La solitude mine la santé psychologique et physique

Le Royaume-Uni vient de créer un ministère consacré à la solitude, une réalité aujourd’hui considérée comme un problème de santé publique aussi criant que le tabagisme ou l'alcoolisme. Gros plan sur un fléau qui touche aussi le Québec.
La première ministre de Grande-Bretagne, Theresa May, a surpris l’opinion publique en désignant sa ministre des Sports, Tracey Crouch, titulaire d’un tout nouveau ministère de la Solitude. Le gouvernement britannique veut prendre à bras-le-corps une réalité qui touche neuf millions de sujets de la Reine et fait peser un très lourd fardeau sur le système de santé.
C’est que plusieurs études ont apporté ces dernières années de l’eau au moulin de ceux qui affirment que la solitude ne mine pas que la santé mentale de ceux qui en souffrent, mais aussi leur condition physique.
Au Royaume-Uni, de récentes recherches faites par Age UK, un organisme d’aide et de recherche sur le vieillissement, ont révélé que la solitude frappait 15 % des personnes âgées, et qu’au moins 200 000 aînés n’avaient pas parlé à des proches ou des amis depuis plus d’un mois. Interrogé au lendemain de l’entrée en poste de la nouvelle ministre, le directeur général de Age UK, Mark Robinson, a résumé l’ampleur du problème en affirmant que la solitude « est plus mauvaise que 15 cigarettes par jour ».
C’est aussi ce que démontrent plusieurs études récentes confirmant les effets délétères de l’isolement sur l’espérance de vie. Dès la fin des années 1980, des liens avaient été tracés entre la qualité de la vie sociale des individus et la longévité, mais une méta-analyse effectuée en 2015 de 148 études réalisées sur plus de 300 000 personnes a définitivement hissé l’isolement dans le lot des facteurs de risque « potentiellement mortels ». L’étude conclut que le déficit amical serait aussi toxique pour l’être humain que le tabagisme ou l’alcoolisme. Pire, vivre isolé serait plus dommageable pour la santé que le manque d’activité physique ou l’obésité !
« Toutes ces études le prouvent : l’interaction sociale est la pierre angulaire de l’espérance de vie et a plus d’impact sur la santé que la génétique, l’argent, le type d’emploi ou même le taux de cholestérol », affirme le Dr Martin Juneau, cardiologue et directeur de la prévention à l’Institut de cardiologie. Après avoir suivi des milliers d’individus depuis 75 ans, l’Université de Harvard conclut elle aussi que les liens sociaux sont de loin les facteurs les plus prédictifs de la santé d’une personne, ajoute ce médecin. Somme toute, l’isolement double le risque de mort prématurée. En plus des effets psychologiques, la carence de contacts humains, ou leur piètre qualité, entraîne un état de stress qui perturbe les processus physiologiques, notamment la pression sanguine et le taux de cortisol dans le sang. Autant de facteurs qui endommagent les vaisseaux et le coeur, explique le cardiologue.
« Les études réalisées sur les “zones” où vivent le plus de centenaires dans le monde démontrent que ces personnes sont souvent très bien entourées. C’est le cas à Okinawa, au Japon, où une tradition ancestrale oblige les femmes âgées à rencontrer cinq amies par jour. Ces habitudes de vie, combinées à d’autres, ont un impact majeur sur l’espérance de vie », dit-il.
« Comme médecin, je le constate aussi chez mes patients qui ont eu une crise cardiaque il y a 25 ans. Ceux qui ont toujours une bonne relation de couple, de belles relations avec leurs enfants ou leurs amis s’en tirent beaucoup mieux aujourd’hui que ceux qui sont seuls », note le Dr Juneau.
Malheureusement, dit-il, aucun programme du ministère de la Santé ni aucun des budgets des hôpitaux ne s’intéressent à cette réalité. Malgré l’accumulation des preuves scientifiques, les sommes investies dans la prévention des facteurs de risque associés à la mort prématurée demeurent dérisoires.
Briser l’isolement
Le nombre de personnes vivant seules, propulsé par le vieillissement de la population et le divorce, est à la hausse au Québec, où un ménage sur trois se compose désormais d’une personne seule, selon le Conseil des aînés. Chiffrer l’isolement social est par contre une tâche complexe, puisque des gens vivant seuls peuvent jouir d’une vie sociale riche, alors que d’autres, bien qu’entourés, souffrent de solitude, explique le professeur André Tourigny, médecin-conseil à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).
« J’ai l’impression que notre situation se compare à celle du Royaume-Uni, avec environ 15 % de personnes isolées. Si la solitude est un problème influencé par des facteurs personnels comme l’état de santé, le revenu, la présence ou pas de famille, elle dépend aussi de facteurs externes qu’on peut influencer, comme l’aménagement urbain ou l’accès aux transports », affirme cet expert, aussi codirecteur de l’Institut sur le vieillissement et la participation sociale des aînés de l’Université Laval.
La réponse à ce fléau trouve déjà des échos ici au Québec, où des projets inspirés des guides de pratique britanniques ont été lancés dans deux secteurs de la Vieille Capitale par le Collectif aînés IS (isolement social). Quatre organismes bénévoles ont obtenu 1,6 million l’an dernier du gouvernement fédéral pour dépêcher des sentinelles dans les centres commerciaux, les Tim Hortons et les McDonald’s pour dépister les aînés à risque d’être isolés. Plus de 9 millions ont aussi été investis depuis 2012 par le Secrétariat aux aînés pour financer des projets visant à rejoindre les aînés considérés comme vulnérables.