Pénurie de personnel et mauvaise gestion en CHSLD

Après un nouveau rapport dévastateur sur les CHSLD, frappés de plein fouet par la pandémie, l’heure n’est plus à l’examen, jugent des acteurs du milieu. Il faut s’attaquer d’urgence au nerf de la guerre : le manque criant de personnel et sa mauvaise gestion.
« Je suis dévasté par le rapport, mais aussi de me dire qu’on sonne l’alarme pour une énième fois », lance d'emblée Françoise Ramel, présidente par intérim du Syndicat des professionnels en soins de santé du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.
Un avis partagé par Paul G. Brunet, président du Conseil pour la protection des malades, qui regroupe 200 comités de résidents. La pandémie n’a fait qu’exacerber les lacunes du secteur et mis en lumière le fait que « les aînés n’ont jamais été une priorité », dit-il. Tous deux espèrent que la crise sanitaire fasse enfin bouger le gouvernement.
« On sait depuis longtemps que les CHSLD auraient dû bénéficier de beaucoup plus d’attention dans le passé, et on a malheureusement composé avec cet héritage. Ça ne veut pas dire qu’il faut l’accepter », a réagi de son côté le nouveau ministre de la Santé, Christian Dubé.
Son gouvernement travaille sur « plusieurs solutions de front », dont la formation et la « valorisation » du personnel, la construction de maisons des aînés et la rénovation de CHSLD vétustes. « Une fois la crise passée, on va regarder comment améliorer notre réseau des CHSLD pour prévenir des situations tragiques comme celles qu’on a vues ces derniers mois », a-t-il ajouté.
Dans un volumineux rapport dévoilé vendredi, dix chercheurs mandatés par la Société royale du Canada — un réputé corps scientifique indépendant — ont passé sous la loupe les établissements de soins longue durée du pays. Leur constat est brutal.
Le Canada affiche une proportion de décès liés à la COVID-19 survenus dans ces foyers parmi les plus élevées du monde (81 %). Elle dépasse largement celle des États-Unis (31 %) et de l’Espagne (66 %), deux pays lourdement endeuillés.
Et le Québec, tout comme l’Ontario, y joue pour beaucoup « C’est catastrophique, ce qui s’est passé. L’armée a été envoyée en renfort. On ne peut pas continuer comme ça », résume en entrevue l’une des auteurs, Francine Ducharme.
Si le rapport formule une série de recommandations, la main-d’œuvre reste le chantier prioritaire, précise celle qui est aussi doyenne de la Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal. « Reconstruire nos CHSLD va prendre du temps. Mais pour le personnel, on peut s’y attaquer dès maintenant. »
Québec devrait ainsi accroître le nombre de préposées aux bénéficiaires, et en prendre soin davantage. Il doit leur accorder des emplois permanents, hausser leur salaire, leur offrir des avantages sociaux et un soutien psychologique. Leur formation « variable et minimale » doit également être bonifiée et mieux encadrée.
Le gouvernement s’est déjà engagé à ajouter 10 000 préposés grâce à une formation express. Avec la promesse qu'ils décrocheront en bout de ligne un emploi à temps plein dans un CHSLD et une rémunération annuelle de 49 000 $. « C'est un premier pas, mais il faut aussi ajouter des professionnels pour rééquilibrer les ratios », insiste Mme Ducharme. Cela inclut davantage d’infirmières, d’ergothérapeutes et de psychologues, notamment.
À l’heure actuelle, pas moins de 90 % du personnel prenant soin des aînés sont des préposés aux bénéficiaires, précisent les chercheurs.
« On forme des infirmières en prévention et en contrôle des infections. À mon avis, il devrait y en avoir dans chaque CHSLD », poursuit Francine Ducharme. Or, difficile de les attirer quand les salaires et les conditions de travail y sont « épouvantables ». Sans compter que, pour beaucoup, « travailler avec des personnes âgées est moins glamour que l’urgence ou les soins intensifs ».
La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) dénonce depuis longtemps le manque criant d’employés spécialisés. Dans ces établissements devenus des « mini hôpitaux », le nombre de patients souffrant de divers troubles de santé et exigeant un niveau de soins élevé a bondi, plaide son vice-président Jérôme Rousseau.
« Une infirmière de jour peut avoir en moyenne 30 patients à sa charge. Le soir, c’est jusqu’à 40 et la nuit, 50. J’ai même vu des pics à 150 patients », déplore celui dont le syndicat réclame au gouvernement une baisse du ratio en présence.
Il n’y a pas que le nombre d’effectifs qui doit être revu, mais aussi leur gestion, plaident les auteurs du rapport. Elle fut calamiteuse ce printemps, avec un va-et-vient de personnel entre zones chaudes et froides, et d’un établissement à l’autre. Cette pratique a accéléré la propagation du virus, tout comme le recours à des agences de placement qui doit cesser, plaide les chercheurs.
Cela dit, le gouvernement fédéral a aussi son rôle à jouer, selon le groupe de travail de la Société royale du Canada. Ottawa doit hausser son financement et mettre en place des « normes nationales » pour tous les établissements de soins de longue durée du pays.