Enfants et parents ont besoin de soutien psychologique

Depuis la fermeture des écoles, plusieurs ados n’ont plus accès au suivi psychologique auquel ils étaient habitués.
Photo: Getty Images Depuis la fermeture des écoles, plusieurs ados n’ont plus accès au suivi psychologique auquel ils étaient habitués.

Il est 9 h. Léa Pépin, une intervenante psychosociale de Tel-jeunes et de la LigneParents, se branche sur la plateforme Teams. Elle salue virtuellement ses collègues — des criminologues, des sexologues, des psychologues et des intervenants psychosociaux comme elle. Tous travaillent désormais de la maison, mais restent connectés — un lien crucial pour partager ce qu’ils entendent et ce qu’ils vivent.

Quelques minutes plus tard, un premier appel entre. Ou plutôt un premier clavardage. Depuis le début de la crise de la COVID-19, les interventions à Tel-jeunes et à la LigneParents sont en hausse de 30 %. Ce sont donc en moyenne 200 jeunes et 73 parents qui réclament, chaque jour, de l’aide. Pour répondre à cette demande grandissante, Québec a octroyé à l’organisme une aide d’urgence de 500 000 $ pour accroître le nombre d’heures offertes en relation d’aide.

Il faut dire que, depuis la fermeture des écoles, plusieurs ados n’ont plus accès au suivi psychologique auquel ils étaient habitués. Sans compter le stress et l’anxiété qui sont en recrudescence chez les parents comme chez les enfants, désormais confinés 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 ensemble, dans une incertitude déboussolante.

Cette fois, c’est un ado de 13 ans qui vit une peine d’amour qui est au bout de son clavier. Avec cette question lancinante, sorte de rituel affligeant de l’adolescence : quand arrêterai-je d’avoir mal ?

L’intervention dure une heure. Léa accueille sa peine, crée un lien avec l’ado et lui pose des questions pour bien comprendre la situation. « On a un modèle d’intervention qui vise à ce que la personne reprenne du pouvoir sur sa situation », indique Léa. Les conseils et les réponses clés en main sont donc remisés. « J’ai pris le temps de lui parler pour qu’il réfléchisse lui-même à ce qui lui fait du bien. » L’ado a finalement décidé de contacter un de ses amis pour jouer en ligne avec lui. Et Léa lui a rappelé qu’il est important de prendre le temps de vivre sa peine.

« Habituellement, les jeunes trouvent que leurs problèmes sont exacerbés par la COVID, mais pour lui, c’est un avantage d’être confiné puisqu’il ne croise plus l’autre personne », souligne Léa.

Depuis le 13 mars, date de l’annonce de la fermeture des écoles, les appels liés à la santé mentale et psychologique sont passés de 40 % à 50 % à Tel-jeunes et à la LigneParents. Ne plus voir ses amis, devoir faire une croix sur son bal de finissants ou encore ne plus pouvoir fréquenter son chum ou sa blonde sont autant de situations crève-cœur que les ados et leurs parents sont contraints à vivre. « Beaucoup de jeunes ressentent de la colère, de l’incompréhension et un sentiment d’injustice », explique Léa.

Multiples chapeaux

 

Les parents sont aussi au centre de cette tempête qui redéfinit les rôles familiaux. En plus d’être parents, ceux-ci sont devenus du jour au lendemain des télétravailleurs, des enseignants et parfois même des intervenants psychosociaux. Des chapeaux parfois bien difficiles à empiler.

Pendant que Léa discutait avec l’ado, Geneviève Henry, elle, recevait l’appel d’un parent aux prises avec un enfant de deux ans dont les crises s’accentuent. Là aussi l’intervention s’est étirée sur près d’une heure.

« Ce sont des comportements ou des questionnements qui étaient déjà là avant, mais depuis la crise, les parents doivent y faire face 24 heures sur 24, sans pause. C’est normal qu’ils se sentent débordés », explique l’intervenante psychosociale.

Le même mode d’intervention a été déployé : accueillir la personne, l’écouter et la soutenir, puis l’amener à trouver elle-même des solutions qui s’appuient sur ses forces et sur ce qui fait sens pour elle.

Ici, l’enfant avait vécu un changement familial important dans les derniers jours. Le plan d’action déployé a donc été de lui offrir plus de réconfort et d’attention pendant ce moment déstabilisant.

Une relation d’aide par écrit

Alors que 86 % des parents qui réclament de l’aide le font encore par téléphone, cette proportion n’est que de 23 % chez les ados qui se tournent désormais majoritairement (68 %) vers la communication écrite instantanée — texto et clavardage — et le courriel (9 %) pour solliciter de l’aide.

Un mode de communication qui offre un anonymat et un sentiment de contrôle encore plus grands pour les jeunes, explique Élise Huot, coach clinique chez Tel-jeunes et LigneParents. « Quand les ados sont cachés derrière leur écran, leurs parents ne peuvent pas les entendre et l’émotion dans leur voix est moins perceptible. »

Les interventions sont toutefois plus longues. « On doit poser plus de questions pour comprendre une situation et l’état émotionnel de l’ado. » Les questions fermées (tu es triste ?) laissent ainsi place à des suggestions ouvertes (parle-moi de ce qui te rend triste), plus propices à la confidence. Et les discussions qui en ressortent sont souvent plus franches, estime Élise Huot. « Au téléphone, l’ado n’oserait pas nécessairement me dire que je ne l’aide pas tant que ça, mais à écrit, c’est moins confrontant pour lui. »

Fatigue de compassion

 

Pour traverser cette période vive en chamboulements, la quarantaine d’intervenants de Tel-jeunes et de la LigneParents bénéficient, eux aussi, d’un soutien pour éviter qu’ils ne sombrent dans la fatigue de compassion. Un état qui survient lorsque l’intervenant vit un excès d’empathie et se sent submergé par les interventions qu’il ou elle réalise. « C’est plus difficile en ce moment de prendre de la distance. Notre clientèle nous parle des difficultés liées au confinement pendant qu’on vit, nous aussi, ce confinement », fait valoir Camille Mikan-Dupuis, coordonnatrice des services. De la même manière que Tel-jeunes et la LigneParents sont ouverts 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, l’équipe de soutien clinique est disponible à toute heure du jour ou de la nuit pour soutenir ses intervenants.

21 h vient de sonner. Laurence Beaudry-Jodoin, une intervenante psychosociale, termine une intervention par texto qui s’est étirée sur plus d’une heure et demie. Une ado lui confiait avoir vécu un conflit avec une de ses amies. « Elle se sentait impuissante face à la situation. Et puisque les contacts sont plus difficiles en ce moment, c’est plus ardu pour les ados de régler ce type de problèmes. »

En soirée, les appels — plus nombreux — se drapent souvent d’une intensité particulière, alors qu’ados et parents traînent avec eux la fatigue de leur journée, souligne Laurence. « J’ai souvent des appels de jeunes qui n’arrivent pas à s’endormir parce qu’ils sont trop stressés. » Stressés par les effets qu’a la COVID-19 sur leur vie, par les dangers que courent leurs proches ou encore par la mésinterprétation de la tonne d’informations qui circulent. C’est donc tout bas, tapis chez eux en textant silencieusement sur leurs claviers, que les ados nous rappellent haut et fort qu’ils vivent eux aussi pleinement les contrecoups de cette crise à fragmentation.

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