Du gras pour combattre l'épidémie de diabète et d’obésité?

Dans l’assiette d’un adepte du régime cétogène, pas d’aliments transformés ni sucrés: des légumes verts, des poissons gras, des viandes et volailles, des œufs, des noix, des huiles végétales, du beurre, du fromage et du yogourt entiers.
Photo: Getty Images Dans l’assiette d’un adepte du régime cétogène, pas d’aliments transformés ni sucrés: des légumes verts, des poissons gras, des viandes et volailles, des œufs, des noix, des huiles végétales, du beurre, du fromage et du yogourt entiers.

L’alimentation faible en glucides et cétogène suscite autant l’engouement que la controverse. Au-delà des opinions polarisées, des patients qui l’ont essayée disent avoir vaincu divers maux, dont le diabète de type 2. Du côté de la science, des études, oui, mais aucune n’a fait bouger les lignes directrices en nutrition ou contre le diabète, qui sont de limiter les gras et de privilégier les glucides complexes, comme les grains entiers et les légumineuses. Le Devoir a tenté d’y voir plus clair.

« Ça fait 40 ans qu’on vous dit de ne pas manger de gras. Moi, je vous dis, mangez du bacon, mettez de la crème dans votre café, buvez de l’huile d’olive au goulot si vous le souhaitez ! » Dans la salle, des mines perplexes. À l’avant, l’omnipraticienne Évelyne Bourdua-Roy ne blague pas. Elle recommande même de saler davantage !

Nous sommes en février 2017, à Sorel. Plusieurs des personnes présentes souffrent de diabète de type 2, d’obésité, d’hypertension.

L’approche de cette médecin pour combattre l’obésité et le diabète : le régime cétogène ou l’alimentation faible en glucides, riche en « bons » gras naturels.

« En 13 ans de pratique, c’est la première fois que mes patients vont bien sans que je leur prescrive des médicaments », confie en entrevue la Dre Hala Lahlou, de Montréal, qui préconise aussi cette approche. « Et ça ne coûte rien au système de santé ! Entre médecins, on se dit que c’est trop beau pour y croire. »

Dans l’assiette de ses patients, pas d’aliments transformés ni sucrés : des légumes verts, des poissons gras, des viandes et volailles, des oeufs, des noix, des huiles végétales, du beurre, du fromage et du yogourt entiers.

Pas de pâtes, de pains, de féculents, de riz et autres céréales, peu ou pas de fruits.

 

Depuis cette conférence l’an dernier, l’approche semble se répandre chez les médecins et dans le grand public.

La Dre Bourdua-Roy vient de publier un livre avec l’animatrice radio Josey Arsenault. Perdre du poids en mangeant du gras figure parmi les cinq ouvrages les plus vendus, selon Gaspard.

Selon Diabète Québec, 880 000 Québécois vivent avec le diabète, dont 90 % du type 2, celui qu’on développe en vieillissant. De plus, 62 % des Canadiens sont en surpoids.

Des patients convaincus

 

La mi-cinquantaine, Jacques LeBlanc traînait un diabète de type 2 depuis dix ans. Près d’un an après avoir adopté l’alimentation cétogène, c’est avec une grande fierté que ce patient de la Dre Bourdua-Roy s’apprête à recevoir l’autorisation de cesser sa médication contre l’hypertension. La seule qu’il lui reste !

Sa perte de poids, 40 livres, est pour lui un effet collatéral. « Mon but, c’était vraiment de ne pas prendre d’insuline », dit-il. Ce qui lui manque ? « Les pommes. Des fois, je me gâte et j’en mange une. » Il rit.

Pour le militaire Alex Tancrède, le poids est « un éternel combat ». Cet automne, à 320 livres à 32 ans, souffrant d’hypertension et d’apnée du sommeil, ce père de famille a entamé des démarches pour obtenir la chirurgie bariatrique. Le Dr François Melançon, de Québec, lui a proposé de tenter l’alimentation cétogène. M. Tancrède s’est dit : que la meilleure approche l’emporte !

Au moment de rencontrer la diététiste et la chirurgienne pour une première évaluation quelques semaines plus tard, il avait déjà fondu de 20 livres. Il espère éviter la chirurgie.

Caroline Gouin, 31 ans, suit le régime cétogène depuis quelques mois. Sa faim omniprésente l’a quittée. « Je me dirigeais tout droit vers la chirurgie bariatrique », relate-t-elle. Le diabète la guettait, son foie était gras.

Quelques mois plus tard, à moins de 220 livres, elle a écarté cette option, dit celle qui prépare un marathon.

Exemple de menu pour une journée

Déjeuner

Deux oeufs cuits dans le beurre avec bacon et salade verte avec huile d’olive

Dîner

Nouilles de courgettes aux crevettes et à l’avocat

Souper

Poulet sauce à la crème et au parmesan avec légumes verts

Une contagion chez les médecins

 

Tous les médecins de famille à qui Le Devoir a parlé et qui recommandent l’alimentation cétogène ou faible en glucides l’ont d’abord adoptée pour eux-mêmes. Elles sont environ 2500 femmes médecins canadiennes curieuses de l’approche à faire partie d’un groupe Facebook privé. On rapporte aussi des tensions avec les détracteurs, notamment des nutritionnistes. C’est que le tout entre en totale contradiction avec ce qui est enseigné à l’université.

La Dre Hala Lahlou croit avoir été une des premières médecins québécoises à en faire la promotion, il y a environ un an et demi.

Aux sceptiques, elle dit de constater les résultats, comme « baisser une hémoglobine glyquée [un signe de diabète] de trois points en trois mois » seulement par l’alimentation, alors « qu’on doit donner trois médicaments habituellement pour y arriver ». Travaillant dans un quartier défavorisé de Montréal, elle vise la gratuité.

C’est elle qui a « contaminé » la Dre Bourdua-Roy, qui a lancé la clinique Réversa, d’abord à Contrecoeur, puis récemment à Montréal et à La Sarre. De ce côté, le programme d’enseignement et de soutien de six mois, par une infirmière et bientôt une nutritionniste et un kinésiologue, coûte quelques centaines de dollars. Ce n’est pas un prérequis pour le suivi médical public.

Près de 200 patients ont suivi son programme. Chaque semaine, elle retire à ses patients de la médication pour le diabète, l’hypertension, la douleur ou le cholestérol, par exemple.

Quels risques ?

Les médecins rapportent quelques crises de foie chez les patients. Certains ont vu leur cholestérol sanguin augmenter. Certains patients cardiaques ou ayant d’autres maladies graves ne devraient pas non plus entreprendre ce type d’alimentation.

Plusieurs expérimentent aussi le « keto flu » dans les premières semaines : étourdissements, fatigue, constipation et crampes musculaires.

Avertissement

Toute personne qui présente des problèmes de santé ou qui prend des médicaments doit être suivie par un médecin de manière régulière si elle désire entreprendre une alimentation cétogène ou faible en glucides.

La principale controverse autour de l’alimentation faible en glucides reste sa promotion fréquente du bacon, de la crème et du beurre, riches en gras saturés, qu’on accuse de favoriser les maladies cardiaques.

Le Dr Martin Juneau exprime des réserves pour cette raison. Le cardiologue privilégie d’autres approches en première intervention, soit les régimes méditerranéen ou végétalien. Mais il lui arrive de conseiller l’alimentation faible en glucides. Il n’hésite pas à affirmer que le diabète de type 2 n’est pas une fatalité, mais une maladie qui se guérit grâce aux habitudes de vie.

Le Dr Juneau favorise une version « prudente » de l’alimentation faible en glucides, où le beurre cède le pas à l’effet protecteur des gras provenant du poisson, des graines de lin, des noix ou de l’huile d’olive.

Des études remettant en question la nocivité des gras saturés ont d’abord ébranlé ses convictions ces dernières années. Puis, il est revenu à sa position initiale. « Pour moi, il n’y a aucun doute que le plus raisonnable, c’est de limiter l’apport en gras saturés à 10 % de nos calories quotidiennes. »

Le titulaire de la Chaire de recherche en nutrition à l’Université Laval Benoît Lamarche remarque qu’à partir de la même littérature scientifique, « des chercheurs n’arrivent pas aux mêmes conclusions ». « Les gras saturés sont-ils vraiment si dangereux ? Je cherche encore les réponses ! » dira-t-il en entrevue.

Des recherches ont démontré que les fromages, riches en gras et en sel, sont associés à une protection contre les accidents vasculaires cérébraux (AVC).

M. Lamarche déplore tout de même le tapage fait autour d’un nutriment plutôt qu’un autre. « On se dirige plutôt vers des recommandations qui nous sortent du nutriment, qui montrent des patrons alimentaires sains. Consommer du fromage dans une diète méditerranéenne, ce n’est pas la même chose que lorsque la principale source de fromage, c’est la pizza, comme pour les Américains ! »

Cétogène et diète faible en glucides, définitions

L’alimentation faible en glucides comporte un apport modéré de protéines, soit environ 20 % des calories quotidiennes. C’est sur l’équilibre entre les gras et les glucides que ça se joue. L’alimentation équilibrée telle que prônée par le Guide alimentaire canadien comporte entre 200 et 300 grammes de glucides.

Il y a trois niveaux d’alimentation faible en glucides :

Cétogène : de 0 à 20 grammes de glucides par jour

C’est la forme la plus restrictive, qui entraîne la production par le foie des corps cétoniques à partir des gras, que le corps utilise alors comme forme d’énergie en remplacement des glucides.

Modéré : de 20 à 50 grammes de glucides par jour ; et libéral : de 50 à 100 grammes de glucides par jour

Les personnes suivant ce régime se permettent quelques apports en glucides. Il n’y aura pas de production de corps cétoniques.


 

Une approche historique

Éviter les glucides, notamment quand on est diabétique, n’est pas un concept nouveau. Il y a cent ans, le livre Diabetic Cookery : Recipes and Menus proposait exactement cela. Les recommandations nutritionnelles pour les diabétiques contenues dans cet ouvrage, qu’on peut trouver sur le Web, sont sensiblement les mêmes que celles préconisées par les médecins qui conseillent l’alimentation cétogène de nos jours. Dans les années 1970, l’approche faible en glucides préconisée par le Dr Robert Atkins avait aussi connu un certain succès. Au fil des décennies, les sportifs ont aussi été nombreux à adopter cette alimentation. Les enfants épileptiques réfractaires aux traitements médicamenteux peuvent aussi être traités par cette approche.


À voir en vidéo