L’heure de jouir

«On discute de sexualité plus ouvertement qu’avant, mais on n’en discute pas tant sous l’angle du plaisir féminin», dit Sarah Barmak en entrevue.
Photo: Biodiversity Heritage Library «On discute de sexualité plus ouvertement qu’avant, mais on n’en discute pas tant sous l’angle du plaisir féminin», dit Sarah Barmak en entrevue.

Quarante-cinq minutes de préliminaires avant la pénétration : c’est ce que suggérait aux femmes désireuses d’atteindre l’orgasme Anita Boeninger, une conseillère en santé holistique et spécialiste de la culture orientale.

Anita Boeninger est citée dans le livre Jouir. En quête de l’orgasme féminin, de la journaliste canadienne Sarah Barmak, récemment traduit en français aux éditions Zones. Dans la tradition orientale, écrit Sarah Barmak, « les femmes, qui avaient plus de yin, étaient associées à l’eau : il leur fallait du temps pour s’échauffer, mais aussi pour refroidir ».

Quarante-cinq minutes, c’est beaucoup dans notre société obsédée par la performance et l’immédiateté. C’est même trop, bien souvent. En y réfléchissant, on s’étonne à peine des résultats d’un sondage mené au Royaume-Uni en 2013, selon lequel 16 % des femmes sondées de moins de 28 ans n’avaient jamais atteint l’orgasme.

La même étude établissait par ailleurs que 40 % des femmes de 16 à 44 ans disaient manquer de motivation à la perspective d’un rapport sexuel.

Le temps, d’ailleurs, semble un facteur crucial de la satisfaction sexuelle féminine et aussi de son insatisfaction…

« Plusieurs femmes ont besoin et doivent se donner une période de stimulation, mais souvent elles ont peur de prendre trop de temps, dit Sarah Barmak en entrevue. Elles peuvent avoir peur que leur partenaire perde son érection. Ça peut être très difficile d’arriver au plaisir lorsqu’on se dit : “Je ne veux pas prendre trop de temps”. » « Je sais ce que c’est, poursuit la jeune mère. J’ai un enfant de cinq mois. C’est très difficile de trouver vingt minutes pour faire l’amour. »

« On discute de sexualité plus ouvertement qu’avant, mais on n’en discute pas tant sous l’angle du plaisir féminin. Et les statistiques montrent que les jeunes femmes ont encore de la difficulté à trouver la satisfaction sexuelle », ajoute-t-elle. Pour favoriser l’exploration, elle suggère aux femmes la fréquentation de sites comme OMGYes, qui offre aux femmes une « approche honnête et décomplexée » basée sur des connaissances scientifiques, de leur vie sexuelle.

Dans sa version originale anglaise, le livre de Sarah Barmak s’intitulait Closer, ou « plus près ». La journaliste voulait ainsi décrire le sentiment que partagent beaucoup de femmes d’être sur le point d’atteindre l’orgasme, mais de ne pas y arriver. « Ce n’est pas toujours une sensation agréable », note-t-elle.

Un instant s’il vous plaît…

Pourtant, a constaté la journaliste, c’est dans la tête que se déclenche en grande partie le plaisir sexuel féminin. Par exemple, l’atteinte de l’orgasme présuppose qu’on se concentre, du moins pour un moment, entièrement sur soi-même et sur son plaisir, ce qui semble plus aisé pour les hommes que pour les femmes. Exit le bébé qui pleure et le téléphone qui sonne.

« En général, c’est plus difficile pour les femmes de mettre de côté le reste de leur vie, dit Sarah Barmak. Elles vont penser, par exemple, à la lessive qu’elles doivent faire. La relaxation est vraiment la clé pour habiter son corps. Après, il y a aussi une dimension culturelle. »

À travers les âges, l’orgasme féminin, voire l’anatomie des organes du plaisir féminin, a été occulté par notre civilisation. C’est ainsi qu’il est peu connu que le clitoris, désigné comme l’organe par excellence du plaisir féminin, est en fait majoritairement situé sous la surface de la peau, à l’intérieur du corps, et qu’il dispose de piliers et de bulbes.

« Lorsque je suis tombée pour la première fois sur une illustration du clitoris sous sa véritable forme, je me suis sentie comme une aveugle qui verrait pour la première fois un éléphant tout entier alors qu’elle avait dû jusqu’à présent se contenter de lui toucher le bout de la trompe », écrit encore la journaliste Sarah Barmak.

Ce trou dans la connaissance n’est pas anodin. Sarah Barmak raconte que le clitoris a été détaillé en 1844 par l’anatomiste allemand George Ludwig Kobelt, mais que la structure clitoridienne complète n’a été modélisée qu’en 2009… « Vous avez bien lu : en 1844, on en savait plus sur le clitoris que, disons, en 1995 », écrit-elle.

Dans ce contexte, on ne s’étonne pas de voir des groupes de femmes discuter de leur anorgasmie, comme celles qui se réunissent près du sex-shop féminin Good for her, de Toronto, que Sarah Barmak a visité.

On ne s’étonne pas non plus que l’industrie qui a commercialisé le Viagra s’active pour en trouver un équivalent féminin. La flibansérine, qui avait été présentée en 2015 comme le Viagra féminin, a été approuvée par la Food and Drugs Administration américaine en 2015, avec un succès mitigé. Pourtant, des études ont montré que non seulement cette drogue s’est révélée peu efficace pour stimuler l’orgasme, mais elle risque aussi d’entraîner de nombreux effets secondaires importants, parmi lesquels des étourdissements, de la somnolence, de la nausée et de la fatigue.

L’usage de flibansérine, qui contient d’ailleurs des antidépresseurs, est d’ailleurs déconseillé avec la consommation d’alcool. Santé Canada a quant à elle approuvé la vente de flibansérine au Canada en 2018, en recommandant aux femmes qui l’utilisent de limiter leur consommation d’alcool.

Un peu de cannabis ?

Plus récemment, et plus particulièrement dans la foulée de la légalisation du cannabis au Canada, des études ont fait aussi des liens entre la consommation de cannabis et la satisfaction sexuelle des femmes.

 

« Il y a encore peu d’études sur le sujet, mais celles qui ont été faites semblent indiquer une plus grande satisfaction sexuelle chez les femmes lorsqu’il y a eu consommation de cannabis, reconnaît Sarah Barmak. Les études ne sont pas claires quant à la façon dont ce cannabis doit être consommé, s’il doit être mangé ou fumé, par exemple ».

Elle relève d’ailleurs que le cannabis a, à l’inverse, tendance à provoquer de l’anxiété chez certains sujets, ce qui n’accroît évidemment pas le plaisir sexuel.

Surfant sur cette vague, la Montréalaise Angela Mustone a récemment lancé la gamme de produits High on Love, qui contiennent de l’huile de chanvre mêlée de L-arginine et de CBD, un composant du cannabis. High on Love propose un gel stimulateur, une huile censée « stimuler l’orgasme » et d’autres produits qui y sont liés. Le tout, vendu à fort prix, est joliment emballé dans des flacons roses.

« Je voulais faire des produits qui puissent se vendre un peu partout, dans les lieux faisant la promotion du bien-être des femmes, pour qu’ils perdent leur connotation de produits sales parce qu’ils stimulent la sexualité », dit Mme Angela Mustone, qui a longtemps travaillé en Californie dans l’industrie des jouets sexuels.

En entrevue, Mme Mustone précise cependant que c’est le THC contenu dans le cannabis qui aurait un réel effet sur le plaisir féminin.

Or, le THC, qui ne peut se vendre qu’à la Société québécoise du cannabis, ne peut présentement être commercialisé dans ces jolis emballages. Mme Mustone travaille sur une version d’huile stimulante contenant du THC, en collaboration avec le groupe Rose ScienceVie, spécialisé dans les produits du cannabis qui est basé à Huntingdon, au Québec.

Ces produits, dit-elle, devraient être en vente dans quelques semaines. Selon elle, le THC devrait avoir « un effet comparable au Viagra pour les femmes, en ce sens qu’il fait durer le plaisir plus longtemps ».

Même Angela Mustone reconnaît que le plaisir sexuel féminin relève largement d’autre chose que des divers stimulants offerts. « C’est beaucoup dans la tête que ça se passe. » Au-delà de la recherche pour le remède miracle facilitant l’orgasme, c’est à leur vie entière que les femmes doivent s’attarder, « le sexe demeure obstinément une pratique qui affecte les femmes bien au-delà de leurs parties génitales : c’est une fonction de leur esprit, de leurs émotions et de leur psychologie », écrit Sarah Barmak.

« Des quantités incroyables de traitements médicamenteux ou chirurgicaux parfois dangereux et dont l’efficacité n’avait pas été démontrée ont émergé. Leur objectif : altérer le corps des femmes pour qu’il s’excite plus efficacement et plus rapidement, de façon à ce qu’elles et leurs partenaires aient moins d’efforts à fournir de ce côté-là. C’est à cela que ressemble le sexe dans un monde à cent à l’heure, où personne n’a le temps pour rien et où consacrer une demi-heure ou plus aux préliminaires, ça ne paraît pas pratique », écrit Sarah Barmak.

Jouir. En quête de l’orgasme féminin

Sarah Barmak, Zones, 184 pages

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