Soccer Québec va limiter les coups à la tête chez les jeunes

Imaginez une partie de soccer où les joueurs, sur les lignes de côté, font des rentrées de touches au sol avec le pied, plutôt que dans les airs avec les mains. Ce sera la nouvelle réalité de jeunes de moins de 10 ans, dans diverses régions du Québec, dès cet été. Soccer Québec veut limiter les risques de coups à la tête et de commotions cérébrales.
Le projet pilote sera mené dans des ligues récréatives (match à 5 ou 7 joueurs) de Laval. « Mais les régions de Saguenay, Lanaudière et Québec ont aussi décidé d’embarquer dès cette année, dit au Devoir Éric Leroy, directeur technique de Soccer Québec. Ces règles seront obligatoires à l’échelle provinciale à partir de la saison 2021. »
La fédération québécoise veut restreindre au maximum les jeux aériens chez les plus jeunes. Pour y arriver, elle interdira également aux gardiens de dégager le ballon avec les pieds, à la volée. Ceux-ci pourront le déposer sur le terrain et jouer en faisant une passe au sol, par exemple. Idem lors des coups de pied de coin (« corner »).
« On s’attend à ce que le peu de jeu aérien qui existait [dans ces catégories d’âge] soit complètement ou à 95 % banni de toutes les situations de jeu », avance Éric Leroy. Pas question toutefois d’interdire formellement les « têtes » durant les parties, dit Soccer Québec.
Des pays bannissent les têtes
Aux États-Unis, les joueurs de moins de 11 ans n’ont plus le droit de frapper le ballon avec la tête, pendant des entraînements et des matchs, depuis 2015.
Il y a deux semaines, l’Angleterre, l’Écosse et l’Irlande du Nord ont annoncé de nouvelles lignes directrices à ce sujet. Fini les « têtes » lors des entraînements des moins de 11 ans. Les joueurs apprendront cette technique graduellement, idéalement à partir de 13 ans. Les trois fédérations recommandent un maximum de 10 têtes par semaine, à l’entraînement, jusqu’à l’âge de 15 ans.
C’est une étude écossaise, publiée l’automne dernier, qui a poussé ces fédérations à agir. Selon cette recherche, les ex-joueurs professionnels ont 3,5 fois plus de risques de mourir d’une maladie neurodégénérative que la population en général. Cette étude n’a toutefois pas démontré que les « têtes » étaient la cause de la démence.
Au Québec, les entraîneurs commencent à enseigner le jeu de tête à l’âge de 12 ans, avec un ballon mousse. Les plus jeunes, eux, font des exercices développant les muscles du cou.
Un « principe de précaution raisonnable », juge Stéphane Ledoux, qui fait partie d’un comité médical de Soccer Québec. « Dans le plan de développement du joueur, on considère qu’il y a suffisamment de gestes techniques à apprendre avant 12 ans et qu’on n’a pas besoin d’introduire la tête », explique-t-il.
Le neurologue ajoute que la « littérature scientifique demeure silencieuse » au sujet de l’effet à long terme des coups à la tête sur le cerveau des jeunes. « Il n’y a aucune évidence que la politique [d’interdiction des têtes aux moins de 11 ans] aux États-Unis a engendré moins de commotions cérébrales ou de dommages éventuels au cerveau depuis 2015 », dit Stéphane Ledoux.
Des parents préoccupés
Dans les gradins, certains parents sont néanmoins préoccupés par l’effet des coups à la tête sur le cerveau de leurs enfants. Avant chaque match, Marc-André McDuff met d’ailleurs son fils de 12 ans en garde contre les risques liés aux commotions cérébrales. Il rappelle à Elliot l’importance de frapper le ballon avec le milieu du front, la bonne technique à utiliser.

Elliot reçoit des ateliers sur les jeux de tête depuis cette année. Mais il tente d’en faire depuis l’âge de 9 ans, selon son père. « Quand je vois qu’il réussit à en faire une dans une partie, puis que ça fonctionne bien, je m’assure [quand même] après le match de lui demander “ça va, tu n’as pas d’étourdissements ou quoi que ce soit ?”, explique Marc-André McDuff. Pour moi, sa tête, c’est vraiment important. »
Elliot joue au niveau compétitif dans une ligue de soccer de Rosemont. Il n’a jamais eu de commotion cérébrale. Pour lui, marquer un but avec la tête demeure la consécration. « Tes coéquipiers viennent plus vite vers toi, puis sont encore plus contents », raconte-t-il.
Pour une interdiction complète
Le jeu de tête a beau procurer un sentiment d’ivresse, il peut aussi endommager le cerveau, signale Dave Ellemberg, professeur titulaire à l’École de kinésiologie et des sciences de l’activité physique de l’Université de Montréal.
« Les études indiquent que quand on fait plus de 300 impacts ou coups à la tête par année, c’est là qu’on commence à voir des changements, que cela affecte les fonctions cognitives de façon significative », dit Dave Ellemberg.
Dans une étude publiée en 2017, son laboratoire a démontré que des athlètes de haut niveau dans la vingtaine, qui font des têtes au soccer, mais qui n’ont jamais été victimes de commotion cérébrale, ont « des capacités cognitives presque aussi affaiblies que ceux qui en ont eu », indique-t-il.
C’est ce qui fait dire à Dave Ellemberg qu’il faut « éliminer les têtes complètement » des entraînements et des matchs des moins de 20 ans qui jouent dans des ligues récréatives.
Les joueurs « qui ont le désir et le talent d’un jour jouer pour des équipes universitaires ou professionnelles » pourraient continuer de recourir à leur tête, à condition qu’ils soient « hyper encadrés », pense-t-il.
Dave Ellemberg rappelle qu’à l’adolescence et jusqu’à l’âge d’environ 20 ans, le cerveau connaît une « poussée de croissance », ce qui le rend plus fragile que durant l’enfance. « Les conséquences des coups à la tête sont donc plus graves quand on les a entre 13 et 20 ans, que quand on les a avant 13 ans », précise-t-il.
Soccer Québec dit modifier chaque année ses recommandations en fonction des dernières études publiées. Afin d’amasser davantage de données, son comité médical vient d’ailleurs de recommander la mise en place d’un registre des commotions cérébrales soupçonnées au niveau 3A. Il pourrait être en vigueur dès la saison 2021.