L’espérance de vie fait du surplace au pays en raison de la crise des opioïdes

Le quartier Downtown Eastside (photo), à Vancouver, est l’épicentre de la crise des opioïdes dans l’ouest du pays. La Colombie-Britannique est la province canadienne la plus touchée par cette vague mortelle qui annule en bonne partie les avancées médicales allongeant l’espérance de vie.
Photo: Jonathan Hayward La Presse canadienne Le quartier Downtown Eastside (photo), à Vancouver, est l’épicentre de la crise des opioïdes dans l’ouest du pays. La Colombie-Britannique est la province canadienne la plus touchée par cette vague mortelle qui annule en bonne partie les avancées médicales allongeant l’espérance de vie.

Pour la première fois en 40 ans, l’espérance de vie n’a pas augmenté au Canada en 2017, plombée par une crise nationale des opioïdes qui annule les progrès marqués dans le traitement de plusieurs maladies.

Alors que l’espérance de vie avait connu un progrès constant de 0,1 % par année depuis 2012, et du double (0,2 % par an) au cours des 20 années précédentes, son ascension est présentement freinée par la crise de santé publique que traversent le Canada ainsi que d’autres pays occidentaux.

Les 4108 décès accidentels provoqués par des surdoses de drogue au pays en 2017 ont entraîné un recul clair de l’espérance de vie, de 44 jours chez les hommes, et de 11 jours chez les femmes, précise Statistique Canada, dans un rapport diffusé jeudi.

Mais le poids des opioïdes dans ce repli de la longévité attendue des Canadiens est beaucoup plus élevé, selon l’agence fédérale, puisque plusieurs décès liés aux surdoses ne sont pas rapportés comme tel.

En fait, on peut affirmer que le cumul des décès de « cause inconnue » et ceux imputables aux surdoses ont maintenant pour effet d’annihiler les avancées dans l’espérance de vie dues à l’amélioration des traitements de certaines pathologies qui touchent les Canadiens, notamment les maladies cardiaques et les infections.

Deux fois plus de surdoses

 

En 2017, les taux de décès liés aux surdoses au Canada étaient pas moins de 1,6 fois plus élevés chez les femmes et de 2,1 plus élevés chez les hommes qu’en 2016. Si l’épicentre de cette vague létale de surdoses se trouve présentement en Colombie-Britannique, l’Ontario et l’Alberta sont aussi durement touchés avec respectivement près de 10 décès et 30 décès par 100 000 habitants. En comparaison, le Québec, avec 300 décès entre janvier et septembre 2018, arrive loin derrière avec moins de 4,8 décès liés aux drogues par 100 000 habitants. Partout, cependant, ce courant mortel frappe davantage les jeunes de 30 à 44 ans et tire vers le bas l’espérance de vie à la naissance. Chez les femmes, la même tendance a été observée, mais de façon plus ténue.

Hormis durant les épisodes de guerres ou d’épidémies, [...] l’espérance de vie s’était sans cesse améliorée au Canada

« L’impact de ce type de décès sur les moyennes de l’espérance de vie à la naissance au Canada est plus grand, car ces morts surviennent chez des gens jeunes. Donc cela suppose un grand nombre d’années de vie perdues », explique Frédéric F. Payeur, démographe à l’Institut de la statistique du Québec.
 

« On n’a pas vu ce genre de phénomène depuis longtemps. Hormis durant les épisodes de guerres ou d’épidémies, comme celle de la grippe espagnole, l’espérance de vie s’était sans cesse améliorée au Canada », ajoute Louise Potvin, directrice de l’Institut de recherche en santé publique de l’Université de Montréal (IRSPUM).

Si ces chiffres jettent une ombre sur l’espérance de vie au Canada, qui atteint en moyenne 80 ans pour les hommes et 84 ans pour les femmes, le Québec se détache du lot et continue de marquer certains progrès. Les Québécois sont désormais les Canadiens pouvant espérer vivre le plus longtemps (80,6 ans), du moins pour ce qui est des hommes. Avec une longévité estimée à 84,2 ans, les Québécoises se classent désormais au troisième rang canadien et ont gagné en 2017 un dixième d’année de vie supplémentaire.

Mais cette embellie pourrait ne pas durer, selon certains démographes. Dans plusieurs pays d’Occident, on constate un ralentissement de l’amélioration de l’espérance de vie, et des reculs, notamment aux États-Unis, au Royaume-Uni et certains états de l’Europe de l’Est. Les avancées se font aussi de plus en plus timides en France.

Photo: Mark Lennihan Associated Press La crise des opioïdes frappe davantage les jeunes de 30 à 44 ans, produisant donc un effet plus notable sur l’espérance de vie.

Premiers frappés par la crise des opioïdes, les États-Unis accusent depuis 2015 une baisse de l’espérance de vie, passée de 78,8 ans à 78,6 ans en 2017. Mais partout ailleurs dans le monde occidental, c’est plutôt les ravages causés par la grippe qui font vaciller la longévité.

« Notre situation se rapproche de celle de pays européens où l’on observe un effet de plus en plus important de la mortalité due à la grippe. En 2018, on a assisté au plus grand nombre de décès causés par l’influenza depuis la grippe espagnole de 1917, alors qu’on pensait qu’un record avait été atteint en 2017 », affirme Frédéric F. Payeur.

Le Québec distinct

 

L’Institut de la statistique du Québec, qui prévoit de publier son propre rapport sur l’espérance de vie pour 2018 au Québec vers la mi-juin, craint que ce bilan puisse lui aussi ne pas être aussi rose que d’ordinaire.

« Au Québec aussi, certaines causes de décès, dont celles dues aux opioïdes, sont en augmentation. Mais il y a surtout la grippe qui, depuis 6 ou 7 ans, fait plus de ravages qu’avant. La population est-elle plus vulnérable ? Les virus sont-ils plus mortels ? On ignore encore les causes de cette tendance, mais cela nous amène déjà à revoir nos hypothèses sur les projections de population », affirme le chercheur.

Chose certaine, maintenant que l’espérance de vie dépasse les 80 ans chez les hommes et 84 ans chez les femmes au Québec, les progrès se feront de plus en plus lentement. « Il y a un âge limite à l’espérance de vie humaine qu’on est peut-être en train d’atteindre, affirme Louise Potvin. Plus on avance, plus la progression va ralentir et l’amélioration, finir par stagner. »


 

Une version précédente de cet article, qui indiquait erronément que la directrice de l’Institut de recherche en santé publique de l’Université de Montréal était Hélène Potvin, a été corrigée.



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