Le diagnostic de l’autisme dérive, selon une étude

Un jeune autiste américain regarde la télé avec attention.
Photo: Jeff Wheeler Archives Star Tribune via AP Un jeune autiste américain regarde la télé avec attention.

Le diagnostic d’autisme a tellement dérivé depuis 50 ans qu’il se fait maintenant sur la base de signes de moins en moins marqués, prévient mercredi un chercheur montréalais dans les pages du prestigieux JAMA Psychiatry.

En d’autres mots, précise la méta-analyse du docteur Laurent Mottron, les autistes qui sont étudiés sont de moins en moins différents de la population générale des non-autistes.

« Les autistes qu’on teste maintenant sont de moins en moins différents des personnes typiques, a expliqué à La Presse canadienne le psychiatre de l’Hôpital en santé mentale Rivière-des-Prairies. Mais vraiment de moins en moins, au point que, si la tendance se maintenait, on ne serait plus capables de trouver la moindre différence d’ici cinq à dix ans. On pense que c’est parce que les critères se sont ouverts au-delà du bon sens, au point que ce qu’on appelle autisme aujourd’hui, la différence avec des personnes typiques est impalpable. »

Il précise que sa méta-analyse reprend les résultats de pratiquement tous les autistes qui ont été testés dans le monde depuis 50 ans dans le domaine des neurosciences cognitives et recouvre à peu près l’ensemble de ce qu’un humain peut faire quand il traite de l’information.

« Notre papier montre un fait et un fait qui ne peut pas être faux puisqu’il regroupe l’ensemble de la recherche planétaire sur le cerveau des autistes, a-t-il assuré. Le fait qu’on a trouvé, c’est du béton. »

Le nombre de personnes diagnostiquées autistes serait en nette progression partout dans le monde. Aux États-Unis, la prévalence de ce trouble du développement serait passée, entre 1966 et aujourd’hui, de 0,05 % à plus de 2 %. Au Québec, le taux déclaré approche les 2 %. En comparaison, on ne note aucune augmentation de la prévalence de la schizophrénie au fil des ans.

Responsables multiples

 

Les médecins qui acceptent de signer un diagnostic d’autisme ne sont pas les seuls responsables de cette dérive, explique le docteur Mottron.

« Actuellement, un diagnostic d’autisme est ce qui permet d’avoir des services dans les écoles, a-t-il dit. Quand vous avez un diagnostic d’autisme, vous avez beaucoup plus de chances d’avoir des tas de trucs en plus, par rapport à une autre pathologie, ce qui est une ânerie totale, parce que le besoin qu’on a de services est indépendant du diagnostic. Vous pouvez avoir un diagnostic flou et avoir de très gros besoins, vous pouvez être autiste à 200 % et n’avoir pratiquement aucun besoin. »

De plus en plus de gens ont intérêt, simplement pour l’exercice de leur métier, à ce qu’il y ait le plus d’autistes possible, poursuit-il.

Les écoles feraient pression sur les médecins pour obtenir le diagnostic d’autisme qui débloquera les budgets dont elles auraient besoin pour offrir des services à cet enfant « autiste ». Les parents, eux, « pleurent quand on enlève un diagnostic d’autisme ».

« Ils nous disent qu’ils ont regardé et que leur enfant a tous les critères, a expliqué le docteur Mottron. C’est parce que les critères sont devenus tellement triviaux ! On dit que c’est un autiste parce qu’il n’a pas beaucoup d’amis, ou alors il n’aime pas qu’on lui coupe les cheveux, ou alors les étiquettes le gênent, c’est un autiste… Si ce sont des critères triviaux comme « n’a pas beaucoup d’amis » et « est dérangé par les étiquettes de chemise », on va en trouver un paquet. C’est ça qui se passe. »

On pense que c’est parce que les critères se sont ouverts au-delà du bon sens, au point que ce qu’on appelle autisme aujourd’hui, la différence avec des personnes typiques est impalpable.

L’autisme est maintenant quelque chose qu’on détermine par des critères, alors qu’au départ c’était quelque chose qu’on reconnaissait, a-t-il dit ; il est « fondamental » que le diagnostic par critères soit associé à un diagnostic par reconnaissance.

La situation est compliquée par le fait qu’il existe des formes atténuées d’autisme. Cela étant dit, précise le chercheur, avoir des traits autistiques n’est pas la même chose qu’avoir de l’autisme.

Conséquences multiples

 

« Les gens qu’on diagnostique comme autistes alors qu’ils ne le sont pas, souvent ils ont des problèmes, mais qui ne sont pas les mêmes, a indiqué le docteur Mottron. Les services pour les autistes, les classes spéciales par exemple où il y a un ratio d’un enseignant pour six élèves, c’est quelque chose de très, très coûteux. On leur donne tout de suite un niveau de services : c’est comme si vous aviez une grippe et qu’on vous envoyait aux soins intensifs. C’est plus une question de moduler les services. »

Le docteur Mottron évoque un préjudice double.

 

« Si on vous dit que vous êtes autiste alors que vous ne l’êtes pas, ça donne un truc complètement fou au niveau de la compréhension qu’on a de soi-même, a-t-il précisé. Il y a aussi un préjudice pour les autistes purs et durs, qui eux dans certains cas ont besoin de services très denses, et ces services sont dilués à des gens qui n’en ont pas besoin. »

Il demande d’arrêter « une espèce de machine folle sur le diagnostic de l’autisme ».

Le docteur Mottron s’attend à ce que sa méta-analyse entraîne une modification des critères de l’autisme dans la prochaine édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (le DSM).

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