Le réseau de la santé à l’heure des changements climatiques

Vagues de chaleur, hivers qui font le yoyo et inondations : les événements météorologiques extrêmes, liés aux changements climatiques, risquent d’augmenter les hospitalisations et les décès dans les prochaines années au Québec. Mais devant un système de santé déjà à bout de souffle, des experts tirent la sonnette d’alarme et appellent au changement, et vite.
« Les risques liés aux changements climatiques vont s’amplifier, se cumuler à un système qui a déjà de la difficulté à fonctionner. […] C’est plus qu’urgent de changer la façon dont on voit notre système de santé », prévient au téléphone Céline Campagna, responsable scientifique du programme Changement climatique et santé de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).
Avec trois de ses collègues de l’Institut — Diane Bélanger, Pierre Gosselin et Ray Bustinza —, elle cosigne le livre Changements climatiques et santé. Prévenir, soigner et s’adapter, qui fera son entrée dans les librairies québécoises mercredi prochain.
L’ouvrage dresse un portrait exhaustif des impacts directs et indirects des changements climatiques sur la santé de la population. Nombre de personnes perdent la vie ou finissent à l’hôpital chaque année, à la suite d’une tempête, d’inondations, d’une canicule ou encore d’une vague de froid. Mais ces événements climatiques extrêmes sont aussi à l’origine de problèmes cardiovasculaires, rénaux ou respiratoires ; ils engendrent également des cas de stress post-traumatique, d’anxiété ou de détresse psychologique. Sans oublier leur rôle dans la contamination de l’eau ou des aliments, qui propagent alors divers virus et bactéries.
Résultats : les urgences débordent et les agendas des professionnels de la santé — du médecin de famille, au travailleur social en passant par le psychologue — se remplissent à grande vitesse. « Il y a déjà de longues listes d’attente, et la population vieillissante apporte son lot de maladies supplémentaires. Si on ajoute l’impact des changements climatiques, c’est impossible que le système actuel soit en mesure de s’adapter si on ne change pas nos façons de faire », redoute Céline Campagna, rappelant le manque criant de personnel dans le réseau de la santé.
Gare à la canicule
Elle donne l’exemple des centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD) au Québec. Si l’organisation et la qualité des soins prodigués y sont souvent critiquées, la situation est d’autant plus problématique en pleine canicule. « La plupart de nos CHSLD sont dans de vieux hôpitaux non climatisés, situés dans des îlots de chaleur. Avec ça, on a à peine assez d’infirmières et de préposés aux bénéficiaires pour faire le tour des patients. Comment s’assurer en pleine canicule que ces personnes vulnérables — qui souffrent parfois de démence et ne sont plus capables de dire si elles ont froid, chaud ou soif — ne sont pas déshydratées ou en hyperthermie ? », se questionne la chercheuse.
J’ose espérer que ça va changer, mais il va falloir sans doute des morts pour qu’on se rende compte, au niveau politique, qu’il faut changer des choses
Une situation d’autant plus préoccupante que la population vieillissante augmentera la demande de places en CHSLD et que les canicules seront plus fréquentes.
Rappelons que près de 90 personnes sont décédées en pleine canicule en juillet dernier dans la province, selon un bilan préliminaire. En 2010, ce sont pas moins de 106 décès liés à la chaleur accablante qui avaient été recensés, dont une quinzaine en centre hospitalier.
C’est de l’impact des changements climatiques que le Québec devrait le plus se préoccuper selon Mme Campagna, qui précise que, d’ici 2050, les épisodes de chaleur extrême par été devraient doubler dans la province. « On est tous vulnérables à la chaleur, et encore plus les personnes déjà fragiles, comme les personnes âgées ou celles avec des problèmes cardiovasculaires ou pulmonaires entre autres. »
Davantage de formation
Pour les auteurs du livre, le système de santé n’a d’autre choix que de s’adapter au plus vite à cette réalité, puisque le réchauffement climatique est tel qu’un retour en arrière semble désormais impossible. « Même si on élimine demain matin les émissions mondiales de gaz à effet de serre, [ceux] déjà présents dans l’atmosphère vont continuer à changer le climat pour le prochain siècle. Le système de santé et ses professionnels doivent se préparer en conséquence. »
Les médecins omnipraticiens sont même les premiers à estimer qu’ils manquent de formation face aux enjeux climatiques dans leur pratique. C’est du moins l’opinion de 65 % des médecins ayant répondu à un sondage réalisé par l’INSPQ et l’Université Laval en 2015 à ce sujet. « Et il est fort probable que ce besoin de formation soit aussi ressenti chez d’autres intervenants de première ligne, comme les infirmiers, les travailleurs sociaux et les psychologues », notent les auteurs.
Leur ouvrage est d’ailleurs l’outil principal d’une formation en ligne offerte par l’INSPQ à partir de lundi. Elle vise à éduquer les professionnels de la santé sur le lien entre les changements climatiques et la santé des individus, afin qu’ils sensibilisent et renseignent au mieux leurs patients.
Mme Campagna espère toutefois que l’ouvrage aura un impact plus large et saura interpeller la classe politique. Les gouvernements pourraient en faire plus en matière de prévention, d’organisation, d’ajout de personnel et même d’aménagement du territoire. « J’ose espérer que ça va changer, mais il va falloir sans doute des morts pour qu’on se rende compte, au niveau politique, qu’il faut changer des choses », laisse-t-elle toutefois tomber avec regret.