La délicate conception des barrières contre le suicide du pont Samuel-De Champlain

Contrairement à l’ancienne structure qui n’était pas accessible aux piétons et aux cyclistes — et donc qui ne comportait pas un tel dispositif — le nouveau pont Champlain est doté d’une piste multifonctionnelle, qui accueillera ses premiers usagers dès cet automne.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Contrairement à l’ancienne structure qui n’était pas accessible aux piétons et aux cyclistes — et donc qui ne comportait pas un tel dispositif — le nouveau pont Champlain est doté d’une piste multifonctionnelle, qui accueillera ses premiers usagers dès cet automne.

Construire un pont pose immanquablement un enjeu de santé publique en matière de prévention du suicide. L’idée d’installer une barrière dissuasive sur le nouveau pont Samuel-De Champlain a été incluse dans le projet dès ses balbutiements. Ce type de barrières — construite sur la nouvelle porte d’entrée de la ville de Montréal au coût de 10,5 millions de dollars — a clairement démontré son utilité sur d’autres ponts accessibles aux piétons et aux cyclistes, comme le pont Jacques-Cartier.

« On savait dès le départ que c’était essentiel d’installer une barrière dissuasive », souligne d’entrée de jeu Guy Mailhot, ingénieur en chef du corridor du pont Samuel-De Champlain à Infrastructure Canada.

Contrairement à l’ancienne structure qui n’était pas accessible aux piétons et aux cyclistes — et donc qui ne comportait pas un tel dispositif — le nouveau pont Champlain est doté d’une piste multifonctionnelle, qui accueillera ses premiers usagers dès cet automne.

« C’était judicieux de prévoir la barrière le long de la piste dès la construction de l’infrastructure », relève pour sa part Jérôme Gaudreault, directeur général de l’Association québécoise de prévention du suicide (AQPS). « La restriction de l’accès aux moyens, c’est l’une des méthodes les plus efficaces pour prévenir les suicides. »

Ici comme ailleurs, ce type de dispositif a fait ses preuves. Depuis l’érection de la barrière dissuasive sur le pont Jacques-Cartier en 2004, le nombre de suicides a diminué du tiers et rien ne démontre un déplacement des actes vers d’autres lieux.

L’équipe d’ingénieurs et d’architectes qui a planché sur le design de la clôture du pont Champlain n’a toutefois pas retenu le modèle de sa consoeur.

« Celle du pont Jacques-Cartier crée l’effet d’une cage, un effet qu’on ne voulait pas recréer », explique Guy Mailhot. Plutôt que d’être recourbée vers l’intérieur, la clôture du pont Samuel-De Champlain est ainsi légèrement inclinée vers l’extérieur.

Les tiges verticales en acier inoxydable qui composent la clôture sont soutenues par des poteaux en acier galvanisé. Au niveau des quatre belvédères, les tiges verticales laissent place à des panneaux de plexiglas. « On voulait créer une barrière légère, avec un aspect aéré, tout en étant la plus efficace pour son potentiel dissuasif », souligne l’ingénieur.

Car le défi consistait ici à garantir la sécurité du public tout en préservant la vue sur le fleuve Saint-Laurent et le centre-ville de Montréal. « Il fallait trouver cet équilibre […] On voulait que la barrière s’intègre au pont. »

Au cours du processus d’idéation, des maquettes grandeur nature ont été construites pour tester les différentes configurations possibles. Une première maquette en bois a été bâtie, puis une maquette en acier a été commandée.

Le facteur d’exposition au vent et l’incidence de la clôture sur le comportement aérodynamique de la structure ont été étudiés. Une attention particulière a été portée aux équipements d’entretien et d’inspection du pont qui devront naviguer autour de ce dispositif — notamment pour observer ce qui se passe sous le tablier.

En plus de la barrière dissuasive, des caméras de surveillance et des téléphones d’urgence ont été installés le long des 3,4 km de la piste multifonctionnelle pour permettre une intervention rapide en cas de besoin.

Une mesure efficace

 

Pour bien des gens, les crises suicidaires sont des épisodes de courte durée, s’étirant sur quelques heures au plus, explique Stéphane Perron, médecin-conseil à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).

« Dans le contexte où ces crises sont temporaires et où les gens ont souvent une méthode bien précise en tête, si on leur retire l’accès à ce moyen, souvent ils ne le feront pas et ils n’auront plus cette idée-là », soutient-il.

Dans un article publié en 2013 dans l’American Journal of Public Health, le docteur Perron signalait qu’une moyenne de 10 suicides par année survenait sur le pont Jacques-Cartier — doté d’une piste multifonctionnelle et facilement accessible depuis le centre de la métropole — avant l’installation de la barrière dissuasive en 2004.

À cette époque, il n’y avait que sur le pont Golden Gate de San Francisco que l’on recensait plus de suicides de ce type dans le monde.

Construite au coût de 1,3 million, la clôture de métal du pont Jacques-Cartier a permis de considérablement changer la donne, explique Stéphane Perron. « Des études ont été faites pour le Golden Gate à San Francisco et pour le pont Duke Ellington à Washington et ont démontré les mêmes résultats », ajoute Jérôme Gaudreault.

Celui-ci révèle qu’une étude menée auprès de survivants qui ont tenté de mettre fin à leurs jours sur le Golden Gate a permis d’établir que cette méthode était la seule envisagée pour une majorité d’entre eux.

« Si le moyen n’est pas accessible, c’est suffisant pour que la personne change d’avis, rebrousse chemin et demande de l’aide. La personne peut changer d’idée à la toute dernière minute, même à la toute dernière seconde. »

Et les survivants du suicide disent souvent qu’ils regrettent leur geste, souligne Stéphane Perron.

Si vous avez besoin d’aide, n’hésitez pas à appeler la Ligne québécoise de prévention du suicide au 1 866 277-3553.

Le taux de suicide en baisse

Après avoir atteint des sommets à la fin des années 1990, le taux de suicide est en baisse dans la province depuis 2005.

En 2016, le taux de suicide chez les hommes s’établissait à 18,6 par 100 000 habitants (803 décès) ; il était de 35,8 par 100 000 habitants (1284 décès) en 1999.

Chez les femmes, ce taux est passé de 9,1 par 100 000 habitants (336 décès) en 1999 à 5,7 pour 100 000 habitants (243 décès) en 2016.


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