Des éducatrices au front, mais inquiètes

Depuis lundi, ces services de garde d’urgence sont tenus d’ouvrir leurs portes pour accueillir des enfants des travailleurs de la santé.
Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir Depuis lundi, ces services de garde d’urgence sont tenus d’ouvrir leurs portes pour accueillir des enfants des travailleurs de la santé.

Au moins deux services de garde d’urgence de la province — un à Granby et l’autre à Lévis — ont dû fermer leurs portes la semaine dernière en raison de cas déclarés de COVID-19. On ne sait toutefois pas si les personnes infectées ont fréquenté les services de garde depuis que ceux-ci sont réservés aux enfants des travailleurs de la santé. Pendant ce temps, des éducatrices disent être de plus en plus inquiètes pour leur santé et celle de leurs proches.

 

Dans un message publié mercredi sur sa page Facebook, la garderie privée Les petits voyageurs, à Granby, indique qu’un enfant et un parent liés au milieu de garde sont infectés par le coronavirus. L’installation a été fermée afin d’éviter une propagation du virus. La direction — qui n’a pas voulu répondre à nos questions — a indiqué dimanche sur Facebook que la garderie rouvrirait dès ce lundi.

Au moins un autre enfant ayant fréquenté la garderie Les petits voyageurs (qui a donc pu être en contact avec l’enfant infecté) a par la suite fréquenté un autre service de garde d’urgence de Granby, le CPE Le soleil de Jeannot. Deux éducatrices de cet établissement ont été placées en isolement.

Par ailleurs, à Lévis, le CPE Vire-Crêpe a également fermé son installation. Dans des messages publiés sur sa page Facebook, la garderie mentionne que le « personnel des installations est en isolement volontaire » en raison d’une personne infectée par la COVID-19. La direction du CPE n’a pas répondu à nos messages.

La Direction de la santé publique refuse d’indiquer si les personnes infectées par la COVID-19 ont fréquenté les services de garde depuis que ceux-ci accueillent exclusivement les enfants du personnel de la santé et des services essentiels, invoquant qu’il s’agit d’informations confidentielles.

Au front

 

Depuis lundi, ces services de garde d’urgence sont tenus d’ouvrir leurs portes pour accueillir des enfants des travailleurs de la santé — qui peuvent être en contact avec des personnes infectées par la COVID-19. « On est extrêmement stressées. On a peur pour notre santé et celle de nos enfants », a confié au Devoir une éducatrice de CPE qui souhaite préserver l’anonymat.

« On se sent comme si on est sur la ligne de front, que nous faisons partie de ceux et celles qui vont se faire tirer en premier, souffle-t-elle. On veut être là pour aider, mais c’est pas ce type de corps de métier là [sur la ligne de front] qu’on a choisi. »

Une personne responsable d’un service de garde en milieu scolaire de l’île de Montréal, qui souhaite également préserver son anonymat, nous a indiqué jeudi que le personnel prenait la température des enfants à leur arrivée tous les matins. « C’est mon initiative personnelle. Je n’ai reçu aucune directive claire et précise sur ce qu’on devait faire. Personne ne m’a appelée et je n’ai reçu aucun papier. »

C’est seulement jeudi matin que ce service de garde a reçu des gants pour assurer la sécurité de son personnel. De bonnes réserves de produits désinfectants avaient été faites avant le début de la crise. « C’est inquiétant, on ne s’en cache pas. Mais on est là pour aider. »

Rassurer

 

Dans une vidéo mise en ligne mercredi soir, le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, et le directeur national de la santé publique, le Dr Horacio Arruda, ont tenté de rassurer les éducatrices travaillant dans les services de garde d’urgence.

« Actuellement, il n’y a pas de transmission active », a répété le Dr Arruda, remerciant du même coup le personnel des services de garde pour leur travail essentiel auprès des enfants. Si l’on met en place les mesures d’hygiène et de prévention recommandées, il n’y a pas de « risques significatifs pour le moment », a-t-il mentionné.

« Quand [la transmission] va devenir active, on prendra des mesures différentes », a dit le Dr Arruda, soulignant que ni la santé des enfants ni celle des éducatrices ne sera mise en péril. Les travailleurs de la santé ne traitent pas seulement des cas de COVID-19, a-t-il rappelé.

Dans la foulée de la diffusion de cette vidéo, plusieurs éducatrices ont envoyé au ministre Lacombe une lettre, dont Le Devoir a obtenu copie.

 

« Le point de presse avec le Dr Arruda nous a fait mal, y est-il écrit. Nous ne sommes pas des pros de la désinfection (tel que mentionné dans la vidéo), mais bien des pros de la PETITE ENFANCE. » Permettre aux enfants de se rassembler est contraire aux recommandations de santé publique, font-elles valoir. « Il est IMPOSSIBLE de respecter le 1 mètre de distance. Les enfants ont besoin de réconfort […] et de soins de base. »

Les éducatrices affirment également n’être ni des docteurs ni des infirmières. « Il est IMPOSSIBLE pour nous de faire la distinction entre le symptôme d’un banal rhume et celui d’un COVID-19 chez l’enfant. »

Pas de mouvement de panique

 

« C’est sûr qu’il y a de l’inquiétude de la part des éducatrices et c’est normal qu’elle soit communiquée, soutient Geneviève Bélisle, directrice générale de l’Association québécoise des centres de la petite enfance. Le nombre de cas va augmenter et on est en train de déterminer [avec le gouvernement] comment on va s’organiser pour assurer la sécurité de tous. »

On est extrêmement stressées. On a peur pour notre santé et celle de nos enfants.

La semaine dernière, le taux d’occupation des services de garde d’urgence de la province avoisinait 10 %. « C’est une bonne nouvelle, soutient Geneviève Bélisle. On ne veut pas avoir trop d’enfants dans le même établissement, pour aider à la distanciation sociale. » Davantage d’enfants sont toutefois attendus cette semaine.

Annie Charland, présidente du secteur scolaire de la Fédération des employées et employés de services publics (CSN), qui représente 10 000 employées de services de garde, se veut également rassurante. « Oui, on voudrait des directives plus claires pour que notre personnel se sente rassuré. » Mais on est loin d’un mouvement de panique, laisse-t-elle entendre. « En général, on me dit que ça va bien. La principale préoccupation est au niveau de la communication, parce que tout va tellement vite. Mais notre personnel est là, ils sont conscients de l’urgence et ils répondent bien à la demande. On est très fier de leur travail. »

Même son de cloche du côté de Lucie Longchamps, vice-présidente de la Fédération de la santé et des services sociaux (CSN), qui représente 10 000 éducatrices en CPE et 3000 responsables de services de garde en milieu familial.

« On vit une situation exceptionnelle qu’on n’a jamais vécue avant, donc tous les jours on fait des ajustements », mentionne-t-elle. Mais les éducatrices sont outillées et les parents conscientisés, assure-t-elle. « Elles savent qu’elles doivent désinfecter encore plus et chaque parent sait que si son enfant a pu être en contact avec quelqu’un qui a été infecté à la COVID-19, il doit prendre des mesures. »

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