En quoi les données de la RAMQ sont-elles une mine d’or?

« Les données de la RAMQ, c’est une mine d’or. » C’est en ces mots que le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, a lancé le débat sur l’accès aux données médicales des Québécois en pleine commission parlementaire il y a deux semaines. Sans donner d’échéancier, il a affirmé que le gouvernement aimerait attirer des compagnies pharmaceutiques en leur permettant « de venir jouer dans nos platesbandes ». Premier de deux textes sur les enjeux soulevés par cette question.
« Je pense que, quand le ministre parlait de mine d’or, ce n’est pas une mine d’or pour les compagnies pharmaceutiques », a avancé le président-directeur général de Montréal InVivo, Frank Béraud. Cet organisme à but non lucratif représente tous les acteurs de la grappe des sciences de la vie et des technologies de la santé au Québec, qu’ils soient du domaine privé ou public. « C’est une mine d’or pour le Québec dans le sens que ça permettrait des avancées super intéressantes pour des traitements et des innovations technologiques qui viendraient au bénéfice des Québécois parce que ces avancées-là seraient basées sur les données de Québécois », a-t-il continué.
Il fait valoir que les compagnies pharmaceutiques sont souvent obligées d’utiliser des données d’autres provinces, voire des États-Unis, pour faire approuver et rembourser leurs médicaments au Québec. Un accès rapide à des données anonymisées leur permettrait, par exemple, de voir l’évolution des réactions des patients à un type de traitement en particulier. « Est-ce que des patients qui ont eu tel type de procédure récupèrent plus rapidement ou retournent moins souvent à l’hôpital qu’avec tel autre type de procédure ? a-t-il donné en exemple. Il y a des dizaines et des dizaines de possibilités de choses qu’on pourrait faire avec ces données. »
Quelles informations ?
La Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) possède certaines données sur les 8 millions de Québécois, comme leur nom, leur adresse, le nom de leur conjoint ou conjointe, le nombre d’enfants qu’ils ont à charge et les noms de ceux-ci. Comme elle les recueille depuis sa création en 1970, cette banque serait donc utile pour la réalisation d’études longitudinales.
« Nous n’avons pas le dossier médical des patients », a indiqué la secrétaire générale de la RAMQ, Sonia Marceau. « La majeure partie des données cliniques ne sont pas à la Régie et ne sont pas au ministère de la Santé nécessairement non plus », a-t-elle ajouté. Ce sont les hôpitaux et les cliniques qui en sont les gardiens.
La RAMQ possède toutefois la liste des médicaments achetés par chaque personne couverte par le régime public. Ces informations font déjà l’objet de demandes de la part de compagnies pharmaceutiques, qui peuvent obtenir des données statistiques, mais pas de données brutes anonymisées. « Tout le monde peut demander une statistique de volumétrie à la Régie en payant et il y a différents demandeurs, a expliqué Mme Marceau. Ça fait 30 ans qu’on fait ça et on a eu plus de 4000 demandes. » Des fondations, des entreprises et même Hydro-Québec sollicitent parfois l’organisme. « Souvent, les compagnies pharmaceutiques vont demander [les statistiques pour] la consommation de leur propre médicament », a-t-elle offert en exemple. Ces statistiques peuvent être ventilées par groupes d’âge pour une période donnée.
Protection des données
Chaque demande est examinée et les employés de la RAMQ s’assurent que les statistiques sont fournies avec les précautions qui s’imposent pour éviter qu’elles ne permettent d’identifier qui que ce soit. « Notre priorité est toujours qu’on ne soit pas capable d’identifier un individu ou un groupe d’individus, a expliqué Mme Marceau. Quand le nombre est trop petit et qu’il pourrait moindrement y avoir un risque d’identification, on rassemble les données, etc. On a vraiment des règles strictes, que l’Institut de la statistique [ISQ] applique également. »
Les chercheurs universitaires ou du gouvernement doivent s’adresser à l’ISQ pour avoir accès à des données brutes de la RAMQ par l’entremise d’un centre d’accès aux données de recherche (CADRISQ)… à condition d’aller les consulter sur place. « Quand vous entrez dans un CADRISQ, d’abord, vous devez laisser à l’entrée votre ordinateur portable, votre téléphone cellulaire, vos clés USB ou tout autre objet qui pourrait vous permettre de stocker de la donnée ou de la photographier », a décrit la directrice générale de la direction des statistiques et de l’analyse sociales de l’ISQ, Patricia Caris. Les cubicules transparents permettent au personnel d’avoir une vue sur les chercheurs en tout temps. Des conditions exigées par le ministère de la Santé.
Le Québec compte deux de ces centres, soit un à Montréal et un à Québec. L’ISQ a eu pour mandat en 2019 d’en ajouter deux et d’en créer cinq autres en 2020 dans les endroits où travaillent déjà les chercheurs, comme les hôpitaux universitaires. Ce projet a été ralenti par la pandémie. Or, l’obtention des données demeure difficile pour les chercheurs, qui doivent d’abord faire une demande à la Commission d’accès à l’information et ensuite à la RAMQ. Résultat, ils peuvent parfois attendre jusqu’à deux ans avant de pouvoir enfin les consulter.