Jean Truchon implore la juge de le laisser mourir dignement

C’est la voix étouffée par des sanglots et des spasmes que Jean Truchon, ce patient paralysé et atteint de multiples pathologies à qui l’on refuse l’accès à l’aide à mourir, est venu implorer mardi la juge de la Cour supérieure de comprendre son enfer et pourquoi « il est impensable pour [lui] de continuer [sa vie] dans ses conditions ».
« Je suis mort en 2012. La vie ne veut plus rien dire pour moi. J’ai été trahi par le gouvernement. Eux ne savent pas ce que je vis de l’intérieur », a balbutié avec difficulté M. Truchon, au court d’un témoignage à peine audible, déchirant, réalisé grâce à l’aide d’un interprète.
Ce patient conteste, avec une autre requérante, Mme Nicole Gladu, les articles des lois fédérale et provinciale exigeant d’être « en fin de vie » ou que la mort naturelle soit « raisonnablement prévisible » pour être admissible à l’aide à mourir.
Demande refusée
Lors de ce témoignage crève-coeur, la Cour a dû interrompre les audiences après que M. Truchon, visiblement exténué, eut fondu en larmes. Son avocat venait de lui faire la lecture de sa demande d’aide à mourir déposée en preuve, où il avait l’espoir que « l’année 2016 serait la dernière pour [lui] ».
Atteint de triparalysie depuis la naissance, Jean Truchon a vu sa condition physique dégénérer en 2012 après un accident survenu lors d’une partie de hockey sur chaise. Atteint depuis d’une hernie cervicale dégénérative inopérable et d’une sténose spinale sévère, il a perdu l’usage de son seul bras mobile. Infiltrations, Botox, cortisone : tous les traitements tentés pour améliorer sa condition ont échoué, seuls les antidouleurs atténuent ses souffrances. Son cou, son visage et son bras sont sans cesse traversés de spasmes. « Mes bras brûlent », a-t-il expliqué.
Autrefois capable de se mouvoir en fauteuil roulant et de vivre seul en appartement, Jean Truchon a été transféré en CHSLD en 2012 après l’accident qui l’a privé du peu d’autonomie qui lui restait. Il dit souffrir depuis d’une vie vidée de tout sens.
Plusieurs fois, il a pensé se suicider en se jetant devant un wagon de métro, un camion ou en se noyant, mais a dit craindre de « briser d’autres vies que la sienne » ou d’empirer son sort. Après y avoir mûrement réfléchi, il a dicté en 2016 à son père une demande d’aide à mourir. Une requête refusée, sa mort n’étant pas « raisonnablement prévisible ».
Une vie sans sens
« Je suis un être humain, n’importe quel animal n’est pas traité comme nous », a insisté l’homme de 51 ans, s’adressant aux juges et aux avocats.
« Avant je pouvais manger, me brosser les dents, rester dans mon fauteuil, me déplacer », a-t-il susurré, depuis le fauteuil incliné qu’il ne peut diriger qu’à l’aide d’un contrôle buccal.
Quand les médecins ont jugé sa condition incurable en 2012, Jean Truchon a dit comprendre qu’il avait « un pied dans la tombe et qu’il [comptait] bien y mettre le reste de [son] corps ». Cette idée ne l’a plus quitté depuis. « Je ne suis plus le même homme, je suis devenu agressif, avant j’étais gentil. Je suis rendu un pauvre type » a-t-il laissé tomber.
Je suis un être humain, n’importe quel animal n’est pas traité comme nous
Médicaments, déjeuner, déplacements limités, toilette, trois ou quatre visites par semaine, télé : « C’est à peu près ça, ma pauvre vie », a dit le patient, qui juge « injustes » les articles de loi brimant sa liberté d’en finir avec ses souffrances.
Interrogé à la sortie de la Cour, Jean Truchon s’est dit prêt « à faire avec » la décision de la juge. En cas d’appel, il dit qu’il ne se rendra pas « jusque-là ». « C’est incroyable de devoir attendre tout ce temps pour trois minutes de délivrance ! » D’après lui, plusieurs autres patients partageant son CHLSD « pensent comme lui ».
L’ampleur de la souffrance
Selon son avocat, Me Jean-Pierre Ménard, ce témoignage, bien que difficile, visait à démontrer l’ampleur de la souffrance vécue par des patients vivant cette réalité et privés injustement de l’aide à mourir.
À son avis, le gouvernement a « pris un expédiant » pour « régler » rapidement un problème, en faisant de la « mort naturelle raisonnablement prévisible » un critère incontournable. Or, cette précision n’a jamais été énoncée dans l’arrêt Carter, la décision de la Cour suprême qui a jeté en février 2015 les bases de la décriminalisation de l’aide à mourir au Canada.
« Le problème, estime Me Ménard, c’est qu’il n’y a pas de délai dans la loi. Pour chaque médecin, c’est différent. Les citoyens sont dans l’inconnu. Ça ne tient pas debout. »
Selon ce dernier, certains médecins jugent « raisonnable » un délai de six mois avant la mort, d’autres de quelques semaines et d’autres moins encore.
La Cour entendra mercredi le témoignage du Dr Alain Naud et le lendemain, celui d’un psychiatre, qui ont tous deux évalué la condition de M. Truchon. Plus de vingt autres experts défileront devant la juge dans ce procès très attendu qui durera 33 jours.