Nouvelles Maisons d’aînés, même pénurie de personnel

La ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais, a dévoilé son concept de Maison des aînés mardi, convaincue de pouvoir y attirer le personnel nécessaire, même en temps de pénurie. Mais des experts et des acteurs du milieu estiment que ce « bel environnement » devra nécessairement s’accompagner de meilleures conditions de travail.
« C’est toujours plus simple d’investir dans le béton, mais il faut aussi investir dans les ressources humaines pour avoir de bons services dans les centres d’hébergement », fait valoir Jacques Légaré, professeur émérite en démographie à l’Université de Montréal.
Plus de 2,6 milliards de dollars seront investis dans la création de Maisons des aînés et de Maisons alternatives ainsi que dans la rénovation ou la reconstruction d’environ 25 Centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), soit 2500 places.
Les nouvelles résidences doivent accueillir leurs premiers résidents d’ici 2022. Quant aux CHSLD, aucun échéancier n’a été précisé pour les travaux.
Projet phare de la Coalition avenir Québec en campagne électorale de 2018, les Maisons des aînés et les Maisons alternatives offriront 2600 places supplémentaires aux aînés en perte d’autonomie et aux personnes de moins de 65 ans avec des besoins spécifiques, dont 500 seront gérées par des établissements privés conventionnés. Les terrains seront achetés par Québec d’ici mai prochain.
Le concept ? Des regroupements d’unités de vie accueillant 12 résidents, réunis selon leurs caractéristiques et intérêts similaires. Ils auront chacun leur chambre climatisée et leur salle de bain adaptée à leurs besoins. Des espaces communs « conviviaux » et un espace consacré aux proches aidants sont prévus. Les aînés pourront profiter de la nature dans des espaces extérieurs « accessibles et sécuritaires ». Les postes d’infirmières seront dissimulés, pour s’éloigner de l’image, souvent froide, des établissements de soins actuels.
« Moi, je prends le pari que si on offre aux résidents des établissements qui sont accueillants on va aussi attirer du personnel pour y travailler. […] Je suis confiante », a lancé Mme Blais mardi.
Un parti risqué, selon François Aubry, professeur en travail social à l’Université du Québec en Outaouais (UQO) et spécialiste de l’organisation du travail en CHSLD. Il souligne que, parmi les facteurs contribuant au problème de rétention et d’attraction du personnel soignant, le degré de beauté de leur milieu de travail est loin d’être en haut de la liste. « Le problème ? C’est la charge de travail toujours plus importante, dit-il. C’est le manque de personnel qui entraîne des heures supplémentaires, les enjeux de santé et de sécurité au travail. C’est émotionnellement et physiquement exigeant pour les équipes médicales. »
En s’attaquant à l’image des centres d’hébergement, le gouvernement passe à côté des vrais enjeux. Et les problématiques vécues dans de nombreux CHSLD seront simplement transférées dans les Maisons des aînés, croit-il.
La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) et le Conseil provincial des affaires sociales soulèvent les mêmes inquiétudes. Si les conditions de travail ne changent pas, la pénurie de main-d’oeuvre dans ce secteur va juste s’accentuer et se répercuter sur les résidents.
« Ça paraît le fun de travailler dans un beau bâtiment avec des beaux sentiers à l’extérieur, mais si tu n’as pas le temps d’accompagner un résident s’y promener, ça ne servira ni à l’employé ni au résident », illustre Frédéric Brisson, président du Conseil provincial des affaires sociales qui représente de nombreux préposés aux bénéficiaires.
Pénurie de personnels
Le taux d’absentéisme augmente, les travailleurs quittent le milieu, et les besoins se font criants. Et les 2000 bourses de 7500 dollars, offertes cet automne par le gouvernement aux étudiants souhaitant devenir préposés aux bénéficiaires, ne règlent en rien le problème. « On propose 2000 bourses en tout alors qu’il manque 32 000 préposés au Québec, c’est ridicule », s’offusque M. Brisson.
Il note d’ailleurs que peu de candidats semblent s’y intéresser, en raison des conditions « trop strictes ». Le boursier doit s’engager à travailler dans un établissement qui l’a parrainé pendant au moins deux ans après l’obtention de son diplôme. En cas d’échec ou de non-respect de cette entente, la bourse doit être entièrement remboursée. « Un jeune ne va pas postuler s’il sait qu’il risque de devoir suivre sa blonde dans une autre ville après leurs études », donne-t-il en exemple.
« C’est difficile pour un parent monoparental de s’engager avec la crainte de se faire imposer un horaire de soir une fois en poste », ajoute François Aubry de l’UQO.
En date du 21 novembre, seules 645 bourses avaient été octroyées sur les 2000, soit environ 32 %, a précisé au Devoir le ministère de la Santé.
La pénurie se fait aussi ressentir du côté des infirmières, notamment dans les CHSLD. « Il y a déjà un manque dans les établissements, et celles qui restent vont-elles déserter pour aller dans ces maisons pour aînés, qui promettent un meilleur milieu de travail, sur papier du moins ? », s’inquiète Nancy Bédard, présidente de la FIQ.
Une « sérieuse réflexion » sur les soins en centre d’hébergement mais aussi à domicile s’impose, insiste Jacques Légaré de l’UdeM. Le Québec vieillit et « l’offre ne sera pas capable de répondre à la demande. » Plus de 3000 personnes attendent actuellement une place en CHSLD, les 2600 nouvelles places, prévues pour 2022, ne combleront pas le manque. Or, le nombre d’aînés va continuer de croître.