Évolution de taille au Québec

Depuis 40 ans, la prolifération des restaurants-minute, l’accélération de l’étalement urbain et la sédentarité croissante ont coïncidé avec une explosion des taux d’obésité au Québec, observe un comité d’experts québécois. Et la courbe ne semble pas près de s’essouffler.
Quand la première succursale de la chaîne de restauration rapide Poulet frit Kentucky (PFK) a ouvert ses portes en 1970 au Québec, l’obésité était encore rare et la moitié des Québécois occupaient un emploi requérant un minimum d’effort physique. Quant à l’étalement urbain, ce n’était toujours qu’un vague concept américain.
Près de 50 ans plus tard, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) trace un constat préoccupant. Pas moins d’un enfant québécois sur dix est obèse et le quart souffrent d’embonpoint (2013). Quant aux adultes, 60 % sont en surpoids et 23 % carrément obèses (2015).
Or, il n’y a pas que le tour de taille des Québécois qui a changé en cinq décennies. Au même moment, le paysage s’est transformé. On compte aujourd’hui plus de 8000 restaurants-minute (2014) sur le territoire et la densité d’habitants par kilomètre carré a chuté dans les grandes villes pour aller nourrir celle de banlieues tentaculaires toujours plus éloignées. Une chose appelant l’autre, plus du tiers (36 %) des ménages ont maintenant deux voitures pour se déplacer (2013), alors que ce n’était le cas que de 16 % seulement en 1978.
Ce regard sur cinq décennies d’évolution du paysage et des habitudes de vie au Québec fait dire aux chercheurs que les sources de l’épidémie d’obésité observée ne logent pas que dans l’assiette des Québécois.
Au-delà de l’assiette
« Ce qu’on voit, c’est que l’obésité n’est pas due qu’aux seules habitudes individuelles, mais à plusieurs facteurs liés à l’environnement qui font qu’il est plus difficile de bien manger et d’être actif aujourd’hui au Québec qu’autrefois », affirme Chantal Blouin, chercheuse et membre du comité scientifique de l’INSPQ créé pour produire cette revue exhaustive sur l’obésité, à l’occasion de la journée mondiale consacrée à ce problème de santé mondial par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
La plupart des régions et villes du Québec se sont transformées en environnements obésogènes, affirment ces experts. Selon Chantal Blouin, ce coup d’oeil bouscule l’idée préconçue voulant que l’obésité soit reliée aux seules inégalités sociales et de revenus. « Ça touche maintenant toutes les couches de la société, riches et pauvres, et ceux vivant dans certains environnements », dit-elle.
L’étalement urbain et son pendant, le tout-à-l’auto, semblent intimement liés à l’histoire du gain de poids au Québec. Depuis 1971, la densité d’habitants au kilomètre carré a chuté à Montréal et à Québec, et dégringolé à Sherbrooke, Chicoutimi, Trois-Rivières ou Hull, au profit de banlieues. « Les recherches américaines démontrent que l’obésité est plus présente dans les milieux de faible densité, dotés d’un réseau configuré pour favoriser les déplacements en voiture, alors que c’est l’inverse dans les milieux plus denses », précise Éric Robitaille, chercheur et spécialiste de l’environnement bâti à l’INSPQ. Bref, grandir ou déménager ses pénates en banlieue peut augmenter le risque de souffrir d’obésité. « Ces villes sont parfois moins pourvues en transport actif et ne favorisent pas les déplacements à pied ou à vélo », explique cet expert.
Malbouffe omniprésente
Autre donnée majeure, 55 % de la population du Québec vit à moins d’un kilomètre d’un restaurant-minute, et 60 % des écoles se situent à moins de 750 mètres d’un commerce offrant de la malbouffe.
Combinez cela à la sédentarité provoquée par le changement dans le type d’emplois (seulement 20 % exigent une activité physique modérée en 2011) et à la présence croissante des écrans dans les loisirs, et tous les éléments sont en place pour expliquer le bond observé dans les taux d’obésité. Alors que 300 000 Québécois souffraient de diabète en 2000, ils étaient plus de 600 000 en 2015 à vivre avec les conséquences de cette maladie, observe Céline Plante, nutritionniste et épidémiologiste à l’INSPQ.
« Jamais autant de Québécois n’ont vécu avec le diabète, même s’ils en meurent moins, dit-elle. Mais ils vivent plus longtemps avec des séquelles comme la dialyse, l’amputation, les risques cardiovasculaires ou la cécité. » Le diabète de type 2, une maladie « d’adulte » diagnostiquée en 1988 pour la première fois chez un enfant au Québec, est détecté chez une centaine d'enfants par an aujourd’hui au pays. Bilan, les coûts de l’obésité pour le système de santé s’élevaient déjà à trois milliards en 2011, soit trois fois le budget actuel du CHUM, selon l’INSPQ.
Projections
Comment sortir de cette spirale obésogène ? « On a toujours espoir d’arriver à un plateau, mais on ne voit pas encore de recul, affirme Chantal Blouin. On doit changer certains environnements, sinon les scénarios pessimistes ciblent à 26 % le taux projeté d’obésité en 2030. »
Malgré tout, ça et là, des initiatives locales se dessinent dans certaines villes avec des quartiers plus connectés, des parcs, des rues favorisant la marche, le vélo. « Avec tous les chantiers d’infrastructures en cours en ce moment au Québec, il me semble qu’il y aurait une conjoncture favorable pour refaire les rues en pensant à en faire des rues “complètes” », estime Éric Robitaille. Malheureusement, ces mégachantiers accouchent souvent d’environnements similaires à ceux pensés dans les années 1960.
Mince consolation, le Québec se démarque tout de même des autres provinces canadiennes, et surtout de certains États américains où plus du tiers de la population est obèse.
Une version précédente de ce texte indiquant que le diabète de type 2 est détecté chez 300 enfants par an et que 300 000 Québécois souffraient de diabète en 2010 a été modifiée.