Les travailleurs de la santé, une armée décimée

Les renforts en CHSLD, promis chaque jour par le premier ministre, n’arrivent pas, dénoncent des professionnels de la santé, à bout de souffle. Dans certains établissements, la COVID-19 a emporté tellement de patients que le personnel réclame l’aide de la Croix-Rouge et même une commission d’enquête.
« Les anges gardiens sont crevés. Ils vont retourner au ciel ! » Au téléphone, la Dre Dominique Langevin est épuisée et indignée. Elle travaille sans arrêt depuis le 31 mars. Les constats de décès se multiplient. « Les renforts n’arrivent pas », dit la médecin qui travaille au CHSLD Nazaire-Piché, situé à Lachine.
Son établissement, qui accueille 100 résidents, est en situation critique, d’après la liste établie par le gouvernement du Québec. Jusqu’à présent, 19 patients y sont morts de la COVID-19, selon le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal. Et 32 autres sont atteints de la maladie.
« Lundi, durant le jour, on avait 6 préposés au lieu de 16, 2 infirmières auxiliaires au lieu de 4 et une infirmière au lieu de 2 », dit la Dre Dominique Langevin.
La médecin réclame l’aide de la Croix-Rouge et de l’armée. « Ils vont former des cohortes de personnes dédiées à notre établissement, dit-elle. Actuellement, on nous envoie des gens au compte-gouttes. C’est du saupoudrage. C’est plus de travail pour les gens qui reçoivent ce monde-là. Il faut les orienter. »
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La Dre Langevin souligne que les employés du CHSLD Nazaire-Piché, qui font continuellement des heures supplémentaires, font de « grands miracles » au quotidien avec « pratiquement rien ». « Les familles sont tellement compréhensives, dit la médecin. Le fils d’une patiente [qui travaille dans le milieu de la santé] m’a dit : “Inquiétez-vous pas pour ma mère. Je sais que vous vous en occupez bien. Prenez soin du personnel”. »
Pour soutenir ce CHSLD et les autres du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, l’hôpital de LaSalle a ouvert mardi soir une unité de COVID-19 destinée aux patients de longue durée, indique la Dre Julie Choquet.
« On pourrait accueillir une dizaine de patients, dit l’omnipraticienne, qui travaille à l’hôpital de LaSalle. Il peut s’agir de gens venant de CHSLD ayant, par exemple, besoin de soins de fin de vie. »
Au CHSLD Laflèche, à Shawinigan, c’est l’hécatombe. Plus de 20 % des résidents (30 sur 137) y sont décédés depuis mars. Pas moins de 68 % des résidents toujours en vie (73 sur 108) sont infectés. Environ 60 % (71) des quelque 120 employés ont contracté la maladie. Et ce, malgré les équipements de protection fournis par l’employeur, souligne le syndicat local.
Peur et colère
La voix brisée, Pascal Bastarache, président de la section locale du syndicat SPPSAM-CSN, avait du mal mercredi à contenir sa colère. Il réclame la tenue d’une commission d’enquête pour faire la lumière sur la gestion de la crise dans cet établissement.
« Les employés pleurent, ont peur. Ils sont fâchés de voir que le gouvernement est complètement déconnecté et continue de justifier l’injustifiable. Ça va prendre combien de morts et d’employés infectés de plus ? », s’est emporté celui qui représente quelque 5700 employés du personnel paratechnique et des services auxiliaires dans la Mauricie et le Centre-du-Québec.
Mercredi, une des deux préposées aux bénéficiaires du CHSLD Laflèche, qui s’est retrouvée aux soins intensifs dans un état critique, a lancé un déchirant appel à l’aide après avoir émergé d’un coma artificiel.
« Je veux juste que ça n’arrive à personne ce que je vis […] J’ai tout donné et maintenant je ne suis même plus capable de faire 10 pas », affirme Élianne, depuis son lit d’hôpital, dans un court message communiqué au Devoir par son représentant syndical.
Sa collègue est toujours plongée dans un coma artificiel à l’unité des soins intensifs.
« Cette employée [Élianne] est démolie, elle a été envoyée au combat sans protection adéquate, déplore M. Bastarache. Elle souffrait d’asthme, mais l’employeur lui a quand même demandé de retourner au travail. »
Au péril du personnel
Après avoir vu des collègues infectés malgré le port de masques chirurgicaux, de gants et de blouses, le syndicat réclame que ses membres au chevet des malades aient accès eux aussi à des masques N95, offrant une protection accrue.
« On tente d’éviter une pénurie dans les hôpitaux, mais ça se fait actuellement au péril de vies dans les CHSLD », insiste Pascal Bastarache. Le porte-parole de la FSSS-CSN Hubert Forcier estime que les conditions dans ce CHSLD sont devenues similaires à celles de bien des hôpitaux.
« On soigne les malades sur place. Dans le même contexte, les employés des cliniques COVID des hôpitaux auraient un masque N95 », tonne-t-il.
Cette demande d’équipements de protection a été jugée non nécessaire par le CIUSSS de la Mauricie et du Centre-du-Québec (MCQ).
Contacté mercredi, l’agent d’information du CIUSSS-MCQ, Guillaume Cliche, a indiqué que la région continuait à appliquer les directives prescrites par la Direction de la santé publique (DSP) quant au port du masque N95.
« Le travail des employés ne fait pas en sorte que des particules sont projetées dans l’air. Pour tous ceux qui sont à moins de deux mètres, les gens ont accès à des masques chirurgicaux et à des gants. On se fie aux experts de la DSP. Quand il n’y a pas d’intubation ou de respirateur, ce n’est pas nécessaire. »
Malgré tout, le nombre d’employés infectés ne cesse d’augmenter. Pourquoi ? « Au début, la DSP disait que les employés exposés, mais asymptomatiques, pouvaient travailler. On a bien vu que c’était une erreur, due à notre méconnaissance du virus. Va-t-on refaire la même erreur ? », soutient Pascal Bastarache.