Le nombre de Québécois sous antidépresseurs augmente depuis le début de la pandémie

De plus en plus de Québécois prennent des antidépresseurs depuis le début de la pandémie de COVID-19. Chez les assureurs privés, les réclamations pour ce type de médicament sont en hausse de 20 % dans la province, signale la firme Express Scripts Canada. L’augmentation est nettement moins élevée du côté du régime public d’assurance médicaments, selon les données obtenues par Le Devoir.

Les réclamations pour la prise d’antidépresseurs ont augmenté de 11 % au pays entre janvier et août, par rapport à la même période l’an dernier, d’après Express Scripts Canada. Cette hausse atteint plus de 20 % au Québec et à Terre-Neuve-et-Labrador, indique la firme qui offre des services de gestion de régimes d’assurance médicaments à des assureurs privés, dont Desjardins Assurances, Groupe financier Industrielle Alliance et Manuvie.

« L’augmentation de 11 % à travers le pays est très significative, dit le Dr Dorian Lo, président d’Express Scripts Canada. Cela signifie que le nombre réel [de personnes prenant des antidépresseurs] est plus élevé. » Lorsqu’ils éprouvent des problèmes de santé mentale, les gens tardent à consulter et retardent la prise d’un traitement, souligne-t-il. « Pendant la pandémie, il était difficile de voir son médecin », ajoute le médecin.

20%
C’est l’augmentation du nombre de réclamations pour antidépresseurs effectuées auprès d’assureurs privés au Québec, entre janvier et août 2020, par rapport à la même période l’an dernier.

Et pourquoi les Québécois seraient-ils davantage touchés qu’ailleurs au pays ? « Une des corrélations les plus évidentes est que le Québec a été frappé plus durement par la COVID-19 », avance le Dr Dorian Lo.

La pandémie a également précipité Terre-Neuve-et-Labrador dans une crise économique. La province est dépendante des industries des ressources naturelles et du tourisme, qui se sont effondrées durant la pandémie, rappelle le Dr Dorian Lo.

Les derniers mois ont aussi été particulièrement difficiles pour les 19-35 ans partout au pays, selon les données d’Express Scripts Canada. « On note une augmentation de 23 % des réclamations pour des médicaments antidépresseurs dans cette catégorie d’âge, à travers le Canada », dit le Dr Dorian Lo.

Même s’ils sont « connectés » grâce à la technologie, les jeunes Canadiens se sont sentis isolés physiquement, croit-il. « Avoir une famille et prendre soin des gens, on sait que cela a un effet protecteur [contre les problèmes de santé mentale] », précise le président d’Express Scripts Canada. Le télétravail, avec les enfants sur les genoux, pourrait aussi avoir eu raison de certains travailleurs.

11%
C’est l’augmentation du nombre de réclamations pour antidépresseurs effectuées auprès d’assureurs privés au Canada, entre janvier et août 2020, par rapport à la même période l’an dernier.

Autant d’hypothèses difficiles à vérifier. « On est encore en plein dans la pandémie, observe Arnaud Duhoux, professeur agrégé à la Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal, qui s’intéresse aux problèmes de santé mentale dans la population. On n’a pas beaucoup de données épidémiologiques pour démontrer [ces hypothèses]. »

Une augmentation aussi dans le régime public

 

Environ 46 % des Québécois sont couverts par le régime public d’assurance médicaments, selon la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). Il peut s’agir de personnes de 65 ans et plus, de travailleurs précaires qui n’ont pas accès à un régime collectif privé avec leur employeur ou de gens bénéficiant de l’aide sociale.

Dans cette population, le nombre de personnes consommant des antidépresseurs a augmenté, mais légèrement, d’après les données obtenues auprès de la RAMQ. Entre mars et juillet, la hausse a oscillé entre 4 % (avril) et 8 % (juin), comparativement aux mêmes mois l’année précédente.

Il faut toutefois savoir que, depuis 2006, la consommation d’antidépresseurs augmente chaque année au Québec. On comptait environ 4 % d’utilisateurs de plus en 2019 qu’en 2018.

Le pharmacien communautaire Alexandre Chadi, qui travaille dans le quartier Parc-Extension à Montréal, dit avoir reçu de nombreux appels de patients en détresse au printemps. « J’ai eu beaucoup de cris du cœur, dit-il. Joindre leur médecin était un peu difficile. Et ils ne voulaient pas aller consulter de crainte d’être infectés. Est-ce que cette anxiété s’est traduite par une prescription d’antidépresseurs ? Je ne sais pas. »

D’après la RAMQ, le nombre d’utilisateurs d’anxiolytiques a peu bougé ou a même diminué entre mars et juillet, par rapport à la même période en 2019.

Des chiffres qui surprennent la Dre Karine J. Igartua, présidente de l’Association des médecins psychiatres du Québec. « Ce que les médecins me disent sur le terrain, c’est qu’ils sont en train de prescrire de l’Ativan [anxiolytique] à tour de bras », dit-elle.

Pour la Dre Igartua, les données de la RAMQ génèrent davantage de questions que de réponses. « Est-ce que les gens ne sont pas allés remplir leur prescription parce qu’ils avaient peur d’aller à la pharmacie ? Est-ce parce que le ralentissement de toute la société a fait en sorte que les gens étaient moins stressés ?  »

Autre fait étonnant : selon la RAMQ, le nombre de nouvelles prescriptions et de renouvellements d’antidépresseurs a diminué pendant quelques mois durant la pandémie, malgré une légère augmentation des consommateurs au même moment. Un phénomène que peinent à expliquer les experts consultés par Le Devoir.

Dès le début de la pandémie, l’Ordre des pharmaciens du Québec a publié une directive demandant à ses membres d’exécuter les prescriptions des médicaments pour 30 jours — et non pour une période prolongée de 60 ou de 90 jours — afin d’assurer le maintien des stocks durant cette période incertaine. Cette consigne a pris fin en juin. La diminution des renouvellements ne pourrait donc pas s’expliquer par des prescriptions plus longues.

Bien des inconnues demeurent donc. Il faudra attendre plusieurs mois encore avant de mesurer l’effet réel de la pandémie de COVID-19 sur la santé mentale des gens. D’autant qu’on ignore encore l’ampleur de la deuxième vague.

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