Pour la tenue d’un registre des femmes enceintes infectées

Pour le moment, aucune malformation liée à la COVID-19 n’a encore été rapportée dans le monde.
Photo: Getty Images / iStockphoto Pour le moment, aucune malformation liée à la COVID-19 n’a encore été rapportée dans le monde.

Un groupe de médecins québécois presse le gouvernement Legault de créer un registre des femmes enceintes infectées par la COVID-19 afin de déterminer les conséquences de la maladie sur les mères et leurs nourrissons. Selon de récentes études, le coronavirus augmente le risque d’accouchement prématuré. Mardi, la revue scientifique Nature Communications a fait état d’une transmission du virus par le placenta.

Raison de plus, plaident des médecins, pour récolter davantage de données sur les femmes atteintes de la COVID-19 durant la grossesse. « Le besoin d’un registre exhaustif des cas au Québec est d’autant plus criant », dit la Dre Isabelle Boucoiran, gynécologue-obstétricienne au Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine, à Montréal.

La Dre Isabelle Boucoiran pilote le volet québécois d’une étude canadienne sur la COVID-19 chez les femmes enceintes. Au Québec, huit hôpitaux participent à cette recherche. Parmi eux, le CHU de Québec — Université Laval, le CHU de Sherbrooke, l’Hôpital général juif, à Montréal, la Cité de la santé, à Laval, et le CHU Sainte-Justine.

« On pousse pour que le ministère [de la Santé et des Services sociaux] mette en place un registre permettant de collecter des informations sur toutes les femmes enceintes de la province, parce que si on prend juste des cas dans les grands centres, on risque d’être biaisé, c’est-à-dire de voir seulement les cas où il y a le plus de problèmes », explique la Dre Boucoiran.

De récentes études menées à l’étranger ont montré une augmentation du risque d’accouchement prématuré, en particulier chez les femmes hospitalisées pour une forme sévère d’infection lors du troisième trimestre de la grossesse, indique la médecin.

Au Québec, quelques cas de prématurité liée à la COVID-19 ont été dénombrés, ajoute-t-elle : « En parlant avec les différents partenaires dans les centres [hospitaliers], j’ai eu l’impression qu’on avait eu quelques cas d’accouchement prématuré, mais plutôt prématuré tardif, soit de 33 à 36 semaines ».

Aucun nourrisson n’a souffert d’une forme sévère de la COVID-19 au Canada, selon la Dre Fatima Kakkar, pédiatre infectiologue au CHU Sainte-Justine. La chercheuse vient de soumettre pour publication les résultats d’une étude qu’elle a menée auprès de 6 nouveau-nés et de 21 bébés âgés de moins d’un an, qui sont suivis à l’hôpital pédiatrique.

En parlant avec les différents partenaires dans les centres [hospitaliers], j’ai eu l’impression qu’on avait eu quelques cas d’accouchement prématuré, mais plutôt prématuré tardif, soit de 33 à 36 semaines

 

« Les nourrissons sont très peu symptomatiques, observe la Dre Kakkar. On ne comprend pas pourquoi. » La médecin souligne qu’un nourrisson peut être hospitalisé pendant une semaine ou deux lorsqu’il attrape un rhume.

Fait préoccupant : une étude française, qui vient d’être publiée dans Nature Communications, montre que la mère peut transmettre la COVID-19 à son enfant lorsqu’il est dans son ventre. Le virus a été détecté dans le placenta, le liquide amniotique et chez le nouveau-né.

« C’est le seul cas confirmé parmi des centaines de femmes qui ont accouché, signale la Dre Kakkar.

Cette transmission in utero demeure « rare », précise Fatima Kakkar. Elle survient « probablement surtout si la mère fait une maladie sévère, avec une haute charge virale », estime-t-elle. Reste à voir s’il y aura des séquelles ou non chez le nourrisson infecté, qui s’est remis de la maladie, tout comme sa mère.

Pour le moment, aucune malformation liée à la COVID-19 n’a encore été rapportée dans le monde. « S’il y avait un risque important, on l’aurait déjà vu, estime la Dre Isabelle Boucoiran. Mais c’est sûr qu’il y a des atteintes virales qui peuvent donner des atteintes cérébrales qui sont plus difficiles à dépister à la naissance et qui vont apparaître plus tard. » On ignore aussi l’effet de la COVID-19 lorsqu’elle survient en début de grossesse.

Mères plus à risque

Les mères, quant à elles, semblent plus susceptibles de complications si elle contracte la COVID-19, rapporte la Dre Isabelle Boucoiran.

À l’Hôpital général juif, le bilan est toutefois positif. L’établissement a accueilli une quarantaine de femmes enceintes infectées par la COVID-19. « La majorité avait des symptômes mineurs, comme la perte du goût et de l’odorat », dit le Dr Haim Arie Abenhaim, gynécologue-obstétricien, spécialisé dans les grossesses à risque. Beaucoup étaient asymptomatiques.

« Mais on a eu certains cas [de femmes] très malades, poursuit le médecin, qui travaille avec la Dre Isabelle Boucoiran sur le volet québécois de l’étude canadienne. Certaines ont été aux soins intensifs pour une période allant jusqu’à une semaine. » Au Québec, aucune femme n’est décédée de la maladie, selon les experts consultés.

« Mais il ne faut pas penser que nous sommes sans risque si on est infecté, met en garde le Dr Haim Arie Abenhaim. Ce virus a cinq mois. On ne le connaît pas. »

Malgré ces incertitudes, les médecins interviewés tiennent à rassurer les femmes enceintes. Elles n’ont pas à s’isoler. « Je ne pense pas que c’est la bonne chose à faire pour la santé mentale de rester à la maison », dit le Dr Haim Arie Abenhaim.

Les femmes enceintes et leurs proches doivent demeurer vigilants et faire preuve de rigueur dans l’application des mesures d’hygiène et de prévention des infections (lavage des mains, port du masque et distanciation), disent les experts consultés.

Mais elles ne doivent pas paniquer pour autant. « Le stress en grossesse est associé à pas mal plus de risques de complications, comme des accouchements prématurés », explique la Dre Isabelle Boucoiran. Tenter de demeurer zen, donc, malgré une pandémie qui chamboule la vie.

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