Les patients hospitalisés en psychiatrie prisonniers de la crise sanitaire

Depuis le début du confinement, les patients hospitalisés en psychiatrie n’ont plus le droit d’effectuer des sorties à l’extérieur — parfois pas même sur un balcon —, ce qui brime leurs droits fondamentaux, dénoncent des organisations de défense des droits des patients.
À l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, toutes les situations qui pourraient créer un rapprochement entre des personnes ont été proscrites, confirme Christian Merciari, conseiller en communication au CIUSSS de l’Est-de l’Île-de-Montréal. « Ce sont les consignes du ministère. Il faut qu’on soit très stricts, fait-il valoir. Si on laisse sortir les patients dehors, on ne sait pas ce qui va se passer, s’ils vont aller parler à quelqu’un. »
Une contamination peut rapidement devenir collective, souligne-t-il. « On veut protéger les usagers et le personnel. »
Même pour les balcons ? « C’est un choix qui a été fait. Sinon, ça prendrait du personnel pour superviser les allées et venues sur les balcons. »
Au départ, ils sont gardés dans des conditions pas très agréables et ils vivent d’importants problèmes émotionnels. Et là, on leur rajoute une couche supplémentaire.
Pour des organisations de défense des droits des patients, cependant, ces conditions de confinement sont « traumatisantes ». « Le respect des mesures sanitaires ne doit pas se faire au prix de la mise en veilleuse de la dignité et des droits fondamentaux des personnes », soulignent dans une lettre ouverte plusieurs regroupements, dont le Conseil pour la protection des malades et l’organisme Action autonomie, un collectif montréalais pour la défense des droits en santé mentale.
« On doit de toute urgence mettre sur pied un mécanisme qui créera des conditions humainement tolérables favorisant à la fois les bonnes pratiques sanitaires et la préservation de la dignité des personnes » pour mettre fin à « cet enfermement » qui aggrave le vécu traumatique des patients, est-il écrit.
Dans une fiche transmise aux établissements de santé le 30 mars, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) mentionne que « les visites sont interdites, ainsi que les sorties et les congés temporaires » pour les patients hospitalisés en santé mentale. « Toutefois, les visites et les sorties essentielles à l’intervention ou pour raison médicale aux usagers le nécessitant demeurent autorisées et doivent être accompagnées. »
Dans un courriel transmis au Devoir, le MSSS assure que les conditions de confinement des patients en santé mentale et en psychiatrie sont les mêmes que pour les patients hospitalisés pour des questions de santé physique.
Mais Jean-François Plouffe, chargé de dossiers collectifs et de communications chez Action autonomie, estime que les directives ne sont pas appliquées avec la même rigueur. « Par exemple, pour un patient qui est un fumeur, [l’interdit de sortie] est plus péremptoire en santé mentale. »
Ainsi, les patients hospitalisés dans une aile ou un hôpital psychiatrique se voient souvent imposer un sevrage en plus d’un confinement total. Des thérapies de remplacement de la nicotine sont proposées aux patients de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal qui n’ont plus la possibilité de sortir fumer depuis le début du confinement, nous a indiqué le CIUSSS de l’Est-de l’Île-de-Montréal. À l’Institut universitaire en santé mentale Douglas, « des méthodes de substitution nicotinique et la mise en place de collations supplémentaires pour toutes les unités » ont été déployées pour pallier l’abolition des sorties cigarettes, précise le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal.
À l’hôpital en santé mentale Albert-Prévost, les patients peuvent encore sortir sur les balcons et dans des cours sécurisées s’ils ne sont pas soupçonnés d’avoir la COVID-19, mentionne le CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal. Tout de même, là aussi, la cigarette est interdite en raison du confinement et un « accompagnement particulier » est offert aux fumeurs.
Si la situation actuelle est anxiogène pour le Québécois moyen qui conserve une partie de ses libertés, elle l’est encore plus pour les patients aux prises avec des problèmes de santé mentale, qui perdent de surcroît leur liberté de mouvement, s’indigne Jean-François Plouffe. « Au départ, ils sont gardés dans des conditions pas très agréables et ils vivent d’importants problèmes émotionnels. Là, on leur rajoute une couche supplémentaire. C’est un cumul de traumatismes », dénonce-t-il en évoquant « une légitimation de l’excès d’autoritarisme ».
Pénurie de personnel
Pour Emmanuelle Bernheim, professeure spécialisée en droit psychiatrique au Département de sciences juridiques de l’UQAM, la situation est certainement inquiétante.
« Souvent, des situations qui ont un impact important sur les droits des patients sont mises en place pour des raisons administratives, en raison notamment de l’organisation du travail et d’une pénurie de personnel », explique-t-elle.
L’exemple de la privation de sorties sur les balcons est éloquent, souligne la professeure. « Puisqu’on n’a pas assez de personnel pour accompagner les patients sur les balcons, on interdit ces sorties. »
Une situation d’autant plus déplorable qu’elle affecte l’état d’esprit et la manière dont les personnes internées vont se comporter. « La recherche montre depuis très longtemps que c’est très apaisant d’avoir des moments où les gens ne sont pas enfermés », explique-t-elle. Le recours à des mesures coercitives diminue lorsque des lieux relaxants sont aménagés et où des moments apaisants sont prévus. « Au final, ces mesures ne sont-elles pas au détriment de tout le monde ? » se questionne-t-elle, craignant notamment que l’interdit de sortie ait un effet sur le recours aux chambres d’isolement.
« Puisque ce sont des gens qui dérangent, c’est comme si ce serait correct de fonctionner de cette façon, en tournant les coins ronds, mais c’est inquiétant pour les droits de ces personnes. »