Le premier centre de santé autochtone se fait attendre

Harvey Michele, président du Centre de santé autochtone de Montréal en devenir, et Pascale Kaniasta Annoual, responsable du dossier au Réseau et cofondatrice du Centre de santé, dénoncent l’inaction gouvernementale dans le projet.
Photo: Adil Boukind Le Devoir Harvey Michele, président du Centre de santé autochtone de Montréal en devenir, et Pascale Kaniasta Annoual, responsable du dossier au Réseau et cofondatrice du Centre de santé, dénoncent l’inaction gouvernementale dans le projet.

Difficultés d’accès aux services, barrières culturelles et discrimination sont le quotidien des quelque 35 000 Autochtones habitant la grande région de Montréal en quête de soins de santé. Plusieurs d’entre eux se mobilisent depuis des années pour qu’un centre de santé autochtone soit créé en plein centre-ville, mais se heurtent à l’indécision des pouvoirs politiques.

« Ça fait plus de 10 ans qu’on essaie d’avoir un centre, déplore Harvey Michele, Ojibwé natif de l’Ontario et président du Centre de santé autochtone de Montréal en devenir. C’est seulement une question de volonté politique. »

Dans un rapport publié en février dernier, la Direction régionale de santé publique (DRSP) de Montréal rappelle que « la population d’identité autochtone à Montréal présente des caractéristiques spécifiques qui ont un impact sur la santé et sur les besoins en termes de services ». En ce sens, la revendication de services de santé culturellement adaptés aux besoins et à la vision du bien-être des Autochtones est au cœur du projet.

Mais si le conseil d’administration du Centre de santé est en discussion avec la Ville de Montréal depuis 2014, le projet doit encore être « analysé avec les partenaires gouvernementaux », a expliqué au Devoir Marie-Ève Bordeleau, commissaire aux relations avec les peuples autochtones de Montréal.

Officiellement incorporé depuis 2016, le Centre de santé autochtone de Tiohtià : ke (Montréal en mohawk) est une initiative qui découle du comité de travail sur la santé du Réseau de stratégie pour la communauté autochtone urbaine de Montréal. Autogéré, il vise à regrouper les services existants sous un même toit afin de mieux servir la communauté autochtone. « Les services sont trop fragmentés [à Montréal] », déplore Pascale Kaniasta Annoual, responsable du dossier au Réseau et cofondatrice du Centre de santé.

Il faut « combiner les services de santé et les services sociaux », dans un contexte où la santé des Autochtones est victime de facteurs sociaux défavorables, souligne Daniel Caramori, collaborateur pour le Réseau.

La santé autochtone

 

Une offre de services culturellement adaptés passe surtout par des fournisseurs de services de santé qui comprennent la vision autochtone du bien-être, explique Mme Annoual. « Ça dépasse l’absence de la maladie ; c’est la présence et le maintien du bien-être des personnes et des familles, sur le plan physique, émotionnel, mental et spirituel. » Un accès à des méthodes de guérison traditionnelles est alors essentiel, en parallèle à la médecine occidentale. « C’est à moi de choisir les services appropriés », soutient Harvey Michele, qui réside à Montréal depuis 40 ans.

Dans le futur centre, des aînés-guérisseurs seraient responsables de l’organisation des soins de santé ainsi que de la transmission de l’approche traditionnelle auprès des médecins, infirmières, psychologues et travailleurs sociaux œuvrant sur place.

Ça dépasse l’absence de la maladie; c’est la présence et le maintien du bien-être

 

En 2012, le comité santé du Réseau a réalisé une importante étude afin d’orienter la création d’un centre de santé holistique. « Des difficultés dans l’accès aux services et des expériences de discrimination ont été citées [par les Autochtones], surtout en ce qui concerne les domaines de la santé mentale et de la réhabilitation pour les problèmes de drogue et d’alcool », lit-on dans le rapport. À cet égard, le Centre de santé cherche à offrir des rapports « culturellement sécuritaires » entre le fournisseur et le prestataire de services de santé.

« La sécurisation culturelle vise à éliminer la discrimination institutionnelle et les relations de pouvoir au sein de ces services », précise M. Caramori. Dans son récent rapport, la DRSP de Montréal propose à son tour l’accès à des services de santé culturellement sécurisants ainsi qu’une approche de santé globale.

Une douzaine de centres de santé autochtones existent déjà dans plusieurs villes canadiennes, dont Toronto et Vancouver. À Ottawa, le Centre de santé autochtone Wabano cumule 20 ans d’expérience en santé holistique.

Se renvoyer la balle

 

Dans sa quête de financement, Mme Annoual tente de mobiliser les différentes institutions politiques, mais ces dernières « attendent les unes après les autres », explique-t-elle.

Une collecte de fonds est en cours pour financer le salaire d’un directeur autochtone et d’un aîné-guérisseur.

Mme Annoual ajoute que le dossier est connu du gouvernement fédéral et que des membres du Centre de santé ont rencontré en janvier 2019 le ministre des Services aux Autochtones, Marc Miller. Or, l’appui du gouvernement québécois est essentiel à la viabilité du projet, le domaine de la santé étant de compétence provinciale.

La ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann, a été invitée à contribuer au développement du projet afin de promouvoir ses volets de formation et de recherche. Mais « ce dossier concerne davantage le ministère de la Santé et des Services sociaux », a répondu le ministère dans un courriel envoyé au Devoir. Le ministère de la Santé, lui aussi sollicité, a reconnu l’importance d’un tel projet, mais s’en est remis, pour sa part, aux autorités locales du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.

« C’est comme si on nous demandait carrément de trouver la solution intergouvernementale, déplore Pascale Annoual. On est un dommage collatéral dans leur manque de cohérence. »

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