L’accès à la sédation aussi difficile que l’aide à mourir dans certaines régions

Comble de l’ironie, même si l’aide à mourir et la sédation palliative continue (SPC) sont maintenant deux soins de fin de vie permis et encadrés par la loi, dans plusieurs régions, certains patients doivent faire des pieds et des mains pour obtenir l’un ou l’autre de ces moyens pour alléger l’agonie précédant la mort. Et dans certains cas, ils ne peuvent obtenir aucun des deux.
C’est du moins l’impasse qu’a vécue un patient de Montréal atteint d’un cancer métastatique avancé, admis à l’unité des soins palliatifs d’un grand hôpital en souffrance extrême, incapable de se nourrir. Sa famille, qui a requis l’anonymat, dit que ce proche a fait une demande d’aide à mourir. Mais après avoir déjà patienté 48 heures pour obtenir une évaluation médicale, voyant l’état du patient se dégrader à l’orée de la fin de semaine, les proches ont craint qu’il ne perde sa lucidité et demandé une sédation palliative continue pour abréger son calvaire. Une demande qui fut refusée.
Il est pressant d’améliorer les soins de fin de vie partout au Québec
« On nous a dit que le malade ne répondait pas aux critères, que les outils utilisés estimaient à dix-huit jours son espérance de vie alors qu’il en faut quinze pour être admissible à la SPC. Notre demande est tombée dans un grand trou noir », a déploré l’un de ses proches, encore sous le choc.
Après maintes pressions et l’intervention du médecin traitant du patient, une sédation partielle a été administrée et les doses d’antidouleurs, augmentées pour apaiser le patient, qui s’est éteint une journée et demie plus tard. En colère, la famille déplore « cette bureaucratisation de la mort », qui déshumanise les soins aux personnes mourantes en remettant à des outils administratifs une décision aussi cruciale que celle de l’ultime fin de vie. « C’était évident qu’il était à l’agonie », se désole un membre de la famille.
Quand la mort ne vous veut pas du bien
Selon les données compilées par Le Devoir, il semble que l’accès à la SPC, un soin palliatif destiné à plonger dans l’inconscient un patient en phase terminale aux prises avec des douleurs physiques ou psychologiques incontrôlables, varie grandement d’une région à l’autre du Québec. Les chiffres démontrent que les régions où le taux d’administration de l’aide à mourir est le plus faible au Québec sont aussi celles où les taux de sédations administrées sont au plus bas. Bref, dans ces régions, les deux seules options légales offertes pour adoucir la fin de vie de personnes condamnées semblent peu accessibles.
Ainsi, c’est à Montréal, à Laval et dans Lanaudière que les taux de sédation administrée sont les plus bas au Québec, avec à peine 10 sédations pour 100 000 habitants, un taux cinq fois moins élevé que dans la Capitale-Nationale, ou même l’Abitibi, une région éloignée. Ce sont les mêmes régions qui présentent les plus hauts taux de refus et de demandes non administrées d’aide à mourir au Québec.
Bref, ces données semblent contredire la théorie voulant que l’accès à l’aide à mourir décourage les patients d’avoir recours aux soins palliatifs. Dans plusieurs régions affichant les plus fortes proportions d’aide à mourir autorisées (Capitale-Nationale, Chaudière-Appalaches, Abitibi), les taux d’accès à la sédation palliative continue sont aussi parmi les plus élevés au Québec.
Plutôt que de reculer, le nombre de demandes de sédation palliative continue a augmenté depuis la légalisation de l’aide à mourir, passant de 263 demandes de décembre 2015 à juin 2016 à 817 entre juin 2016 et juillet 2017, puis 745 pour la période allant de juillet 2017 à mars 2018.
Une situation déplorable
Interrogée sur l’épreuve vécue par cette famille de la région de Montréal et les disparités d’accès observées, la présidente de l’Association québécoise des soins palliatifs, la Dre Louise Lafontaine, s’est dite surprise, ajoutant que les SPC sont probablement « sous-déclarées ». Certains médecins ne rapportent pas la sédation prodiguée à leur patient, ou se tournent vers des sédations temporaires, en raison des contraintes administratives posées par l’adoption de la loi sur les soins de fin de vie. Avant 2015, les médecins n’étaient pas obligés de déclarer ni de remplir de formulaires de consentement à la SPC, dit-elle. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. « Ça peut être une raison. Mais il se peut aussi que certaines équipes manquent d’expertise », a-t-elle dit, déplorant les situations similaires à celles survenues à Montréal.

« Ce n’est pas compliqué de prodiguer une SPC, ça fait partie de l’arsenal des soins palliatifs quand il n’y a plus d’autres options », dit celle qui déplore le manque d’accès à des soins palliatifs dans certaines villes et régions du Québec.
Une opinion partagée par la Dre Christiane Martel, praticienne et présidente de la Société québécoise des médecins de soins palliatifs, qui affirme qu’il suffit de présenter un symptôme réfractaire, soit des souffrances incontrôlables, soit un delirium, des nausées, des vomissements, ou une incapacité à se nourrir pour déclarer un patient mourant apte à recevoir la SPC.
Bien qu’un guide du Collège des médecins fixe à quinze jours l’espérance de vie estimée pour prodiguer la SPC, cette dernière affirme que ce guide n’est qu’une « balise » et non « une bible » et que le médecin doit juger des meilleurs soins palliatifs à donner aux patients qui souffrent trop.
Cette dernière confirme aussi que plusieurs médecins omettent de remplir les déclarations de consentement à l’obtention de la sédation continue, même si cette tâche « n’est rien du tout ». Ce qui fausserait le portrait réel des sédations prodiguées dans certaines régions.
Cette spécialiste estime que la triste situation vécue par cette famille de la région de Montréal peut s’expliquer par la défection des troupes dans les unités de soins palliatifs. « Les hôpitaux universitaires ont perdu presque la moitié des effectifs de troisième ligne en soins palliatifs depuis cinq ans, donc il y a un problème », dit-elle. À son avis, l’accès aux soins palliatifs est beaucoup plus facilité dans les régions intermédiaires, où la continuité des soins de fin de vie est souvent assurée par les mêmes médecins, tant à domicile que dans les hôpitaux ou le CHSLD. La direction du CHUM n’était pas en mesure de répondre à nos questions mercredi soir.
Mais selon cette spécialiste, il presse d’améliorer l’offre de soins palliatifs dans les hôpitaux, où meurent 50 % des Québécois. « La population est vieillissante, c’est faux de penser que tout le monde va mourir à la maison. Il est pressant d’améliorer les soins de fin de vie partout au Québec. »
Une version précédente de cet article, qui indiquait que la présidente de l’Association québécoise des soins palliatifs se nommait Lucie Lafontaine, a été corrigée.