«The COVID-19 Update», l’infolettre écarlate devenue virale

En médecine, la comorbidité désigne la présence simultanée d’un ou de plusieurs troubles de santé et d’une maladie primaire. Des chercheurs chinois ont réalisé une étude sur les risques d’être plus ou moins affectés par la COVID-19 en fonction de comorbidités impliquant le diabète ou l’hypertension notamment. Ils ont suivi le parcours du dépistage jusqu’au décès ou jusqu’à la guérison de 1590 patients (dont 399 souffrant déjà d’une ou de plusieurs autres maladies) admis dans 575 hôpitaux de 31 provinces et villes de Chine entre le 11 décembre et le 31 janvier dernier.
L’étude chinoise sur ce néfaste cumul des peines est parue le jeudi 26 mars dans The European Respiratoire Journal. L’infolettre québécoise The COVID-19 Update a relayé la recherche à son tour le mardi 31 mars, en même temps que le résumé d’une étude britannique sur les procédures d’intubation des patients hospitalisés infectés par le virus.
C’était la dix-neuvième mouture de la lettre électronique quotidienne destinée aux professionnels de la santé. L’infolettre en anglais se présente comme « la mise à jour quotidienne sur l’état des connaissances » sur le virus. Le média spécialisé fondé par des finissants en médecine de l’Université McGill compte déjà près de 5500 abonnés de 73 pays. Bref, The COVID-19 Update est devenu viral.
« Les universités ont fermé, nous n’avons pas eu de cours pendant deux semaines et je cherchais à m’occuper parce que j’étais moi-même en quarantaine après m’être fait tester », explique Ariane L’Italien, fondatrice et rédactrice en chef de la lettre, finissante de quatrième année de médecine à l’Université McGill. Elle sera officiellement docteure dans quelques semaines. « Je ne pouvais pas sortir, un sentiment d’impuissance m’envahissait. J’ai donc eu cette idée d’une infolettre pour résumer la littérature sur le sujet, non seulement pour les médecins, mais pour le plus de monde possible. »
Informer, c’est tout
Le dépistage du virus s’est révélé négatif pour Mme L’Italien. L’idée de l’infolettre écarlate a germé le vendredi 13 mars. Sa première missive médicale est apparue dès le lendemain. Elle portait sur l’importance du diagnostic assisté par radiologie. Le 21 mars, un billet donnait des renseignements sur les jeunes patients infectés. Le 26, il était question des leçons venues de l’Italie, où trois facteurs pourraient expliquer le plus haut taux de mortalité dans ce pays : l’âge plus élevé de la population ; une autre manière de définir la cause virale des décès ; une stratégie nationale de tests moins étendue.
« On regarde toute la littérature scientifique concernant le coronavirus », explique Catherine Roy, rédactrice en chef adjointe, elle aussi sur le point d’obtenir son diplôme en médecine. « On fait une recherche systématique des articles récents. Généralement, on privilégie les articles parus dans les derniers jours. On connaît mal et peu cette maladie. »
Le média en ligne est indépendant de l’Université McGill même si des professeurs apportent leur soutien, notamment pour valider les informations publiées. La douzaine de collaborateurs étudiants de cinq facultés canadiennes ne suggèrent pas d’adopter telle ou telle pratique médicale. Ils informent et c’est tout.
« Dans ce contexte et dans ces limites, il semble pertinent d’utiliser les compétences d’étudiants en médecine pour examiner quotidiennement toutes les études publiées sur le sujet et souligner le plus pertinent venant de la part des experts en première ligne, dit Mme Roy. On s’intéresse aux avenues de traitements, aux indices de diagnostic, aux stratégies de santé publique. On touche à tous ces aspects. »
Un des articles les plus populaires faisait le point sur l’équipement de protection personnelle des travailleurs de la santé. La rare expertise de terrain disponible sur le virus vient de la Chine et de l’Italie, et l’infolettre montréalaise va bientôt faire appel à une personne capable de lire les revues en mandarin. L’information relayée provient de multiples sources et aussi évidemment de publications renommées, comme la célébrissime New England Journal of Medicine (NEJM).
Le temps presse
Le grand besoin d’information met aussi ces sources réputées sous pression pour publier plus et plus vite sur la pandémie responsable d’une catastrophe mondiale. Virologues, épidémiologistes ou biostatisticiens inondent les publications de propositions. Le NEJM a publié son premier article sur le sujet le 29 janvier. Le comité éditorial reçoit depuis entre 20 et 45 propositions quotidiennes, sept jours sur sept, a expliqué mardi un porte-parole de la revue au journal suisse Le Temps.
La procédure de validation par les pairs a été compressée de plusieurs semaines à 48 heures, voire moins. Ce fast track avait déjà été expérimenté pendant les crises du SRAS et d’Ebola. Le Temps rappelle deux erreurs relevées dans des articles récents, une de fait, l’autre éthique.
« Il y a différents niveaux de qualité dans les recherches scientifiques, dit la rédactrice en chef, sans nommer de cas précis. Certaines peuvent se faire à court terme, par exemple pour comprendre quels patients développent des complications après avoir été infectés. Ces études parlent des facteurs de risque, mais pas de l’efficacité d’un traitement. La majorité de la littérature qu’on voit en ce moment fait de la rétrospective de ce genre. Des études sur le traitement, on n’en a pas beaucoup parce qu’elles prennent plus de temps. »
La rédactrice en chef adjointe en rajoute en rappelant que la patience est un luxe que les scientifiques n’ont pas en ce moment. « On entre dans une ère d’évidences anecdotiques ou de conclusions à partir de petites séries », dit-elle. Elle donne l’exemple de l’anosmie, la perte d’odorat, peut-être un symptôme d’infection, selon une information abondamment relayée en ce moment par les médias, savants ou pas. « C’est bon de l’expliquer, puisque ça peut avoir une incidence en première ligne de traitement. »
L’accès à ces précieuses recherches à chaud pose un autre défi. La fondation britannique en médecine Wellcome Trust, qui défend l’accès libre aux recherches scientifiques, a fait signer fin janvier à 94 éditeurs, universités et fondations un engagement à diffuser gratuitement leurs articles sur le virus, mais aussi des recensions et des livres comme des banques de données réutilisables. Une douzaine de pays ont réclamé le partage des informations scientifiques. L’éditeur Elsevier a libéré tous ses articles sur la COVID-19 à la mi-mars, dont ceux des prestigieuses publications Lancet et Cell.
« On entre beaucoup plus dans l’ère du partage, dit Mme Roy. Beaucoup de revues donnent libre accès à leurs éditions, souvent en diffusant les textes complets des articles, pas seulement des résumés. C’est un changement positif que nous avons noté en ces temps de pandémie. »