », souligne M. Gagnon.

Cela dit, l’enquêteur ne minimise pas les défis posés par la pénurie de main-d’œuvre — « un vrai problème », selon lui — aux gestionnaires des CHSLD. « Il est illusoire de prétendre que l’État québécois parviendra à relever ce défi crucial sans l’apport massif de l’immigration », soutient-il.

« Le présent rapport ne constitue pas les orientations du ministère de la Santé et des Services sociaux », peut-on lire dans un encadré placardé dans le document.

Un avion sans pilote

 

À Sainte-Dorothée, la gestion de crise avait été laissée entre les mains de cadres intermédiaires aux pouvoirs et aux compétences insuffisants, explique l’enquêteur Yves Benoît dans un second rapport.

« Dès le 18 mars, la situation préoccupante au CHSLD aurait dû faire l’objet d’un appel pressant en haut lieu », écrit-il. Ce jour-là, la moitié des responsables et de nombreux employés malades ou en attente de leur résultat de dépistage à la COVID-19 étaient absents. Les professionnels dépêchés par des agences de placement désertaient les lieux de crainte de travailler en zone chaude. Les aidants naturels étaient privés d’accès au site. Enfin, la plupart des médecins avaient quitté l’établissement pour privilégier la téléconsultation.

Les premières éclosions surviennent six jours plus tard, soit le 24 mars. De nouveaux gestionnaires arrivent en renfort seulement le 2 avril. Le CHSLD est en pleine tempête. « Plus de cinq niveaux hiérarchiques séparent le p.-d.g. du CISSS de Laval du premier répondant gestionnaire », a constaté Yves Benoît. « La réalité de terrain demeure à grande distance et les communications d’alerte ne semblent pas être considérées à leur juste importance. »

Autre défaillance majeure : le roulement de personnel. Dans son enquête, M. Benoît a découvert que pas moins de 601 personnes différentes étaient venues travailler à Sainte-Dorothée entre la mi-mars et la fin juin, dont 60 % venaient de l’extérieur.

Enfin, la désorganisation des ressources humaines était d’autant plus grande à Sainte-Dorothée que le système informatique ne fonctionnait pas, révèle le rapport.

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