La nouvelle vie des immunodéprimés
Depuis près de trois mois, Brian vit comme un ermite. Il sort le moins possible de son appartement du Plateau Mont-Royal. Il craint de contracter la COVID-19. « J’ai zéro contact avec à peu près personne », dit-il. Ce Montréalais de 57 ans vit avec le VIH-sida. « Je suis vulnérable à la COVID-19. Ça m’inquiète. »
Brian est séropositif depuis 2003 — il préfère taire son nom puisque des gens autour de lui ignorent sa maladie. La pandémie a transformé sa vie. « Avant, j’étais quelqu’un qui sortait le matin et qui rentrait le soir, après le souper », dit-il. Il est maintenant cloîtré chez lui et fait du télétravail. « Je me fais livrer [l’épicerie] le plus possible, dit-il. Je vois mes amis par Facetime. »
En plus d’être séropositif, Brian a des comorbidités. Ses reins fonctionnent à moitié, conséquence de la prise, dans le passé, d’un médicament contre le VIH-sida. « Je fais de l’asthme allergène depuis que j’ai un chat », ajoute-t-il. En avril, il s’est résigné à donner son compagnon en adoption. « J’habite seul, dit-il. Il était ma seule présence. »
La COVID-19 fait peur à bien des gens dont le système immunitaire est affaibli. Et pour cause. Les personnes immunodéprimées sont plus à risque de complications à la suite d’infections respiratoires. « Au début de la pandémie, on pensait que tous les gens immunodéprimés étaient à risque [de COVID-19], dit le Dr Donald Vinh, microbiologiste au Centre universitaire de santé McGill et chercheur clinicien. On découvre maintenant que non. »
Les femmes enceintes, les gens souffrant de polyarthrite rhumatoïde ou atteints de la maladie cœliaque ne semblent pas à plus haut risque d’être infectés par la COVID-19 et d’être atteints d’une forme sévère de la maladie, explique le Dr Donald Vinh.
Quant aux personnes séropositives, trop peu de données sont encore disponibles, d’après le Dr Réjean Thomas, directeur médical de la clinique L’Actuel, à Montréal. « Mais pour le moment, selon les cliniciens des hôpitaux dans les pays occidentaux, il ne semble pas y avoir une atteinte supérieure de la COVID-19 chez les personnes ayant le VIH-sida, sous trithérapie, dit-il. Ce traitement protège leur système immunitaire. »
Une étude internationale, publiée il y a une semaine dans la revue scientifique The Lancet, montre toutefois que les gens atteints d’un cancer actif, qui touche un organe, ont un risque élevé d’être infectés par la COVID-19 et de développer des symptômes sévères. « C’est sûr que les patients plus vieux sont affectés plus sévèrement que les plus jeunes », dit le Dr Donald Vinh, qui a contribué à cette étude.
Les personnes qui ont reçu une greffe de moelle osseuse ou qui sont sur le point d’en recevoir une figurent aussi parmi les plus vulnérables, selon le Dr Donald Vinh.
Télétravail recommandé
En attendant d’avoir davantage de données, l’Institut national de santé publique du Québec prône le principe de précaution. Il recommande que les travailleurs de la santé immunodéprimés soient réaffectés pour éviter qu’ils soient en contact avec des cas positifs, probables ou suspectés de COVID-19. Il préconise le télétravail pour 11 catégories de travailleurs immunodéprimés, comme ceux ayant une maladie auto-immune et recevant un traitement immunosuppresseur.
C’est le cas de Paulina Campos, qui souffre de polyarthrite rhumatoïde. La technicienne administrative de 42 ans travaille à partir de la maison. « Mon médecin m’a même signé un billet d’arrêt de travail si je ne suis plus en mesure de continuer [en ce sens] », précise-t-elle.
La COVID-19 l’angoisse. « Si je l’attrape, est-ce que je vais être hospitalisée ? Est-ce que mon conjoint et moi, on sera malades ? Qui va s’occuper de notre petit garçon ? », se demande-t-elle.
Pour éviter une contamination, toute la famille reste à la maison. Son conjoint travaille à distance. « Même si on dit qu’on déconfine, nous, on ne déconfine pas, dit Paulina Campos. On ne fait pas de barbecue. Mon fils ne va pas dans les modules de jeu au parc. » Il s’amuse plutôt dans le sable, joue au soccer et s’adonne à la collection de roches.
Mais Paulina Campos sait que, tôt ou tard, son fils devra retourner à la garderie. « Si je ne l’emmène pas le 1er septembre, il va perdre sa place », dit-elle. Elle se retrouvera dans de beaux draps, remarque-t-elle, si un vaccin est produit seulement au début de 2021. Elle retournera alors au travail.
Heïdi Deschênes, elle, n’en peut plus de cette pandémie. La femme de 37 ans, mère de deux jeunes enfants, souffre d’un cancer du sein de stade 3.Depuis le 23 décembre, elle a subi 16 traitements de chimiothérapie et l’ablation des deux seins. Elle est porteuse de mutations du gène BRCA2, un important facteur de risque du cancer du sein.
« Au début de la pandémie, tout ce qui rentrait dans la maison devait se faire désinfecter : l’épicerie, les colis, raconte Heïdi Deschênes, qui vit à Magog. Je ne pouvais aller nulle part. »
Depuis le déconfinement, elle fait quelques courses avec un masque. Ses enfants, âgés de trois et cinq ans, restent à la maison. Son aînée, qui aurait pu retourner à la maternelle en mai, s’ennuie de ses amis et de son enseignante, dit-elle.
Si ce n’était que ça. Heïdi Deschênes a aussi dû se rendre seule à des traitements de chimiothérapie ainsi qu’à son intervention chirurgicale, un moment charnière de sa vie de femme. Les accompagnateurs sont interdits dans les hôpitaux durant la pandémie. « C’est comme un cauchemar », dit-elle.
Malgré tout, Heïdi Deschênes entrevoit des jours meilleurs. Le pronostic est « bon », souligne-t-elle.
Brian, lui, ignore combien de temps encore il restera confiné. Il a passé un test sérologique pour la COVID-19 après avoir eu des symptômes s’apparentant à la maladie. Résultat : négatif. « Si ça avait été positif, ça m’aurait peut-être donné une paix d’esprit… »