Québec ne voulait pas d’une étude sur l’eau dans les écoles

Dans le projet initial, il était question de vérifier la qualité de l’eau des fontaines pour s’assurer qu’il n’y ait aucun dépassement des normes de cuivre et de plomb.
Photo: iStock Dans le projet initial, il était question de vérifier la qualité de l’eau des fontaines pour s’assurer qu’il n’y ait aucun dépassement des normes de cuivre et de plomb.

Trois chercheurs ont claqué la porte du projet VisezEau à l’école, qui encourage les élèves à utiliser les abreuvoirs et à laisser tomber les boissons sucrées, après l’abolition par Québec du volet visant à vérifier la qualité de l’eau.

Le Devoir a appris que la décision du ministère de la Santé (MSSS) de retirer ce pan du projet a provoqué le départ d’une partie de l’équipe de recherche du programme en février dernier. « Sans l’évaluation de la qualité de l’eau à laquelle les jeunes sont exposés, la portée scientifique de l’étude et son application à l’ensemble des écoles du Québec seront limitées. Les enjeux éthiques et de communication posés par le retrait de ce volet qualité nous mènent à nous retirer avec regret du projet », peut-on lire dans la lettre de démission signée par les chercheurs Michèle Prévost (Polytechnique Montréal), Manuel J. Rodriguez (Université Laval) et Patrick Levallois (Université Laval).

Au printemps 2018, le MSSS a accordé un financement de 1,5 million de dollars à VisezEau. Une quinzaine de chercheurs de sept universités (dont l’Université Harvard) composent l’équipe multidisciplinaire de ce vaste projet de recherche qui vise à « rendre l’eau plus accessible, plus attrayante et mieux publicisée », dans 36 écoles primaires pour commencer.

Mais en novembre 2018, le ministère a fait un pas en arrière et demandé le retrait du volet sur l’analyse de la qualité de l’eau, estimant que le suivi de contaminants environnementaux n’a « aucune valeur ajoutée » dans ce projet. « Seuls celui du plomb et du cuivre pourraient être intéressants. Toutefois, les données issues de l’application de la réglementation en vigueur ne démontrent aucun besoin supplémentaire d’analyser l’eau dans les écoles du Québec », ont reçu les chercheurs en guise de justification.

Dans le projet initial, il était question de vérifier la qualité de l’eau des fontaines pour s’assurer qu’il n’y ait aucun dépassement des normes de cuivre et de plomb, notamment. Les chercheurs prévoyaient aussi de mesurer la qualité de l’eau sortant des nouvelles fontaines installées pour le projet.

« Il est difficile de justifier qu’après un prétest ayant démontré la présence de problèmes de qualité, on ne souhaite plus documenter la qualité de l’eau dans les écoles », écrivent Prévost, Rodriguez et Levallois, respectivement titulaire de la chaire industrielle en eau potable de Polytechnique, titulaire de la chaire industrielle en gestion et surveillance de la qualité de l’eau potable de l’Université Laval et professeur en médecine sociale et préventive à l’Université Laval.

Un préprojet mené en 2016 avait effectivement démontré que dans les deux écoles sélectionnées au hasard, 22 % des échantillons collectés dépassaient la norme québécoise de 10 microgrammes par litre (µg / L) pour le plomb, et 29 % des échantillons allaient au-delà de la norme de 1000 µg / L pour le cuivre.

L’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) a fait le même constat en ce qui a trait au plomb dans le cadre d’une étude publiée cet été. L’eau de 15 des 436 établissements testés (3 %) entre 2013 et 2016 par l’INSPQ contenait une quantité élevée de plomb, allant jusqu’à 350 μg / L. Des niveaux assez significatifs pour avoir des effets sur le quotient intellectuel des enfants, d’après le rapport.

Le comité VisezEau a précisé par voie de communiqué mardi que leur « projet est avant tout axé sur l’acquisition de saines habitudes de vie, le volet « qualité de l’eau » ne cadrait pas avec les orientations du programme », précisant que l’expertise des trois chercheurs n’était donc « plus sollicitée ».

Le chercheur principal, Michel Lucas, regrette toutefois que l’analyse de la qualité de l’eau des écoles ait été rayée du projet. « Regardez en Ontario, ils font l’analyse de la qualité de l’eau de toutes les écoles, des services de garde et ils [rendent] les résultats publics. C’est de la transparence pure », explique celui qui est aussi professeur en médecine sociale et préventive à l’Université Laval. « C’est normal pour les parents et [les employés] des écoles de vouloir connaître l’état de l’eau. Pourquoi on n’a pas la même chose au Québec ? ».

Le MSSS n’avait pas encore répondu au Devoir au moment où ces lignes étaient écrites.

Changement de plan

 

Le protocole de recherche a donc été modifié : au lieu de tester la qualité de l’eau des robinets, les fontaines de toutes les écoles seront remplacées par de nouvelles certifiées sans plomb et dotées de filtres.

Mais sans données sur la qualité de l’eau, il sera difficile de convaincre les écoles de changer toutes les fontaines, estiment les chercheurs démissionnaires.

M. Lucas insiste d’ailleurs sur le besoin de tester. « Si on veut faire ça dans 2000 écoles, il faut d’abord avoir les résultats. Puisqu’il y a des écoles plus [urgentes], il faut les changer en premier ».

D’après lui, changer toutes les fontaines pourrait coûter 20 millions de dollars. « On calcule qu’on a une fontaine pour 85 enfants et il y a environ 865 000 enfants dans l’ensemble du Québec ».

Pour les chercheurs démissionnaires, la solution proposée est coûteuse et difficilement généralisable aux 2000 écoles primaires québécoises. « Des interventions ciblées et limitées suffisent pour régler ces cas problématiques », font-ils valoir dans leur lettre.

Ce n’est pas la première fois que Québec se retrouve sur la sellette au sujet du plomb dans l’eau des écoles. Après plusieurs reportages sur le sujet, le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, a d’ailleurs annoncé mardi que l’eau de tous les abreuvoirs serait testée.

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