La face cachée du diagnostic

Même quand les symptômes sont légers, la charge mentale découlant de la pandémie, elle, est bien présente.
Photo: Getty Images Même quand les symptômes sont légers, la charge mentale découlant de la pandémie, elle, est bien présente.

Des Québécois qui ont été déclarés positifs à la COVID-19 racontent les conséquences de leur diagnostic.

Difficultés respiratoires, toux ou fièvre, les symptômes de la COVID-19 sont très loin de « la grosse grippe » que certains anticipent, préviennent des Québécois qui ont été déclarés positifs. Confinés à la maison, certains après avoir été hospitalisés, ces malades témoignent des signes avant-coureurs à ne pas négliger, mais surtout des conséquences psychologiques de l’isolement dans lequel les a plongés ce virus, dans le but d’en limiter la propagation.

Maxime Desormeaux, 37 ans, Terrebonne

C’était à une époque pas si lointaine, celle où voyager « avec des précautions » était encore permis. C’était le 8 mars et, sur un coup de tête, Maxime et son conjoint ont décidé de partir quatre jours à Paris pour aller voir un concert de Madonna. « Le message des autorités, c’était d’être prudents en voyageant », se souvient Maxime. Dès son retour, le discours de la santé publique avait changé.

Si l’isolement n’était pas encore obligatoire, il était recommandé sur une base volontaire. Maxime a mal à la gorge mais, habitué à tomber malade à ses retours de voyage, il croit d’abord à un rhume habituel. Il décide tout de même de s’isoler avec son conjoint. « Comme ce sont des symptômes que l’on connaît, au début je n’étais pas trop angoissé », explique-t-il. Or, lorsqu’il a perdu son odorat et sa capacité de goûter les aliments, Maxime a paniqué. « Le fait de ne plus rien goûter, j’ai vraiment capoté », confie-t-il.

Maxime a été déclaré positif après avoir passé un test le 17 mars, mais pas son conjoint. Depuis, la santé publique lui a ordonné d’être confiné seul dans une pièce de la maison de laquelle il n’a pas le droit de sortir. « Psychologiquement, je trouve ça extrêmement difficile. Revenir de voyage, ne pas pouvoir apprécier ce qu’on a vécu… et surtout ne pas pouvoir compter sur le réconfort de tes proches dans un moment où tu en aurais tellement besoin », laisse tomber avec émotion Maxime.

On m’a plutôt fait sentir comme un danger public et surtout coupable d’avoir attrapé la maladie

Dans une vidéo qu’il avait publiée sur les réseaux sociaux, Maxime lançait un vibrant cri du cœur pour que les Québécois restent à la maison. « Les gens doivent comprendre que, si leur mère tombe malade, ils ne pourront pas aller la voir. Elle va souffrir seule. Imaginez comme c’est terrible !  insiste Maxime. Ce n’est pas de l’attraper le problème, c’est de le répandre à des gens dont la santé est plus fragile que la nôtre. »

Autre coup dur pour l’homme qui travaille dans un commerce de détail : son employeur l’a contacté non pas pour prendre de ses nouvelles, mais pour lui demander de retirer sa vidéo. « Ça m’a fait beaucoup de peine […] Je n’ai pas eu de message de sympathie ni de solidarité de la part de mon employeur suite au diagnostic, on m’a plutôt fait sentir comme un danger public et surtout coupable d’avoir attrapé la maladie », se désole-t-il.

Katherine*, 34 ans, Estrie

Katherine est dans les premières à avoir été contaminée sans avoir voyagé. Au plus fort des symptômes, la femme de 34 ans a eu l’impression qu’elle ne s’en sortirait pas. « J’avais vraiment de la difficulté à respirer. C’était comme si j’avais fumé des paquets de cigarettes à l’infini », raconte-t-elle.

Ses premiers symptômes sont apparus le 10 mars. Congestion nasale, picotement dans la gorge, toux, puis difficultés respiratoires, tous les symptômes associés à la COVID-19, Katherine les a eus, sauf la fièvre.

Dans la semaine précédente, la femme de 34 ans estime avoir croisé une centaine de personnes sur son lieu de travail et lors d’une retraite de méditation. « Il est fort possible que j’aie croisé quelqu’un qui en était porteur sans le savoir », explique-t-elle. « C’est ça que j’aimerais que les gens comprennent, vous pouvez en être porteur et contaminer les gens autour de vous », insiste-t-elle.

Figurant parmi les premières à avoir reçu un résultat positif, c’est surtout les conséquences sociales qui ont le plus affecté Katherine. « J’habite dans un petit village. Disons que ça s’est su rapidement et il y a une forme de paranoïa qui s’est installée », se désole-t-elle. « Des gens ont presque intimidé ma mère parce qu’elle continuait à aller faire son épicerie, alors qu’on n’habite même pas ensemble et qu’on ne s’est pas vues depuis des semaines », raconte-t-elle.

Heureusement, la solidarité et le réconfort ont aussi été au rendez-vous en cette période d’isolement. « Les gens proches de nous nous ont rapidement offert leur aide. J’ai une liste de 20 personnes qui sont prêtes à venir nous porter ce dont on aurait besoin », confie-t-elle.

Denis Mercier, 61 ans, Sainte-Angèle-de-Monnoir

Fin février, Denis Mercier se réunit avec une dizaine d’amis lors d’une soirée. L’un d’eux revient de voyage, mais n’affiche aucun symptôme du virus qui se retrouvera au cœur de la pandémie à peine quelques jours plus tard. « Je suis allé chez le médecin le 14 mars, parce que ça faisait quelques jours que j’avais des symptômes. Puisque je n’avais pas voyagé, le médecin m’a dit que ça devait être une bonne vieille grippe », raconte M. Mercier.

Puis, tout déboule lorsqu’il apprend qu’un voisin présent à cette soirée a été admis aux soins intensifs après avoir été déclaré positif à la COVID-19. Quelques jours plus tard, M. Mercier reçoit lui aussi un résultat positif. « J’ai été hospitalisé à l’hôpital du Haut-Richelieu puis transféré à l’Hôpital juif de Montréal, j’ai eu besoin d’un peu d’oxygène la nuit. Je n’arrivais pas à générer assez d’oxygène pendant que je dormais », explique l’homme.

Pendant plus de 12 jours, M. Mercier a ressenti les symptômes du virus. « J’ai eu de grosses fièvres et surtout des maux de tête. Je ne pensais pas que ça pouvait faire mal à la tête de même », dit-il.

Ce qui le désole le plus, c’est d’avoir infecté des gens autour de lui, dont sa conjointe. « Avant le 14 mars, ce n’était pas écrit dans mon front que j’étais porteur du virus. Même le médecin considérait que c’était juste une grippe ! » souligne-t-il.

Les Québécois n’ont plus d’excuse pour ne pas respecter les directives de santé publique. « On croyait ça loin de nous, mais on a maintenant la preuve que le virus fait des ravages », insiste M. Mercier qui, après plusieurs jours difficiles, est désormais sur la voie de la guérison.

Josiane Lorange, 49 ans, Sainte-Angèle-de-Monnoir

Le transport à l’hôpital de son conjoint était le début d’une période stressante pour Josiane Lorange. « Quand on te dit que tu ne pourras pas accompagner ton conjoint, que tu ne pourras pas être physiquement avec lui dans un moment difficile, ça rentre dedans », confie Mme Lorange.

Puis est venue la cascade de souvenirs pour tenter de se rappeler toutes les personnes croisées dans les jours précédant le diagnostic de son conjoint. « J’étais allée travailler et je pensais à tous ceux que j’avais vus, ça me stressait de savoir que je les avais peut-être contaminés sans le vouloir », explique-t-elle.

Ce qui l’a achevée, c’est lorsqu’elle a appris qu’elle a reçu elle aussi un résultat positif. « Tout défilait dans ma tête. Je pensais à nos enfants [qui ont 8 et 12 ans], parce que la santé publique nous disait qu’on ne pouvait pas rester avec eux », mentionne-t-elle.

Le couple Mercier-Lorange a obtenu la permission de se rendre à son chalet où les enfants sont confinés au sous-sol, alors qu’elle et son conjoint demeurent à l’étage. « Ma sœur est venue tout installer pour qu’ils puissent être autonomes sans jamais être en contact avec nous », souligne-t-elle.

Heureusement, dit Mme Lorange, ses symptômes ont été légers, mais la charge mentale découlant de la pandémie, elle est bien présente. « Si une famille peut s’éviter ce qui nous arrive, parce que la solution n’est pas complexe, restons chacun chez soi », insiste Mme Lorange.

Manon Trudel et Julien Bergeron, 61 ans, Montréal

Manon Trudel et Julien Bergeron font partie des 700 passagers du paquebot Diamond Princess à avoir été déclarés positifs à la COVID-19 à la fin du mois de février. Le couple était parti pour trois mois, de janvier à avril. Ils commençaient leur périple au Japon et devaient le finir en Italie, ironiquement les deux pays abritant les principaux foyers d’éclosion du virus.

Au total, le couple a été confiné pendant 38 jours, dont 22 dans un hôpital japonais. Julien, qui avait fait une double pneumonie dans le passé, a ressenti de la douleur aux poumons et fait un peu de fièvre. Quant à Manon, elle fait partie des personnes asymptomatiques. Le plus difficile pour le couple Bergeron-Trudel, ç’a été d’être séparés pendant leur hospitalisation.

« Quand on est sortis du bateau, je n’avais pas encore été déclarée positive. Il y avait des bus qui devaient nous transporter vers l’hôpital et j’ai réalisé que mon chum n’était pas à côté de moi », se souvient Mme Trudel.

Escortés par l’armée, les quatre autobus ont roulé pendant 8 h avant d’arriver à destination. « Tout le monde pleurait. On ne comprenait pas ce qui se passait », raconte-t-elle. Pendant 22 jours, le couple se trouvait dans le même hôpital, mais n’a pas été placé sur le même étage. « Normalement, tu t’attends à être aux côtés de ton chum malade, mais pas avec le coronavirus, pas en temps de pandémie », prévient Mme Trudel. Et c’est ça le plus dur, souligne le couple, de ne pouvoir être aux côtés de l’être aimé.

Après plus d’un mois d’isolement, le couple en est arrivé à craindre de ne jamais revoir leurs proches. « Ce qui m’inquiétait, c’était de ne pas pouvoir revenir, qu’on ferme les frontières et qu’on reste pris à l’autre bout du monde », confie M. Bergeron.

De retour au Québec depuis plus d’une semaine, le couple Bergeron-Trudel poursuit sa quarantaine.

* Le nom a été modifié, par souci de confidentialité.

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