Sainte-Adèle dénonce l’opacité du CISSS régional

La Maison Wilfrid-Grignon, à Sainte-Adèle, où une équipe du CISSS des Laurentides a été dépêchée pour prendre soin des aînés.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir La Maison Wilfrid-Grignon, à Sainte-Adèle, où une équipe du CISSS des Laurentides a été dépêchée pour prendre soin des aînés.

Une équipe du CISSS des Laurentides a été dépêchée à la Maison Wilfrid-Grignon, une ressource intermédiaire (RI) aux prises avec une éclosion de COVID-19, où plusieurs employés déplorent une situation chaotique. La mairesse de Sainte-Adèle s’inquiète quant à elle du manque de transparence du CISSS qui refuse de dévoiler le nombre de résidents infectés.

« Le CISSS ne nous donne pas les chiffres officiels. Les citoyens qui ont des parents à l’intérieur ne sont pas nécessairement au courant de ce qui s’y passe », déplore Nadine Brière. Selon la mairesse, près de la moitié des 74 résidents de la RI sont infectés par le coronavirus. Un bilan qu’elle dit avoir dressé en sondant des professionnels de la santé en poste à la Maison Wilfrid-Grignon, qui a pignon sur rue dans sa municipalité.

« Comme il s’agit d’une ressource intermédiaire, nous ne pouvons pas dévoiler ces données pour des raisons de confidentialité », nous a répondu le CISSS des Laurentides. Les résidents des RI — en perte d’autonomie légère à moyenne ou encore aux prises avec une déficience physique ou intellectuelle — sont envoyés dans ces établissements privés par le réseau public.

Quand les infirmières du CISSS sont arrivées, c’était insalubre, les poubelles débordaient, le ménage n’avait pas été fait depuis belle lurette. Ça faisait quelques semaines que des patients n’avaient pas été lavés. Ils faisaient pitié.

 

Le CISSS des Laurentides nous a néanmoins confirmé que plus d’une vingtaine de ses employés ont été appelés en renfort dans la RI. En plus du personnel déployé sur le terrain, un soutien est également apporté dans la gestion de la résidence privée. Une gestionnaire, une coordonnatrice et une conseillère en prévention et contrôle des infections ont été dépêchées sur place.

Ce déploiement d’effectifs du CISSS fait suite à une recommandation de la Direction de la santé publique et s’est effectué en collaboration avec les exploitants de la ressource, mentionne le CISSS des Laurentides.

Selon Denis Provencher, président de la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ) pour les Laurentides, huit employées de la RI ont démissionné depuis le début de la crise. Une trentaine de membres du personnel serait en quarantaine.

 

« Quand les infirmières du CISSS sont arrivées, c’était insalubre, les poubelles débordaient, le ménage n’avait pas été fait depuis belle lurette, a-t-il indiqué. Ça faisait quelques semaines que des patients n’avaient pas été lavés. Ils faisaient pitié. »

« J’ai honte d’avoir travaillé là », souffle une préposée qui a requis l’anonymat par crainte de représailles et qui se trouve actuellement en quarantaine en raison de symptômes liés à la COVID-19. « C’était juste une question de temps avant que ça pète. »

Selon elle, le manque de personnel, la désorganisation et les lacunes dans les soins offerts aux résidents étaient présents avant la crise actuelle. « Il n’y a pas de soins de qualité. Il n’y a pas de défibrillateur sur place. Il n’y a pratiquement pas de trousse de premiers soins. On a juste des plasters », rapporte-t-elle.

« J’arrivais souvent en pleurant avant même le début de la crise, ajoute cette préposée. J’avais l’impression de me trahir quand j’allais travailler là. Je suis pas capable de botcher comme ils veulent qu’on botche. »

Le CISSS des Laurentides affirme qu’un défibrillateur se trouve dans la résidence, ce que plusieurs personnes ayant travaillé sur place ont nié. « Si il y en a un, il est bien caché », a lancé l’une d’elles.

« C’est toute de la négligence là-bas », soutient Monica Poulin, qui a brièvement travaillé comme préposée à la Maison Wilfrid-Grignon avant la crise de la COVID. Celle-ci déplore que déjà à cette époque, les informations concernant la diète des résidents ou encore leur état de santé n’étaient pas transmises adéquatement au personnel. « Ça n’avait aucun sens. »

À son arrivée à la Maison Wilfrid-Grignon la semaine dernière, Isabelle Chalifoux, une infirmière auxiliaire appelée en renfort, a été immédiatement « jetée dans la gueule du loup ».

« On m’a envoyée tout de suite sur une unité. Je ne connaissais pas les patients, il n’y avait aucun bracelet pour les identifier. Je n’avais ni leurs dossiers ni d’informations sur leurs diètes et je ne connaissais pas les niveaux de soins [auxquels ils avaient consenti] », déplore-t-elle, ajoutant n’avoir aucune idée du nombre de patients infectés par la COVID-19. « On dirait que c’est caché. »

Claudine Lamoureux, qui a aussi prêté main-forte la semaine dernière, s’est dite « horrifiée » par ce qu’elle a vu. « Je ne pensais pas que ça pouvait se passer dans les Laurentides. » L’organisation de la résidence est largement déficiente, soutient cette infirmière auxiliaire. « La première journée, ils m’ont dit : si tu te coupes, on n’a même pas de plasters à t’offrir. […] Vendredi, ils m’ont déplacée d’une zone chaude à une zone froide. »

Isabelle Chalifoux et Claudine Lamoureux ont toutes deux des symptômes liés à la COVID-19 et sont en attente des résultats de leurs tests de dépistage.

Confinement

 

Bernard Vandal, qui résidait à la Maison Wilfrid-Grignon, est décédé de la COVID-19 le 27 avril. Sa petite-fille Josianne St-Jacques — qui dit parler au nom de toute sa famille — estime que la mort de son grand-père était évitable. « Notre pépé […] nous faisait part de l’inquiétude qu’il avait de se retrouver avec les autres résidents dans la salle à manger aux heures de repas. Il nous disait également qu’aucune mesure de confinement n’était en vigueur, les gens se promenaient dans la résidence, et ce, même après la confirmation de cas positifs. »

La famille de Bernard Vandal déplore également le manque de transparence de la direction. « On nous confirmait que tout allait bien et que la situation était sous contrôle, de toute évidence ils nous mentaient. »

« Je ne suis pas surpris de voir ce qui se passe », mentionne pour sa part Jean-François Bernard, qui a sorti sa mère de la Maison Wilfrid-Grignon en janvier. « Les sonnettes au pied des lits ne fonctionnaient pas toujours. [Les résidents] mangeaient presque toujours du poulet. Le personnel était débordé », raconte cet infirmier. La direction a d’ailleurs tenu deux rencontres avec les familles des résidents pour faire le point sur la situation, rapporte-t-il. « Mais ça n’a rien changé. »

Joint par téléphone, Paul Arbec, président et chef de la direction du Groupe santé Arbec qui possède la Maison Wilfrid-Grignon, assure que tout « va très bien ». « Ce n’est que de la propagande syndicale », a-t-il lancé.

« On gère présentement plus les relations avec les familles en raison des médias que pour des raisons cliniques », a-t-il ajouté, disant ne pas vouloir faire davantage de commentaires.

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