Le laboratoire qui traque le COVID-19

Une série de 30 000 lettres. Des « A », des « C », des « G » ou des « T ». Un charabia pour le commun des mortels. Mais pas pour le scientifique Hugues Charest. « C’est le COVID-19, la séquence de son génome », dit le responsable du secteur de biologie moléculaire du Laboratoire de santé publique du Québec. En d’autres mots, la signature du nouveau coronavirus, qui fait frémir la planète.
Depuis le début de l’épidémie, Hugues Charest et son équipe sont sur la ligne de front. Le Laboratoire de santé publique du Québec, situé à Sainte-Anne-de-Bellevue, mène tous les tests de détection du COVID-19 au Québec. Jusqu’à présent, deux cas se sont avérés positifs, mais plus de 200 analyses ont été effectuées. Actuellement, 33 personnes sont surveillées.
La douzaine d’employés du laboratoire sont fébriles. « On est sur les lignes de presse tout le temps, dit Hugues Charest. On échange de l’information avec tous nos collègues au Canada aussitôt qu’on en a. »
Certains membres du personnel doivent faire des heures supplémentaires. « On ouvre [le laboratoire] la fin de semaine, dit France Corbeil, cheffe d’unité qualité. À la réception, on allonge les journées pour que les échantillons soient [acheminés] plus rapidement dans le secteur qui va les analyser. »
Visite du laboratoire québécois qui traque le COVID-19:
Des taxis et des entreprises de livraison transportent chaque jour des colis contenant des échantillons réfrigérés ou congelés de potentiels COVID-19 jusqu’au laboratoire. Les cas sont confirmés ou infirmés grâce à un test de détection mis au point par Hugues Charest.
« Les premiers tests positifs, c’est sûr qu’on va les soumettre au Laboratoire national de microbiologie de Winnipeg, dit-il. Pas que nos tests ne soient pas bons. Pas que leurs tests soient vraiment différents. » Mais le protocole l’exige, ajoute Florence Lacasse, directrice des opérations. « Après un certain nombre, on va arrêter de les envoyer », précise-t-elle.
Pour accélérer le processus et la prise en charge du patient, le laboratoire envisage de confier les tests de détection aux hôpitaux, comme il l’a fait pour la grippe H1N1 en 2009.
Des échantillons viennent d’aussi loin que de Maria, en Gaspésie, à environ neuf heures de route. « Ça a coûté cher de taxi ! » fait remarquer Hugues Charest.
Florence Lacasse souligne que les centres hospitaliers ont l’expertise pour traiter « ce genre de test ». « C’est juste le nom de la bibitte qui change », dit-elle. Le personnel des hôpitaux sera néanmoins formé par le laboratoire.
Un laboratoire de référence
Le Laboratoire de santé publique du Québec analyse chaque année 80 000 échantillons, notamment de tuberculose, de virus du Nil et de la maladie de Lyme.
Depuis vingt ans, son équipe a fait face à bien des épidémies : syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) en 2003, grippe H1N1 en 2009 (devenue une pandémie) et virus Ebola en 2014.
La pire ? « L’Ebola, répond Hugues Charest. Il fallait travailler en niveau de confinement 3, c’est-à-dire dans un local à pression négative, où tout l’air était filtré avant d’être sorti. » Les techniciens devaient revêtir un sarrau qui les couvrait de la tête aux pieds ainsi que porter deux paires de gants et un masque N-95 (un appareil de protection respiratoire à filtres à particules).
« C’était un virus très létal, explique Hugues Charest. Donc, il n’y avait aucune place à l’erreur. Aucune. » Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le taux de mortalité moyen de la maladie à virus Ebola est d’environ 50 %, mais il peut atteindre jusqu’à 90 %.
L’échantillon ne nous tousse pas dans la face
Rien à voir avec le COVID-19, dont le taux de létalité est maintenant estimé, d’après l’OMS, à 3,4 %.
Le nouveau coronavirus est d’ailleurs considéré comme un « virus ordinaire » par le Laboratoire depuis mercredi. Un sarrau et des gants suffisent pour les manipulations, effectuées dans des locaux à pression négative. « Il n’y a pas de risque de contamination en travaillant [ainsi] », dit Hugues Charest.
Les échantillons sont ouverts et fermés dans une enceinte particulière où « un flot d’air protège le technicien de l’échantillon », explique-t-il. Le masque N-95 n’est donc pas de mise, comme c’est le cas pour les infirmières auprès des patients. « L’échantillon ne nous tousse pas dans la face », illustre Hugues Charest.
Prêt au pire
Le Laboratoire de santé publique du Québec prépare un plan de contingence au cas où du personnel serait infecté par le COVID-19. La direction tente de trouver de potentiels remplaçants. « On regarde tous les employés, dit Florence Lacasse. Toute la formation qu’ils ont eue. Laquelle a eu des mises à jour. »
Si trop d’employés tombent au combat, le Laboratoire pourrait aussi délester des activités. Hugues Charest travaille d’ailleurs à « améliorer ses tests de détection » afin qu’ils « soient plus facilement transposables » dans les hôpitaux.
Le scientifique est persuadé que d’autres Québécois seront atteints du COVID-19 tôt ou tard. Une conclusion purement statistique.